Formation en alternance : les enjeux de la réforme

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La formation en alternance, dont les vertus pédagogiques sont unanimement reconnues, peine à prendre dans notre pays l’importance qu’elle occupe chez nos voisins allemands ou suisses, par exemple. La volonté politique affichée de développer cette modalité se heurte à plusieurs obstacles : notamment, une dualité de dispositifs, apprentissage et professionnalisation, qui obéissent à des logiques institutionnelles différentes. Alors que l’Institut Montaigne publie un rapport sur l’apprentissage et que les débats sur la réforme vont commencer, nous faisons le point sur les enjeux de l’alternance.

 

 

L’apprentissage, tout le monde est pour, mais…

L’affaire avait soulevé une mini-polémique sur les réseaux à la rentrée : le 30 août dernier, Antoine Frérot, PDG de Véolia, vantait les mérites de l’apprentissage sur les ondes de France Inter. Au cours de l’interview, la journaliste Léa Salamé lui demande s’il a poussé ses propres enfants dans cette voie. « Non je ne l’ai pas fait », a répondu le dirigeant, « parce que… étant brillants à l’école… et l’un voulant être médecin… L’autre peut-être, ma dernière, le sera, d’ailleurs, apprentie, mais en études supérieures ! Donc le problème ne s’est pas posé. »

Antoine Frérot a précisé par la suite, au sujet de l’apprentissage, qu’il « considère que c’est une voie d’excellence pour la jeunesse. Malheureusement, aujourd’hui, elle n’est pas considérée ni vécue comme telle. Je le déplore. Et c’est ce qu’il faut faire évoluer. » Cette phrase malheureuse et la mise au point subséquent auront donc servi à rappeler ce paradoxe : malgré des discours publics très favorables, l’apprentissage demeure associé dans l’imaginaire collectif à une voie réservée aux moins « brillants ». Un paradoxe d’autant plus frappant que ces dernières années, l’apprentissage se développe essentiellement… dans le supérieur !

Un sondage paru en même temps que l’étude de l’Institut Montaigne sur l’apprentissage nous confirme le phénomène. L’enquête nous révèle que les trois quarts des Français ont une bonne ou très bonne image de l’apprentissage ; mais dans le même temps, 56% des répondants estiment que cette filière a une mauvaise image. 81% voient dans l’apprentissage un bon moyen de trouver un emploi ; mais pour 75% des sondés, il est difficile de trouver un poste d’apprenti en entreprise.

Par ailleurs, l’étude révèle un assez bon niveau d’information sur le dispositif : environ 9 répondants sur 10 savent que l’entreprise perçoit des aides pour l’embauche d’un apprenti et que celui-ci est rémunéré. Il ne se trouve qu’un tiers des sondés pour considérer l’apprentissage comme réservé aux métiers manuels.

L’apprentissage bénéficie donc d’une excellente image, combinée à la conscience très nette de l’existence de blocages à son développement.

On connaît par ailleurs les chiffres de l’apprentissage chez certains de nos voisins : 56% des jeunes Allemands et les deux tiers des Suisses passent par cette filière, contre 26% des jeunes français.

 

Apprentissage et professionnalisation, les faux jumeaux

Il y a donc amplement de quoi justifier une réforme, et tout porte à croire que l’alternance sera un thème important de celle qui s’annonce dans la formation professionnelle.

Mais l’alternance, en France, ce n’est pas seulement l’apprentissage : c’est aussi la professionnalisation. Cette dualité est l’une des caractéristiques et l’une des complexités du système français d’alternance. Rappelons rapidement la différence entre les deux dispositifs.

  • L’apprentissage tel que nous le connaissons s’est structuré après la Première Guerre mondiale, avec notamment l’institution de la taxe d’apprentissage en 1925. C’est un système créé d’abord par l’Etat, qui dépend aujourd’hui des Régions. Il relève de la formation initiale. La partie pédagogique a lieu dans le cadre d’un centre de formation d’apprenti (CFA) ou d’une section d’apprentissage.
  • Le contrat de professionnalisation est né de la réforme de 2004. Il représentait à l’époque une simplification, en unifiant les différents types de contrats (de qualification, d’orientation…) créés depuis les années 1980 à l’initiative des partenaires sociaux. Ceux-ci assurent la gouvernance du dispositif dans le cadre des branches et des Opca. La professionnalisation relève de la formation professionnelle continue. La formation peut être délivrée par n’importe quel organisme de formation, privé ou public, ou même par le service formation de l’entreprise s’il est véritablement constitué.

Les deux outils ne s’adressent pas exactement aux mêmes publics, mais ceux-ci se recoupent néanmoins largement.

  • L’apprentissage est destiné aux jeunes de 16 à 25 ans. Il est possible de commencer à 15 ans à certaines conditions, et de poursuivre jusqu’à 30 ans dans certaines régions (à titre expérimental).
  • Le contrat de professionnalisation concerne également les jeunes de 16 à 25 ans, mais aussi les demandeurs d’emploi sans limite d’âge. Il existe par ailleurs un dispositif en alternance pour les salariés déjà en contrat : la période de professionnalisation.

 

Coût versus complexité

Les modalités, enfin, diffèrent pour partie. Dans l’apprentissage, la durée de la formation théorique est au minimum de 400 heures par an, voire plus (1850 heures sur 3 ans pour un bac pro), même si elle peut descendre à 240 heures si le contrat n’est conclu que pour un an. Pour le contrat de professionnalisation, le minimum est plus bas : 150 heures (mais au moins 15% à 25% de la durée du contrat, ce qui fait de l’ordre de 250 heures pour un temps plein).

Le contrat d’apprentissage fait par ailleurs l’objet d’un formalisme plus exigeant. Il est cependant moins coûteux (entre 25% et 78% du Smic suivant l’âge de l’apprenti et l’avancement du contrat) que le contrat de professionnalisation (entre 55% et 80% du Smic suivant l’âge et le niveau de formation, 100% du Smic à partir de 26 ans). Les exonérations de charges sont plus généreuses dans le cas de l’apprentissage (en particulier dans les entreprises de moins de 11 salariés).

Les deux dispositifs connaissent des évolutions différentes. Le nombre de nouvelles entrées en contrat de professionnalisation a augmenté presque continûment, pour approcher les 200 000 en 2016 (une progression d’un tiers depuis 2011), pendant que l’apprentissage reculait de 4% depuis 2010. L’effet « complexité » l’emporte donc sur l’effet « coût ».

 

Fusion or not fusion ?

Depuis quelques années, certains experts et certains acteurs en tirent la conclusion que les deux outils devraient, logiquement, converger. La piste ferait partie de celles envisagée par le gouvernement. Le Medef, comme nous le rappelions récemment, serait sans doute d’accord pour voir apprentissage et professionnalisation fusionner ou se rapprocher, à condition que cela se fasse au profit d’une gouvernance unique des partenaires sociaux sur l’alternance et la formation professionnelle.

La note publiée récemment par l’Institut Montaigne, sous la plume de Bertrand Martinot, ne retient pas tout à fait cette hypothèse. Pour l’ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, il faut conserver la dualité des systèmes, mais faire sauter trois « verrous » qui empêchent l’apprentissage de décoller : la complexité de la gouvernance, le manque de passerelles vers l’alternance et le déficit de réactivité de l’offre de formation en apprentissage.

Il formule donc trois propositions pour y parvenir :

  • Confier aux Régions la gouvernance de la formation professionnelle initiale en alternance. A l’heure actuelle, la carte des lycées professionnels est gérée par les rectorats (c’est-à-dire l’Etat), et celle des CFA par les régions. Dans la nouvelle organisation, le Conseil régional coordonnerait les deux, en étroite collaboration avec les branches et les Chambres consulaires. Les milieux économiques seraient donc associés pleinement à la définition et à la répartition de l’offre de formation initiale en alternance.
  • Créer des passerelles de transition pour préparer les jeunes les plus éloignés du système scolaire à l’insertion dans l’apprentissage. Selon Bertrand Martinot, en effet, « tous les pays qui ont massivement développé l’apprentissage au niveau des formations secondaires ont consacré des moyens considérables à ménager des périodes de transition ou de sas entre l’état scolaire (ou l’état de décrochage scolaire) et l’apprentissage. » En effet, poursuit-il sans mâcher ses mots, « la majorité des jeunes de 15-17 ans en cours de scolarité ou en situation de décrochage scolaire sont inemployables, quelles que soient les primes à l’embauche que l’Etat pourra créer pour inciter à leur recrutement. »

Il s’agit donc, ici, de permettre à l’alternance de jouer pleinement son rôle d’insertion, en s’adressant à des publics difficiles. Utile rappel du fait que développer l’alternance dans le supérieur – une politique suivie avec succès – ne suffit pas. Le rapport recommande donc de généraliser les dispositifs existants (comme le Dima dans les collèges) et d’en créer de nouveaux (notamment en lien avec les missions locales).

  • Rapprocher les programmes des besoins des entreprises. Cela suppose de renforcer la part des enseignements « métier » dans les formations, et d’accélérer la mise à jour des programmes existants. Le rapport suggère d’impliquer davantage les branches et les partenaires sociaux dans la conception et l’actualisation des référentiels des diplômes, et de fixer des délais maximaux. Par exemple, la création d’un nouveau diplôme ne devrait pas prendre plus de 18 mois, la rénovation d’un référentiel pas plus de 6 mois.

 

La solution proposée par l’Institut Montaigne n’est sans doute pas la seule, mais elle a le mérite de bien souligner les principaux enjeux d’une réforme de l’alternance : simplifier l’accès à l’apprentissage, accroître la réactivité de la formation professionnelle par rapport aux changements des métiers, et donner une cohérence à la formation initiale en alternance. Des évolutions qui ne pourraient que bénéficier aux stagiaires comme aux entreprises.

 

Crédit photo : fotolia/Alexi Tauzin

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