Interview de Jérôme Guilmain : la gestion de la formation dans le secteur du retail

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Jérôme Guilmain est Directeur du département « Grands projets de Formation » chez  Forwork. Il est un expert reconnu de la formation dans la grande distribution. Après avoir assuré le développement du département formation du Groupe Supporter de 1994 à 2000, il a créé en 2001 la société Forwork, spécialisée dans la formation dans le monde du retail. Il a lancé par la suite une offre complémentaire de gestion de la formation en 2005, SaaSValue qui édite la solution SaasTraining utilisée aujourd’hui par 75 000 personnes dans une dizaine de pays.


Management de la formation : Bonjour Jérôme. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Jérôme Guilmain : Après avoir assuré le développement du département formation du Groupe Supporter de 1994 à 2001, j’ai créé la société Forwork spécialisée dans l’animation des grands projets de formation dans le monde du retail. J’accompagne donc depuis plus de 10 ans des groupes de la distribution dans l’organisation et l’animation de leurs formations. Je travaille par exemple avec  Sephora, Marionnaud, Yves Rocher, 5Asec, Leroy Merlin, SFD, H&M, Top Office, NafNaf, La halle aux chaussures, etc.

Et toujours pour les enseignes, j’ai lancé en 2005 une application de gestion de la formation, SaasTraining, dédiée à la planification, à l’organisation et à la gestion des formations. Nous avons aujourd’hui plus de 12.500 points de vente qui gèrent leurs formations avec cette solution SaaS.

Management de la formation : Au cours de cette vingtaine d’années en tant qu’observateur et acteur de la formation dans le retail, quelles évolutions avez-vous pu constater ?

Elles sont nombreuses. Si on met de côté les changements technologiques et les évolutions juridiques, et que l’on se limite à la place de la formation au sein des enseignes, on peut dire qu’en deux décennies, on est passé d’une formation « Administrative » à une vraie formation « Business Partner ».

Management de la formation : C’est-à-dire, qu’est-ce qu’une formation « Administrative » et une formation « Business Partner » ?

La fonction formation requiert bien sûr une gestion administrative, particulièrement en France. Il y a quelques années encore, l’essentiel des ressources des services formation était concentré sur l’exécution de ces formations. Le principal intérêt dans la mise en place des actions de formation était l’existence de l’action elle-même, pas forcément ses résultats. De façon un peu simpliste et directe, je dirai que ce qui était important était plus de savoir si le vendeur avait été formé, que s’il avait performé.

Avec une conjoncture économique plus défavorable et hiératique, la nécessité d’un résultat tangible, chiffré, s’est fait sentir. Les décideurs des grandes enseignes ont souhaité justifier les dépenses, parfois pléthoriques, des vagues de formation sans réel objectif commercial, ni d’ailleurs parfois d’objectif tout court. En définitive, les dirigeants des enseignes attendent de la fonction formation une vraie contribution au business, une mise en lumière et une mise en avant de son ROI.

Management de la formation : La notion de ROI est très souvent évoquée et accolée au mot formation. Mesurer ce fameux ROI de la formation est-ce vraiment faisable ? N’est-ce pas trop  complexe à mettre en œuvre et donc au final très coûteux ?

D’abord, il ne s’agit pas d’occulter les autres résultats attendus de la formation, plus qualitatifs ceux-là. La formation est et restera un formidable vecteur de la culture de l’entreprise, un facteur de développement des motivations, parfois un révélateur de talents. Dans la vente, ces aspects constituent évidemment des éléments clés à ne pas négliger.

Concernant le « ROI », c’est vrai que l’expression peut prêter à sourire. Tellement utilisée, qu’elle est presque vidée de son sens aujourd’hui. Je pense néanmoins que dans le cadre de la distribution, la mesure du coût et du résultat est souhaitable, faisable et opérable.

Dans le retail, 80% des formations concernent les forces de ventes. Les formations peuvent être circonscrites à un magasin, un secteur, une région. Le chiffre d’affaires additionnel émanant directement des actions de formation peut donc être identifié par comparaison et rapprochement.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’optimiser le budget formation en réduisant par exemple l’enveloppe financière allouée au sujet mais bien d’apporter la preuve de la contribution directe de la formation à l’activité opérationnelle des points de vente. Dans la distribution, la formation rapporte de l’argent ! Il s’agit de le montrer en répondant factuellement à la question « est-ce que je vends plus et mieux quand je forme mes vendeurs ? ».

Management de la formation : Sur ce thème du ROI et de la mesure du résultat, vous auriez un exemple concret à nous faire partager ?

Prenons le cas d’un des acteurs majeurs de la parfumerie sélective.
L’entreprise en question avait un bon positionnement et de bons résultats. Avec le temps, cette réussite n’a fait que se confirmer au point de relancer, à elle seule, l’ensemble de ce marché. Bien entendu, elle est le résultat d’un effort général, durable, de chaque département et pas seulement de la RH ou du Marketing. Comme toujours, la chaîne n’a la solidité que celle de son maillon le plus faible.

En matière de projet de formation, comme dans toute gestion de projet, deux éléments sont importants :
– 1. L’établissement d’un état des lieux pour « factualiser » l’éventuelle rentabilité des actions de formation en t+1 ;
–  2. L’adéquation de l’environnement de travail aux objectifs de la formation. C’est la cohérence des moyens alliés à la motivation et aux compétences qui produit la performance.

Il y a quelques années, le turn over était très élevé, tandis que le panier moyen, le nombre d’articles par panier et le prix moyen par article pointaient à grand peine dans la moyenne basse du marché. Pour l’essentiel, les ventes étaient réalisées en libre service.

Très vite, la nouvelle direction, considérant que le retail est tout autant une histoire d’hommes que de concept, le mot d’ordre a été de développer les compétences des équipes de vente sur les axes produits, service et relation Client. De ces compétences allait dépendre la capacité de l’enseigne à se différencier, fidéliser la clientèle, réussir le lancement de marques exclusives et, d’une manière générale reprendre la parole sur le marché de la Parfumerie Sélective.

Une école de formation a donc été crée, chargée de développer les compétences de ces 3 grands domaines : produits, services et relation Client.
Le résultat ne s’est pas fait attendre. En 12 mois, le turn over a très fortement diminué. Les indicateurs tels que le panier moyen (PM), le nombre d’articles par panier NAP), l’indice de vente (IDV) ont tous augmenté tout en manageant les ventes au profit commun des Clients et de l’enseigne.

Il n’est pas toujours évident d’isoler parfaitement les effets de la formation avec d’autres facteurs d’améliorations (communication, management, organisation, etc.). Ici, la comparaison « avant » / « après » du programme de formation met en évidence une valeur ajoutée indiscutable de l’effort de formation au travers les ratios que nous venons d’évoquer :

  • Réduire fortement le Turn over de plus de 3 500 conseillères de vente, vendeurs et managers, représente une économie RH considérable tout en garantissant un accroissement des compétences mécanique et une optimisation des dépenses de formation ;
  • Remonter les indicateurs quantitatifs parle de soi-même ;
  • Valoriser les marques exclusives par le conseil fidélise les Clients, améliore la qualité de la marge commerciale et la satisfaction Client tout en accroissant les parts de marché,

Enfin, l’aspect vertueux du processus devient incitatif, en augmentant la désirabilité de l’enseigne auprès des candidats grâce à  sa notoriété, la fierté d’appartenance retrouvée et une rémunération motivante rendue possible par la mesurabilité de la performance. La boucle vertueuse est alors bouclée !

Management de la formation : Avec cet exemple on voit bien que dans un délai assez court, la formation peut produire des résultats tangibles qui se diffusent dans toute l’organisation. Dans le cas que vous citez les facteurs clés du succès semblent être une bonne gestion de projet (des objectifs clairs),  le « t zéro » (l’état des lieux), l’environnement de travail (le contexte de la formation). Alors comment fait-on pour prouver les bénéfices de la formation? 

Il faut d’abord donner de la visibilité aux responsables formations, aux DRH, aux dirigeants, en apportant des éléments de preuve de la valeur ajoutée de la formation. Dans le monde du retail, nous suivons des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. En voici quelques exemples. Tout d’abord quantitatifs :

  • Le panier moyen (PM)
  • Le nombre d’articles par panier (NAP)
  • L’indice de vente (IDV)
  • Le taux de transformation (TT)

Puis qualitatifs :

  • Courriers Clients
  • Encartage (Carte de fidélité)
  • Client mystère
  • Focus group Clients

Pour se faire, il faut se concentrer sur l’analyse des résultats et non sur l’administration logistique en amont des actions de formation ou financières plutôt en aval.

Dans le retail, les formations concernent un public homogène avec beaucoup de participants. Les activités de front office et de back office doivent être industrialisées –dans le bon sens du terme- et être parfaitement huilées. J’entends par front office les tâches d’organisation, de planification, de départ en formation et de logistique, et par back office les tâches de gestion administrative, de déclarations, de financement et de relations avec l’OPCA.

Un grain de sable dans les rouages logistiques peut par exemple ruiner tous les efforts de dynamisation d’une équipe commerciale sur un nouveau produit. Quand 100 vendeurs se retrouvent sur un quai de gare sans billet de train ou dans une ville sans chambre d’hôtel, quelle image vont-ils retenir du nouveau produit à l’origine de leurs déboires ?

Ces activités de front et back office de la formation sont importantes mais non contributives à la valeur ajoutée « business » attendue de la formation. Ou alors que dans un sens négatif ! Si on veut que le bénéfice de la formation en salle soit maximisé, la gestion du « hors salle » doit être fluide.

Pour accompagner les enseignes dans cette visibilité des résultats de la formation et dans cette fluidité de gestion, des outils et des services existent sur le marché : solution SaaS, conseil opérationnel, accompagnement, externalisation spécialisée, etc.  Charge à chacun de les évaluer avec objectivité et d’y faire appel selon ses besoins.

Management de la formation : Pour les prochaines années, comment voyez-vous évoluer la formation dans la distribution ?

Je confirmerais la tendance évoquée : le passage d’une activité technico-fonctionnelle à un positionnement business en renforçant la qualité du service délivré dans les différentes étapes de la chaîne de valeur Formation : l’excellence de la logistique, l’ingénierie centrée sur la vente, le pilotage financier, l’accompagnement opérationnel des agences ou des points de vente.

Avec cette corrélation directe entre l’activité de formation et le chiffre d’affaires, le Directeur de la formation a toute sa place au sein des comités de direction de la grande Distribution.

 

 

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Date de l’interview : 15 juin 2012

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