Formation professionnelle : changeons de tropisme ! (2/2)

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EmmanuelleBarbara_DavidMeignanAvocat au barreau de Paris depuis 1993, Emmanuelle Barbara, spécialiste en droit du travail, a créé le département droit social au sein du cabinet August & Debouzy, dont elle est associée gérant depuis 2001. Elle cumule son rôle de conseil avec celui de l’enseignement au sein du Master II de juriste en droit social à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Nous l’avons rencontrée pour recueillir son sentiment sur la négociation de la réforme de la formation professionnelle en cours, ses enjeux et impacts pour les entreprises. Emmanuelle Barbara est également auteur d’ouvrages sur l’épargne salariale, membre du Conseil d’administration de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Elle participe aussi aux travaux de l’institut Montaigne et du Club des Juristes
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La semaine dernière, nous avons diffusé la première partie de l’interview d’Emmanuelle Barbara qui nous présentait sa vision de la place de la formation professionnelle et un dispositif novateur pour favoriser l’employabilité.

Voici la suite de cet échange comprenant d’autres pistes d’évolution pour faciliter le recours à la formation professionnelle.

 

Management de la formation : Et les plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, n’ont-ils pas pour objectif d’améliorer l’employabilité des salariés ?

Les entreprises savent, en principe, quand et comment il faut s’adapter aux évolutions des métiers et des fonctions. La formation professionnelle ne doit pas être un « silo » à côté de la GPEC mais bien constituer le socle d’une vraie GPEC.

D’ailleurs, l’ANI du 11 janvier 2013 (art. 14) allait dans ce sens en prévoyant une meilleure articulation de la négociation sur la GPEC avec le plan de formation. Il faudra voir comment la nouvelle loi sur la question interférera avec cette orientation.

Il est absolument essentiel que les salariés soient formés pour leur permettre de faire face le mieux possible à tout changement d’emploi contraint et favoriser aussi la mobilité professionnelle « non subie ».

 

Management de la formation : La formation professionnelle pourrait donc être une assurance anti-chômage ?

La formation professionnelle est la seule et la meilleure garantie contre le chômage de longue durée. La question de l’efficacité de sa mise en œuvre est donc une des clés pour juguler un chômage de masse dans un univers qui requiert des compétences renouvelées. Il est par ailleurs évident que l’accès des chômeurs à la formation doit être un autre axe tout autant privilégié.

 

Management de la formation : Dans ce cas, pourquoi ça ne marche pas ?

Parce qu’il y a trop d’empilements, trop d’intérêts contradictoires, trop d’administratif. Parfois aussi un manque d’adéquation avec les nécessités du marché.

Une piste d’évolution pourrait consister dans la mutualisation des compétences. En l’état, son application juridique serait néanmoins complexe. Pour être valable, le prêt de main-d’œuvre est subordonné à de nombreuses conditions. Et l’on verra si les accords de mobilité prévus par la loi de sécurisation de l’emploi trouvent leur public. Pour revitaliser les territoires, les entreprises pourraient organiser cette mutualisation de leurs salariés. Les collaborateurs se formeraient à de nouvelles pratiques, ce qui leur donnerait d’autres horizons… En effet, on ne doit pas voir la formation professionnelle comme un cours avec un bloc de papier, un crayon et un professeur. C’est aussi, et surtout, la formation par l’expérience, offrant, par exemple, la possibilité pour un salarié donné de faire profiter de ses compétences à d’autres entreprises, selon des modalités encore à inventer.

 

Management de la formation : La réforme de la formation professionnelle de 2004, c’est l’obligation pour l’entreprise d’adaptation au poste, celle de 2014 devrait aller vers une l’obligation de maintien dans l’employabilité du salarié. Qu’en pensez-vous ?

Cette différence de sémantique est appréciable. Concernant la formulation de la loi de 2004, on pose un principe absolu. Il est difficile de concevoir injonction plus grande dans ce domaine.  Mais s’il s’agit d’un principe légitime, il reste à être concrétisé. La réforme de 2014 devra sans doute poser un principe aussi fort que le précédent sachant que « le maintien dans l’emploi  » doit absolument être compris comme le maintien dans une employabilité du salarié, conçue comme sa capacité à occuper un poste tenant compte des évolutions, qu’elles soient technologiques ou liées à l’avancée de l’art. L’époque où l’on restait toute sa vie professionnelle dans la même entreprise, au même poste qui d’ailleurs évoluait peu, est parfaitement révolue.

Les jeunes l’ont d’ailleurs compris. Ils revendiquent plus et mieux le droit de bâtir leur carrière en multipliant les expériences. Ils y sont aussi contraints en raison des contrats souvent courts qu’on leur propose, quitte à passer plus facilement le pas vers l’entrepreneuriat. C’est une évolution intéressante et tout à fait palpable.

 

Management de la formation : Quid de la proposition de Marc Ferracci (En finir avec les réformes inabouties) de supprimer la cotisation obligatoire des entreprises, serait-ce vraiment une simplification du système pour l’entreprise ?

La suppression de la cotisation obligatoire des entreprises en matière de formation pose la question du financement du syndicalisme. Une fois que cet aspect majeur du sujet aura pu être surmonté par ailleurs, on aura plus grande facilité à  admettre les arguments pertinents de M. Ferracci en faveur de la suppression de cette cotisation obligatoire indifférenciée qui  n’est pas la réponse appropriée au financement optimal de la formation professionnelle.

 

Management de la formation : Dans Réformer vraiment la formation professionnelle, Jacques Barthélémy et Gilbert Cette soulignent que « Le droit à l’emploi est un droit fondamental, d’essence constitutionnelle. Le droit, corollaire, à l’employabilité peut plus aisément être concrétisé, spécialement du fait de la responsabilité des employeurs en ce domaine. » Que pensez-vous de ce droit à l’employabilité ?

Cette notion de droit à l’employabilité est consensuelle. Mais les solutions de sa mise en œuvre le sont moins, notamment à l’égard de ceux qui en ont le plus besoin.

Améliorer l’employabilité exigerait, au-delà de l’accès à la formation professionnelle, de favoriser un droit du travail qui promeut toutes les formes de mobilité.

 

Management de la formation : Vous vous montrez donc peu rassurante sur les avancées que pourrait apporter la réforme de la formation professionnelle actuellement en cours de négociation ?

Nous sommes tous d’accord sur le fait que la formation professionnelle relève de l’État. De cette pierre angulaire, nous devons bâtir une nouvelle politique de l’emploi et un nouveau droit de l’entreprise. Les vrais bénéficiaires de cette réforme devraient être, en tout état de cause, les jeunes de manière à pouvoir identifier à l’aune d’une génération identifiée les succès d’une meilleure d’employabilité.

 

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Crédit photo : David Meignan

Un commentaire

  1. Manque d’adéquation avec le marché, c’est bien là un paramètre important notamment pour les PME. La mutualisation des compétences apparait comme une des clés pour répondre à la pénurie au sein des des PME / TPE, qui n’ont pas les moyens et la nécessité de recourir à du personnel à plein temps pour certaines fonctions suppports. Flexibilité et mobilité voici bien deux enjeux cruciaux de cette nouvelle réforme.

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