Entretien avec Jonathan Pottiez (1/3) – pourquoi et comment évaluer la formation ?

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Jonathan Pottiez est expert en évaluation de la formation. Docteur en sciences de gestion, il est aujourd’hui consultant et responsable de l’Académie Agesys. Il est l’auteur d’un ouvrage sur L’Evaluation de la Formation, dont la 3e édition a paru en 2021. Il a collaboré également à divers ouvrages dont Le Grand Livre de la Formation. A l’époque de cet interview, il était directeur produit et innovation chez l’éditeur Formaeva. 

 

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Mis à jour le 17 janvier 2023

Management de la formation : Bonjour Jonathan. Vous êtes un expert de « l’évaluation de la formation ». Avant d’échanger sur ce sujet, pourriez-vous nous définir ce que c’est ?

Jonathan Pottiez : Bonjour, et merci de me donner l’occasion d’échanger avec vos lecteurs sur cette thématique. Alors qu’est-ce que l’évaluation de l’efficacité de la formation ou plutôt à quoi ça sert ?

L’évaluation de la formation permet tout simplement de déterminer si la formation a atteint les objectifs qui lui ont été assignés. Cela nécessite donc de définir en amont les objectifs de la formation. C’est tout simplement du bon sens que l’on retrouve dans tous les domaines de l’entreprise : pourquoi devons-nous embaucher ? Pourquoi devons-nous modifier le système de rémunération des commerciaux ? Pourquoi déployer tel plan commercial ? Etc.

Pour moi, l’évaluation de la formation est la petite cerise sur le gros gâteau de la formation.

Je m’explique : dans la plupart des entreprises, l’évaluation est souvent réduite à sa plus simple expression, un questionnaire d’évaluation au format papier qui sert à détecter une éventuelle insatisfaction et qui est archivé dans un placard. Il est distribué et complété en cinq minutes, est analysé en moins de temps encore !

Or, la formation demande beaucoup d’efforts, de moyens, de ressources. Elle représente environ 30 milliards d’euros chaque année de dépenses en France, dont la large partie -12 milliards d’euros- à la charge des entreprises [NDR : voir sur ce point notre chiffre du mois]. Mais quelle est sa réelle contribution à la performance de celles-ci ? S’agit-il d’une dépense ou d’un investissement ? Ces questions sont posées de plus en plus fréquemment par les directions générales et les réponses manquent encore cruellement chez les Directeurs de la Formation.

 

Management de la formation : Alors pourquoi en est-on là aujourd’hui ?

Tout d’abord, tous les acteurs de la Fonction formation ne sont pas encore des gestionnaires, au sens « formés à la gestion ». C’est une fonction dont les titulaires ont des origines variées. Ce sont plutôt des administratifs, des juristes, des pédagogues, des psychologues… De ce fait, ils ne sont pas forcément à l’aise avec les méthodes d’évaluation. La logique de gestion, consistant à utiliser au mieux les ressources à disposition en vue d’obtenir des résultats, ne leur est pas naturelle. Ils n’ont pas été sensibilisés à la nécessité de compter. Or, c’est maintenant ce qui leur est demandé.

Ce point est renforcé en France par le cadre légal qui accumule les lois et les décrets. La gestion de la formation est devenue une sorte d’imbroglio administratif incompréhensible qui renforce le caractère administratif de la Fonction formation.

De plus, ce cadre légal met l’accent depuis 1971 sur le fait de former toujours plus et pas forcément toujours mieux. De façon cumulative, il incite à mettre davantage de moyens dans la formation sans pour autant en évaluer l’efficacité.

Ainsi 80 % du temps et de l’énergie d’un Responsable Formation (RF) est concentré sur les coûts, les volumes, le suivi administratif. Quand le RF a fini de « digérer » tout ça… il est épuisé et n’a peut-être plus que 20 % de son temps, tout au plus, à consacrer aux vraies questions de formation. Il n’a jamais eu le temps de vraiment s’intéresser à l’efficacité de sa fonction, de sa contribution à la stratégie de l’entreprise.

C’est pour ça qu’Alain Meignant [enseignant, expert de la formation, et auteur entre-autres de « Manager la formation » aux Editions Liaisons] distingue bien l’administration de la formation et le management de la formation. Outre les pratiques d’évaluation, c’est toute une culture de l’évaluation et du résultat en formation qu’il convient de développer.

 

Management de la formation : En fin de compte, la formation est considérée en France comme de l’événementiel ?

Exactement ! On ne la gère pas comme un processus mais comme un événement ponctuel : « Demain vous partirez deux jours en formation et puis vous reprendrez le travail comme si de rien n’était ». L’amont et l’aval de la formation ne sont que très rarement formalisés : analyse du besoin bâclée, absence d’objectifs de formation concrets, implication variable des managers dans le suivi du transfert des acquis… À croire que l’on considère qu’il suffit de former pour que les collaborateurs apprennent, transfèrent leurs acquis et que cela ait un impact sur les résultats de l’entreprise.

La Fonction formation, en tant que fonction support, devrait consacrer l’essentiel de son temps à accompagner les managers opérationnels dans leurs problématiques de gestion des compétences, le cadre dans lequel elle s’exerce depuis 40 ans l’a confinée dans un rôle de fonction administrative, de plus en plus isolée des besoins réels de l’entreprise.

La conséquence est claire : de par la complexité de cette gestion administrative, les entreprises sont obligées aujourd’hui, si elles veulent s’en sortir, de confier aux OPCA et/ou d’externaliser auprès d’entreprises spécialisées une partie de l’administration de leurs formations.

 

Management de la formation : Le tableau est bien noir… Alors que peut-on faire ? Comment procéder ? Vous avez des pistes…

Il y a pléthore de techniques, d’outils et de méthodes. En la matière, il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie. Celle qui me semble la plus pertinente est le modèle de Donald Kirkpatrick, un chercheur américain qui avait réfléchi aux résultats possibles d’une formation, il y a fort longtemps déjà, en 1959. D’après lui, il y a quatre niveaux d’évaluation d’une formation possibles.

 

Management de la formation : Pouvez-vous nous les décrire ?

1. Les réactions, ou satisfaction. Comment ont réagi les participants à l’issue de la formation ? Ont-ils apprécié celle-ci ? En sont-ils satisfaits ? Il est aussi fréquent de parler d’évaluation « à chaud », même s’il n’y a qu’en France que l’on dit ça. « À chaud », « à froid », ce ne sont que des temps d’évaluation. Il faut raisonner en niveau d’évaluation et non en temps d’évaluation, sinon l’on ne met pas le focus sur ce que l’on recherche à évaluer qui est plus important que le moment où l’on évalue. Après tout, on peut aussi mesurer la satisfaction durant la formation, et l’on parlerait peut-être d’évaluation « bouillante », voire plusieurs mois après la formation… une évaluation « glaciale » ?

Plus de 90 % des entreprises pratiquent cette évaluation de niveau 1 et le font de manière formalisée, généralement à l’aide d’un questionnaire.

2. Les apprentissages. Quels sont les acquis des participants suite à la formation ? C’est au RF ou au formateur de définir clairement, au début de la formation, les apprentissages prévus dans la formation, donc les objectifs… On y revient toujours !

Les méthodes d’évaluation sont nombreuses, qu’elles soient utilisées pendant la formation, avant ou après celle-ci : des mises en situation, des études de cas, des questionnaires d’évaluation des connaissances, une autoévaluation du participant à partir des objectifs de formation… En 2011, 55 % des entreprises avaient recours à une évaluation formalisée des acquis.

3. Les comportements, ou transfert des acquis de la formation. Est-ce que les participants utilisent ce qu’ils ont appris en formation en situation de travail ? Fréquemment nommée évaluation « à froid », elle a lieu plusieurs semaines ou mois après la fin de la formation, et est rarement mise en œuvre de façon formelle (35 % des entreprises en 2011). Pourtant, c’est un moment clé car c’est à cette occasion que les acquis de la formation cessent d’appartenir uniquement au collaborateur et sont transférés, pour partie, à l’entreprise. Mais ce transfert ne se fait pas naturellement ; la phase post-formation est déterminante. Le manager y a un rôle crucial et doit soutenir le collaborateur formé dans l’utilisation des acquis, lui donner des occasions de les utiliser, des moyens, du temps… Or, c’est souvent là que le bât blesse. Parce que la formation n’est pas pensée comme un processus de A à Z, seuls 10 à 30 % des acquis de la formation sont utilisés au poste de travail. Je vous laisse imaginer la tête que ferait un directeur financier en lisant que, dans le pire des cas, 90 % du budget formation ne se transforme pas en compétences utiles pour l’entreprise…

4. Les résultats. Quel est l’impact de la formation sur les résultats de l’entreprise ? La formation commerciale a-t-elle permis d’augmenter le chiffre d’affaires ? Celle en management a-t-elle permis de diminuer le taux d’absentéisme ? Les exemples sont nombreux. Ce niveau pose la question des indicateurs de résultats. Il n’y a pas de bons indicateurs dans l’absolu : les seuls indicateurs pertinents sont ceux qui auront été définis en amont avec les commanditaires de la formation. Ceux-ci vont en effet être les premiers juges de l’efficacité, ou de la non-efficacité, de la formation. Il leur appartient donc, avec l’aide du RF, de définir les critères de succès de la formation, donc les indicateurs à suivre.

 

Management de la formation : On imagine que c’est ce niveau qui intéressera en priorité les entreprises. Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?

Bien sûr. Une banque décide de former ses conseillers à un nouveau produit d’épargne. Le directeur commercial « commande » auprès du RF une formation de deux jours afin de former l’ensemble des conseillers du réseau. La première réaction du RF est généralement de retourner dans son bureau travailler sur le contenu du programme, la sélection des prestataires, l’organisation logistique à prévoir, etc. Éventuellement, une rapide analyse du besoin sera menée, mais rarement avec un livrable explicite, tels que les résultats opérationnels visés.

Les conséquences de cet empressement ? La formation proposée ne répond pas nécessairement à un besoin, une autre solution potentiellement plus efficiente n’a pas été identifiée, etc. Par ailleurs, lorsque la question de l’efficacité de cette formation sera posée au RF, celui-ci sera bien désarmé pour y répondre, faute d’avoir identifié les critères de succès adéquats.

Pour bien faire, le RF aurait dû travailler à l’identification des éléments de preuve de la valeur de la formation attendus par les commanditaires de la formation, comme une augmentation de 20 % des ventes sur ce produit, et, donc, construire l’évaluation qui permettra de leur fournir ces preuves.

C’est pour cela que je préfère ne pas parler de retour sur investissement (ROI : Return on Investment) mais de retour sur les attentes (ROE : Return On Expectations). Le RF va ici challenger les commanditaires dans la définition de leurs objectifs de résultats, être force de proposition, réfléchir aux moyens à mettre en œuvre en parallèle afin d’intégrer la formation dans un dispositif plus large, comme le plan marketing, une prime de résultats pour les commerciaux… bref, se comporter en véritable partenaire d’affaires.

 

Dans la suite de l’interview de Jonathan Pottiez, nous abordons les étapes à suivre pour construire votre propre système d’évaluation.

Les parties 1 et 2 sont tirées d’un entretien réalisé le 23 octobre 2012, la partie 3 d’un entretien de juin 2013.

Crédit photo : ©Formaeva

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7 commentaires

  1. Merci pour cet article !
    Il est en effet très rare que le processus de formation comprenne une analyse des besoins en amont, et une vraie prise en charge des retours en aval.
    Les entreprises prennent trop peu le temps d’analyser ces 4 niveaux d’évaluation, quand bien même cette analyse ROE est proposée… Dommage quand on pense que les ROI sont des données indispensables pour tout bon gestionnaire.

    • Merci Bérangère pour votre commentaire.
      Il est vrai que les entreprises n’évaluent pas suffisamment le ROI ou le ROE
      de la formation, et ce quel que soit le niveau d’évaluation auquel on se
      situe.
      Mais les pratiques d’évaluation se développent et les démarches
      opérationnelles de mise en œuvre se professionnalisent (cf. la 2e partie de
      cet échange avec Jonathan Pottiez : http://bit.ly/XksaRb).

  2. Effectivement, l’amont et l’aval de la formation sont encore rarement pris en compte, mais cela tend à changer.

    L’erreur serait de considérer que tout se joue en formation, alors que les conditions dans lesquelles les collaborateurs partent en formation puis reviennent à leur poste de travail sont déterminantes.

    L’évaluation est ainsi un excellent moyen de s’assurer qu’ils sont correctement accompagnés avant et après la formation. Sans quoi, il ne faudra pas espérer qu’ils transfèrent ce qu’ils ont appris. On aura alors formé pour rien… ce qui est tout sauf sain en matière de gestion de la formation, surtout en contexte de rigueur économique.

  3. Bonjour, je rejoins tout à fait le constat qui consiste à dire que l’amont comme l’aval souffrent d’un manque réel de prise en compte et de considération dans le processus global « du projet de formation ».
    Un levier qui selon moi finira par porter ses fruits demeure celui de la stratégie que l’organisme de formation sera capable de mettre en place pour impliquer le plus activement possible l’entreprise dans ces 2 phases au combien essentielles pour la pérennité du projet et donc son ROI.
    Merci pour l’article !!!

  4. Bonjour, merci beaucoup pour cet article très riche. En effet, l’évaluation de la formation est une véritable casse tête pour les entreprises surtout en Afrique et particulièrement en CI ou je me trouve. C’est un défi majeur pour moi de trouver une méthode et des outils assez pratiques, simples d’utilisation pour les entreprises. J’estime que la formation est assez essentielle dans le développement des compétences des employés et de la performance des organisations, seulement j’ai comme l’impression que le processus de mise en oeuvre semble assez lourd pour les RF. Et comme les comités de direction n’ont pas encore compris que l’évaluation si elle est bien menée constitue un support assez efficace dans la précise de décisions pertinentes, ils n’en font pas une priorité et exigence. Je pense que la solution serait de pouvoir proposer des outils assez simple à utiliser.

    • Bonjour et merci de votre commentaire.

      Les outils et méthodes d’évaluation existent et peuvent, s’ils sont bien pensés et conçus, être assez simples à mettre en oeuvre. A titre d’information, je vais publier un ouvrage chez Dunod en juin (« L’évaluation de la formation ») qui comporte de nombreux exemples.

      Mais l’évaluation de la formation n’est pas tant un problème technique qu’organisationnel. Construire un « bon » questionnaire d’évaluation est assez simple en soi. Ce qui importe, c’est de changer la manière de faire de la formation aujourd’hui, de travailler dès l’amont avec les commanditaires sur l’analyse des besoins, la définition des objectifs, etc. C’est donc au responsable formation d’être « moteur » sur cette manière de faire, sans attendre que cela soit une demande/exigence des commanditaires.

      Bon courage !

  5. Merci pour cet article fort intéressant. A partir du moment où il y a un « investissement », en l’occurrence une formation, une évaluation est nécessaire pour juger s’il a été utile ou non… C’est vrai que les entreprises ont tendance à ne pas prendre assez en compte les besoins en amont comme en aval d’une formation.

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