La formation professionnelle au Royaume-Uni : l’entreprise aux commandes

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Nous poursuivons notre tour d’Europe des systèmes de formation professionnelle en abordant les rivages du Royaume-Uni. Comment la formation continue des adultes est-elle financée et organisée outre-Manche ? Y a-t-il des spécificités du système britannique ? Comment se situe-t-il par rapport à ceux des autres pays européens ? Eléments de réponse.

 

Un système peu régulé

Comme nous l’écrivions en janvier dans notre article sur les systèmes européens, le Cedefop identifiait 4 groupes de pays dans le rapport à la formation professionnelle. Le Royaume-Uni et l’Irlande formaient presque à eux seuls un de ces groupes : celui des pays dans lesquels « formation professionnelle » désigne d’abord la formation continue des adultes dans une perspective d’adéquation avec les besoins des entreprises.

De fait, le système britannique de formation professionnelle apparaît peu régulé, et l’investissement formation se fait essentiellement à l’initiative des entreprises. Il existe cependant des programmes d’aides publiques, mais d’ampleur relativement limitée. De plus, en période d’austérité, la tendance est à la baisse. Le budget « formation des adultes » de l’agence de financement des compétences et de l’éducation (Education and Skills Funding Agency) est passé de 2,26 Mds£ à 2 Mds£ (2,6 Mds€ à 2,3 Mds€) entre les exercices 2014-2015 et 2015-2016. Le nombre de formations d’adultes financées publiquement baisse continument depuis 2011.

 

Une mutualisation limitée

Des dispositifs existent cependant pour favoriser la formation des adultes. Il n’existe pas de système généralisé de mutualisation comme en France : pas d’Opca outre-Manche. Mais des fonds de mutualisation locaux ou par branches peuvent se former ponctuellement. 17% des employeurs versent ainsi une contribution à des fonds de mutualisation, et 14% perçoivent des sommes de ces fonds.

Les aides à la formation proviennent avant tout de l’Etat, dans les 4 nations qui composent le Royaume-Uni. L’action publique comprend :

  • Le « Employer Ownership of Skills Pilot » : c’est un programme de 340 millions de livres sur 4 ans, initié fin 2011 et dont le deuxième « round » vient d’être lancé. Les entreprises peuvent demander des financements en présentant des projets qui doivent remplir des critères de création d’emploi, d’accroissement des compétences et de stimulation de la croissance économique.
  • Les Local Entreprise Partnerships (LEP) sont des partenariats locaux qui mobilisent des fonds publics et européens, sur des critères négociés avec les autorités locales. 39 LEP ont été mis en place.
  • Il existe également des partenariats industriels ciblés (Industrial Partnership), qui peuvent bénéficier de fonds publics dans le cadre du « Employer Ownership of Skills Pilot ». 8 de ces partenariats ont été conclus. Les industriels abondent les fonds publics à hauteur de 1,7£ pour 1£ de subvention.
  • Il est également possible aux salariés de contracter des emprunts publics pour payer leur formation, dans la logique du financement des études supérieures au Royaume-Uni.

 

Quel type de formations ?

Les entreprises britanniques se caractérisent par un recours plus fréquent qu’ailleurs aux formations en interne, ainsi qu’aux formations informelles. Selon l’enquête CVTS, 63% des entreprises britanniques ont organisé des formations en situation de travail pour leurs salariés en 2015. En 2010, la moyenne européenne était de 34% (23% en France). Si l’on considère la proportion des salariés (et non plus des entreprises), 30% des Britanniques avaient bénéficié d’une formation informelle en 2010, contre 20% en moyenne européenne.

Logiquement, les entreprises britanniques ont également davantage recours aux formations en ligne, suivies directement par le salarié. Le baromètre Cegos réalisé en 2016 sur 6 pays européens (France, Italie, Espagne, Portugal, Allemagne, Royaume-Uni) classe la Grande-Bretagne au premier rang pour l’utilisation du e-learning (62% des entreprises répondantes, contre 50% en moyenne) et du blended learning (53% contre 46%). Et les salariés britanniques sont les moins friands de formation en présentiel, selon la même étude.

« Beaucoup de pays européens ont des marchés du travail plus régulés que celui du Royaume-Uni, et il est important de noter que les formations non certifiantes peuvent être de haute qualité et mieux adaptées aux besoins du salarié », commente la Skills Commission du Parlement britannique.

Cette conception de la formation continue comme l’adaptation des compétences aux besoins de l’emploi se retrouve dans la composition des formations financées : selon le Employer Skills Survey, 85% de celles-ci sont des formations métier, « job specific ». Derrière viennent la santé et la sécurité (74%), généralement obligatoires. 58% sont des formations d’intégration. Les technologies de l’information (48%) et le management (35%) ne viennent qu’ensuite.

Lorsqu’elles sont confiées à des structures extérieures, les prestations de formation sont délivrées concurremment par les établissements d’enseignement supérieur (colleges et universités) et par des organismes de formation indépendants.

 

Un effort de formation apparemment moindre qu’ailleurs en Europe…

Selon l’enquête européenne CVTS (Continuing Vocational Training Survey), seuls 30% des salariés britanniques ont bénéficié d’une prestation de formation en 2015 : c’est sensiblement en-dessous de la moyenne européenne (41%), et bien derrière la France (48%). La part des entreprises qui financent des prestations de formation pour ses salariés a baissé, alors qu’elle augmentait dans beaucoup d’autres pays européens, selon la commission compétences du Parlement britannique (Skills Commission).

La durée des formations suivies est en-dessous de la moyenne européenne, et la moitié de ce qu’elle est en France. Quant à l’apprentissage, il est proposé par 15% des employeurs britanniques, contre un quart à un tiers de leurs homologues autrichiens, allemands ou suisses.

Toujours selon les données CVTS (pour l’année 2010), la formation continue a représenté 4 heures pour 1000 heures travaillées dans les entreprises britanniques, contre 6 en moyenne européenne et 8 en France. Les mêmes ordres de grandeur sont respectés si on considère la part des dépenses monétaires directes de formation dans la masse salariale : 0,6% en Grande-Bretagne, 0,8% en moyenne européenne, 1% en France.

 

…ou un effort de formation différent ?

Une autre source statistique nous donne un tableau très différent : c’est le Employer Skills Survey de la Commission pour l’emploi et les compétences (Commission for Employment and Skills), un organisme financé sur fonds publics qui a fermé ses portes en mars 2017. Les données les plus récentes concernent 2015.

Selon cette source, près des deux tiers des employeurs britanniques forment leurs salariés chaque année, soit sensiblement plus la moyenne européenne. La dépense formation des organisations est évaluée à 45,4 Mds£, soit près de 52 Mds€. Cette évaluation est nettement supérieure aux 14,3 Mds€ revendiqués par les entreprises françaises, et même aux 32 Mds€ consacrés au total à la formation en France. Comment s’explique ce paradoxe ?

Une bonne part de la différence provient sans doute du fait que les périmètres ne sont pas les mêmes. Le Employer Skills Survey inclut tous les salariés de toutes les organisations publiques et privées, à partir de 2 travailleurs (employeur inclus). Soit environ 27 millions de salariés. L’étude CVTS ne s’adresse qu’aux entreprises du secteur privé de 10 salariés et plus – soit environ 18 millions de salariés au Royaume-Uni.

Par ailleurs, le chiffre inclut tous les coûts des formations réalisées en interne, qui représentent environ la moitié du chiffre total (51%). Celles-ci sont valorisées à 13,9 Mds£ en coût salarial des apprenants, et 8,7 Mds£ en coût salarial des salariés formateurs. Ces coûts salariaux incluent, semble-t-il, une mesure de la perte de productivité occasionnée, en plus des coûts salariaux. Et sur le versant « achat de formation à l’extérieur », on remarque que sur 19,7 Mds£ de dépenses de formation, 7,7 Mds£, soit près de 40%, correspondent aux frais de « training management ». Soit, peut-on supposer, le salaire des responsables formation et RH chargés de gérer la formation dans l’entreprise, ou le coût du prestataire externalisé.

Cette digression vise surtout à souligner la difficulté des comparaisons chiffrées. Mais le rapport nous confirme également la structure très différente des dépenses de formation au Royaume-Uni : la place de la formation en interne y est largement plus importante. Sur ce point, toutes les données convergent. L’enquête CVTS (2010) distingue le Royaume-Uni comme le pays dans lequel les frais d’achat de formation directs occupent la part la plus réduite de la dépense totale ; et les employeurs britanniques consacrent 38% de leur dépense de formation à payer des formateurs internes (29% en France).

 

Le système britannique de formation continue apparaît donc largement décentralisé, peu régulé, et centré sur les besoins de l’entreprise. Les salariés britanniques, selon le baromètre Cegos, semblent apprécier leur système de formation : 47% s’en disaient « très satisfaits » en 2012, le plus haut score des 6 pays sondés. Et même si les écarts ne sont pas très importants, ils sont les plus nombreux (91%) à se considérer comme bien informés, et les plus satisfaits de la politique formation de leur entreprise. On se situe, il est vrai, dans un pays où la relation au travail et à l’entreprise est assez différente de ce qu’elle est en France, ou même sur le continent.

Crédit illustration : fotoliaJ BOY

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