Repères

Pour ses 20 ans, la VAE au plus bas depuis 2004

La validation des acquis de l’expérience (VAE) a eu 20 ans le 17 janvier dernier. En guise de cadeau d’anniversaire, trois professionnels de la formation ont remis en mars dernier aux ministères concernés un rapport proposant de transformer la VAE en REVA, la reconnaissance de l’expérience et de la validation des acquis. Il était temps : en 2020, la VAE a affiché ses plus mauvais résultats depuis 2004. Où en est-on, et quels sont les enjeux de la transformation proposée ? Quelques repères.

 

La VAE est aujourd’hui plus que jamais d’actualité, en tant qu’outil de reconversion et d’optimisation du marché du travail. Pour les salariés, c’est un moyen de valoriser leur expérience et de progresser professionnellement. Pour les entreprises, c’est un moyen d’accompagner les parcours et les mobilités. Mais la VAE telle qu’elle est issue de la loi de 2002 est-elle vraiment adaptée à ces enjeux ?

C’est pour répondre à cette question que 5 ministères ont confié en décembre 2019 à 3 experts du sujet le soin d’identifier les freins à la VAE et de formuler des propositions pour les lever. Il s’agit de Claire Khecha, alors DG de Constructys, de Yanic Soubien, formateur et ancien conseiller régional de Basse-Normandie, et de David Rivoire, consultant et dirigeant du cabinet Les 2 Rives, créé en 2002 et spécialiste de la première heure de l’accompagnement à la VAE. Le rapport qui en est résulté est semble-t-il prêt depuis fin 2020, mais sa publication a été différée jusqu’à 2022.

 

20 ans après : un dispositif en perte de vitesse

Fervents promoteurs des possibilités offertes par la VAE, les rapporteurs sont sévères avec le dispositif issu de la loi de 2002 : « Au départ enthousiasmant et porteur d’espoir en termes d’évolution professionnelle ou de reconversion, ce dispositif est aujourd’hui engoncé dans un fonctionnement manquant de cohérence et de mutualisation des pratiques ».

Le rapport ne s’étend pas, cependant, sur le bilan quantitatif. Nous avons donc compilé les données des Jaunes Budgétaires de 18 dernières années (période 2004-2020). Il s’agit de chiffres partiels : ils ne recensent que les titres d’État délivrés par les ministères, et excluent donc les données des chambres consulaires et des branches. Ces dernières peuvent notamment délivrer des VAE pour les CQP enregistrés au RNCP. Mais aucune donnée centralisée ne permet d’évaluer l’ampleur du phénomène. Par ailleurs, les chiffres officiels sont souvent approximatifs, tous les ministères certificateurs ne livrant pas toujours leurs données.

Données : Jaunes budgétaires de la Formation professionnelle

Pour autant, le mouvement qui se dessine est très net : que l’on considère le nombre de dossiers jugés recevables, le nombre de candidats qui se sont effectivement présentés ou le nombre de validations complètes, la tendance est à la baisse depuis 2009, si l’on excepte un léger regain en 2017-2018.

Pire : en 2020, les chiffres sont au plus bas depuis 2004. Un résultat qui s’explique sans doute partiellement par la crise sanitaire, même si la baisse était déjà sensible en 2019.

Certes, 450 000 personnes (au minimum) ont pu faire valider leurs acquis entre 2002 et 2020 par le biais de la VAE. Cela ne représente cependant que 25 000 validations par an, avec un pic à 32 000 en 2009. Début 2006, alors que le nombre de VAE abouties avait atteint les 20 000 l’année précédente, le Premier ministre Dominique de Villepin avait annoncé un « plan de relance pour la VAE » qui devait conduire à tripler le nombre de certifications acquises chaque année par ce biais. Cet objectif de 60 000 certifiés par VAE par an n’a pas été atteint.

 

Comment fonctionne la VAE aujourd’hui ?

La VAE permet à tout salarié d’obtenir une certification inscrite au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), dans un domaine dans lequel il peut justifier d’au moins 1 an d’expérience (c’est la loi Travail du 8 août 2016 qui a fait passer cette durée de 3 ans à 1 an).

1re étape : identifier le diplôme et le certificateur

La première étape consiste à préciser le diplôme recherché, à s’assurer qu’il est accessible par VAE et à identifier l’organisme certificateur. Il y en a de trois types :

  • Les ministères représentent l’essentiel des certifications par VAE. Les deux principaux ministères certificateurs sont le ministère de l’Éducation nationale (diplômes du CAP au BTS) et celui de la Santé. Viennent ensuite le ministère de l’enseignement supérieur, celui du Travail et celui de la Jeunesse et des Sports. Les ministères de la Culture, de la Défense, de l’Écologie et de l’Agriculture délivrent également des VAE, mais en petit nombre.
  • Les chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres de l’artisanat et des métiers, chambres d’agriculture) peuvent également délivrer leurs titres par VAE, pourvu qu’ils soient enregistrés au RNCP.
  • Les branches professionnelles peuvent valider les acquis de l’expérience en vue d’obtenir un certificat de qualification professionnelle (CQP) qu’elles ont créé, à condition qu’il soit enregistré au RNCP (ce qui n’est pas le cas de tous les CQP, loin de là).

2e étape : la recevabilité

Une fois la certification identifiée, il faut monter le dossier de recevabilité. Celui-ci comporte un formulaire dédié et doit contenir tous les éléments qui justifient la durée de l’expérience, des formations déjà suivies dans le domaine, des certifications déjà obtenues.

Au cours de ces deux premières étapes, le salarié peut également identifier des formations complémentaires à suivre pour compléter ses connaissances et répondre aux exigences de la certification visée. C’est très fréquemment le cas.

Le dossier doit ensuite être envoyé au certificateur. En principe, celui-ci doit répondre dans les deux mois, en vous communiquant une date d’examen.

3e étape : le dossier de VAE

Un deuxième dossier doit alors être constitué : c’est le dossier de VAE proprement dit. Il décrit les aptitudes que le salarié souhaite valider, les compétences et connaissances qu’il a acquises, et éventuellement les formations complémentaires qu’il a suivies en vue d’obtenir la certification.

Le jury nommé par le certificateur doit comprendre au minimum un quart de professionnels, issus pour moitié des employeurs et pour moitié des salariés, et n’appartenant pas à l’entreprise du salarié. Les autres sont le plus souvent des enseignants, formateurs ou enseignants-chercheurs.

Le jury examine le dossier et fait passer un entretien au candidat.

4e étape : la décision

Le jury peut alors :

  • valider totalement la certification ;
  • valider partiellement la certification et demander des formations complémentaires ;
  • refuser la certification.

 

Quels sont les freins identifiés ?

Le rapport Rivoire identifie un certain nombre de freins qui empêchent la VAE de prendre toute l’ampleur qu’en attendaient ses créateurs. Les rapporteurs ont représenté les zones de frottement sur ce schéma :

Source : rapport Rivoire

  • Un premier point de blocage intervient lors de la phase de conseil et d’information. Il manque un financement et un accompagnement suffisants à ce stade décisif du projet de VAE. De ce fait, une proportion importante, mais inconnue, de candidats ne franchissent pas l’étape du dossier de recevabilité, ou déposent des dossiers incomplets.
  • Un deuxième point de blocage correspond à l’étape du dossier de VAE. Entre les délais de réponse des certificateurs, la complexité des démarches et l’accompagnement défaillant, un tiers des candidats recevables ne se retrouvent jamais devant un jury.
  • Dernier point de rupture : les délais de traitement de la candidature par le jury.

Au total, la VAE se présente comme un véritable parcours du combattant qui sème en cours de route nombre de candidats motivés.

 

Que propose le rapport Rivoire ?

Les rapporteurs proposent une série de mesures pour lever les freins de la VAE, en changeant la philosophie globale du système. Ils appellent de leurs vœux la mise en place, à côté de la formation tout au long de la vie (FTLV), d’un processus de reconnaissance tout au long de la vie (RTLV). Il s’agit d’offrir « la possibilité de faire reconnaître l’ensemble des compétences acquises dans toutes situations de la vie courante, qu’elles soient le fruit de la FTLV ou d’autres contextes. »

L’idée est de « passer d’une VAE de sanction à une VAE de parcours : la REVA ». REVA pour « reconnaissance de l’expérience et validation des acquis ».

De la VAE à la REVA

La première étape consisterait à rénover le système existant, en prenant les mesures suivantes :

  • Créer une « start-up d’État », le Service public numérique de la REVA (SPN-REVA), qui coordonnera les acteurs et assurera le développement de la validation des acquis et des outils numériques et data nécessaires.
  • Créer un « outil digital collaboratif », intitulé REVA. Les innombrables acteurs de la VAE ont mis en place des solutions digitales en ordre dispersé. L’outil le plus avancé est sans doute Avril, le portail mis en place par Pôle Emploi pour les demandeurs d’emploi. REVA capitaliserait sur cet effort pour amener tous les acteurs de la VAE et les flux de données sur une seule et même plateforme. Cette préconisation, qui porte sur l’unification du système d’information, est présentée par les rapporteurs comme essentielle et préalable à toutes les autres.
  • Automatiser la phase de recevabilité. Celle-ci était devenue une sorte de pré-étape éliminatoire, selon les rapporteurs. Il faut en finir avec ce barrage : la déclaration sur l’honneur serait désormais la règle.
  • Supprimer le délai minimal d’un an d’expérience. C’est la réalité des compétences qui doit être mesurée, pas une durée spécifique.
  • Proposer à chaque étape l’accompagnement nécessaire. Celui-ci doit être facilement accessible et financé.

Les propositions complémentaires

Le rapport émet également d’autres propositions pour que la validation des acquis se donne véritablement les moyens du succès. Parmi les nombreuses mesures suggérées, citons celles-ci :

  • Accompagner la digitalisation de la formation, pour rendre plus accessibles les formations complémentaires à suivre en vue de la VAE.
  • Fédérer les certificateurs privés et intégrer les certificateurs de branches. Il s’agirait de clarifier l’offre de VAE issue de ces certificateurs. Le rapport propose notamment d’inscrire automatiquement tous les CQP au RNCP.
  • Créer un contrat de professionnalisation REVA-FEST qui permette de valider les acquis de l’expérience dans le cadre d’un recrutement en alternance et en formation en situation de travail.
  • Mettre en œuvre le « portefeuille numérique de compétences ». Cette proposition ambitieuse consiste à utiliser la technologie dite des « open badges» pour permettre au salarié de « rendre sa compétence visible en obtenant (ou en s’attribuant) des badges faisant état d’une expérience ou d’une compétence acquise dans un contexte ou environnement particulier. » Il s’agit d’une technologie open source qui mise sur la valeur que le marché va apporter de lui-même à chaque badge, de façon décentralisée, sans passer par une institution ou une autorité.

 

Le rapport Rivoire contient de très nombreuses propositions à la fois concrètes et ambitieuses. Il comporte également une partie consacrée au financement, qui propose des pistes techniques devant permettre de donner au système les moyens de ses ambitions. Il y a là une véritable feuille de route pour un développement futur d’une « validation des acquis tout au long de la vie » qui, si elle fonctionnait correctement, pourrait répondre de façon très innovante et efficace aux attentes tant des salariés que des entreprises en matière de gestion des compétences et des parcours.

 

 

Annexe : un objectif ancien, en finir avec le tout-diplôme

En finir avec le déterminisme du diplôme initial : telle était l’ambition de la validation des acquis de l’expérience (VAE) et de son ancêtre immédiat, la validation des acquis professionnels (VAP).

On mentionne généralement la loi du 10 juillet 1934 comme premier jalon de ce qui allait devenir la validation des acquis de l’expérience. Il s’agissait alors de permettre aux « techniciens autodidactes, les auditeurs libres des diverses écoles, les élèves par correspondance, justifiant de 5 ans de pratique industrielle comme techniciens » d’acquérir le titre d’ingénieur. Le texte a été complété par la suite en 1975 et après, mais seuls les ingénieurs ont pu bénéficier de ce traitement jusqu’à 1984-1985.

Créée en 1985 par un décret d’application de la loi Savary, la « validation des études, expériences professionnelles ou acquis personnels » visait à permettre à tout adulte de reprendre des études sans remplir les conditions de niveau qui s’imposent aux étudiants. La loi du 20 juillet 1992 avait ensuite permis la validation d’une partie d’un diplôme (mais d’une partie seulement) après 5 ans d’activité professionnelle.

La loi « de modernisation sociale » du 17 janvier 2002 créait un dispositif d’une tout autre ampleur : la VAE permet d’acquérir, après 3 ans d’expérience professionnelle dans le domaine correspondant, la totalité d’une certification sans avoir nécessairement besoin de suivre de formation. Au départ, le dispositif a continué à coexister avec la VAP.

La loi « Travail » du 8 août 2016 a ramené la durée d’expérience à faire valoir de 3 ans à 1 an. Un décret ultérieur a par ailleurs étendu le champ des expériences valides, en incluant notamment les stages et les périodes d’alternance.

Crédit photo : Shutterstock / Jerome.Romme

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