– 15% : l’impact du reste à charge sur le volume de CPF financés

En apparence, le Compte professionnel de formation (CPF) a financé légèrement plus de formations en 2024 qu’en 2023 : 1,39 millions contre 1,33 millions. Mais le rapport annuel « Mon Compte Formation » que vient de publier la Caisse des dépôts nuance largement ce constat. En réalité, à partir de mai, date de l’entrée en vigueur du reste à charge de 100€, la consommation de CPF chute à un niveau en moyenne inférieur de 15% à celui de 2023, et ce pour le reste de l’année 2024. Avec un effet secondaire durable : l’augmentation de la part de demandeurs d’emploi dans les utilisateurs du CPF.

Depuis le lancement de Mon Compte Formation en novembre 2019, 5,75 millions d’actifs ont utilisé leur CPF, soit environ le quart de la population active hors fonction publique (les fonctionnaires n’ayant pas accès au CPF commun). 7,6 millions de formations ont été suivies, et près de 11 milliards engagés, dont 10 financés via France Compétences. Après le pic de 2021-2022, la dépense semble se stabiliser autour de 2 milliards par an. Avec un objectif souvent réaffirmé : orienter les financements vers ceux qui en ont le plus besoin. Les entreprises, pour le moment, peinent à tirer leur épingle du jeu.

L’impact du « reste à charge »

Résumé des épisodes précédents : la loi des finances pour 2023 (en date du 30 décembre 2022) avait fixé le principe d’un ticket modérateur à acquitter par tout bénéficiaire qui achète une formation en utilisant son CPF. Après plus d’un an d’atermoiements, un décret a été finalement publié fin avril 2024, fixant le reste à charge à 100€. La somme a été portée à 102,23€ depuis le 1er janvier 2025 par la revalorisation automatique. Objectif de la mesure : restreindre le recours au CPF en période de resserrement budgétaire et responsabiliser les utilisateurs. Le gouvernement escomptait 375M€ d’économies et une baisse de 20% du nombre de dossiers.

Dans le même temps, une mesure entrée en vigueur le 12 janvier 2024 allait exactement dans l’autre sens : l’éligibilité au CPF de la formation au permis moto (permis A2). Lequel des deux effets aurait le dessus ?

La réponse nous est donnée par le rapport annuel de Mon Compte Formation, publié le 9 octobre 2025. Il en ressort que les chiffres de 2024 représentent la moyenne entre deux périodes très contrastées :

A compter de mai, la consommation s’effondre, avant de reprendre un peu en septembre, tout en restant à un niveau inférieur de 15% sur mai-décembre par rapport à la même période en 2023. Dans le même temps, les permis motos diminuent puis disparaissent presque.

Au premier quadrimestre (janvier-avril 2024), le nombre de dossiers CPF monte à des niveaux inégalés – jusqu’à plus de 200 000 pour le seul mois d’avril. Le reste à charge ayant été présenté comme imminent à partir de février, les bénéficiaires les mieux informés se sont précipité pour faire financer leurs formations avant la réforme. Parmi eux, un nombre important d’aspirants au permis moto.

Les dossiers CPF par public et permis moto, 2023-2024

Source : rapport annuel Mon Compte Formation 2024 – Caisse des dépôts

Résultat : du fait de l’effet d’aubaine qui a prévalu dans les 4 premiers mois, l’objectif de baisser la note du CPF de 20% n’a pas été atteint. Mais si l’on s’en tient aux 8 mois au cours desquels la mesure a été appliquée, il y a bien eu une baisse de 15% en volume de dossiers, et de 16% en montants engagés, comparé aux mois correspondants de l’année précédente. L’activité a cependant eu tendance à remonter à partir de septembre : les gains à long terme seront probablement moindres, comme nous allons le voir.

La fièvre éphémère du permis moto

L’objectif de modérer le recours au CPF pour financer des permis moto a quant à lui bien été atteint, mais le reste à charge n’en est pas le principal responsable. Un décret du 17 mai 2024 a restreint l’utilisation du CPF de façon extrêmement simple : seuls peuvent utiliser leur CPF pour financer un permis de conduire ceux qui n’ont aucun permis, moto ou auto. L’automobiliste qui veut s’offrir en prime le permis moto pour ses loisirs ne pourra plus le faire en mobilisant son CPF. Les permis poids lourds ne sont pas concernés par la mesure : on ne les passe en règle générale que dans un objectif professionnel.

Selon la base de données mise à disposition par la Caisse des dépôts, le CPF a financé 130 000 permis motos entre janvier et mai 2024, puis… 8 000 le restant de l’année. Il n’y en a eu que 6 000 dans les 8 premiers mois de 2025.

Le financement du permis B, en revanche, continue à être largement mobilisé : il s’en est financé 234 000 dans les 8 premiers mois de 2025, contre 228 000 dans la période équivalente de 2024. Globalement, les permis de conduire n’ont cessé d’augmenter en proportion des demandes de CPF. L’année 2024 aura été exceptionnelle, du fait de l’engouement pour le permis moto ; mais les dossiers « permis » (tous types confondus) des 8 premiers mois de 2025 atteignent déjà presque le montant de l’année 2023 tout entière.

Les dossiers de financement CPF Permis B - chiffres Caisse des dépôts

Chiffres : opendata.caissedesdepots.fr

Le CPF continue par ailleurs à financer une majorité de formations diplômantes, c’est-à-dire à des certifications inscrites au RNCP ou au Répertoire spécifique (RS). C’est le cas de 60% des dossiers financés sur les 8 premiers mois de 2025, contre 62% en 2023. Entre-temps, il y a eu une baisse à 52% en 2024 liée sans doute aux achats de formation aux différents types de permis de conduire dans les 4 premiers mois de l’année. 

Les types de formations financées en 2023 et 2024 par le CPF

Source : rapport annuel Mon Compte Formation 2024 – Caisse des dépôts

Les perdants de la réforme : les actifs en emploi

Autre impact important de la mesure : la part des demandeurs d’emploi dans le recours au CPF a augmenté. Pour une raison simple : les demandeurs d’emploi sont exonérés de reste à charge. Résultat : ils représentent 34% des CPF en 2024, contre 31% en 2023. Au premier semestre 2025, les données open data de la Caisse des dépôts pointent même vers 40% de dossiers issus de demandeurs d’emploi.

En nombre comme en montant des formations, les dossiers CPF des actifs en emploi reculent légèrement (-1%). Les dossiers de demandeurs d’emploi augmentent quant à eux de 15% en nombre, et de 23% en montant. Le coût moyen du dossier de formation CPF du demandeur d’emploi (1 530 €, +100€) se rapproche de plus en plus de celui de l’actif en poste (1 690€, stable).

Le CPF devient ainsi de façon croissante un instrument au service des politiques de l’emploi, un moyen de se financer son permis de conduire, un moyen de faire un bilan de compétences, comme le montre le palmarès des formations financées – au détriment de la formation des collaborateurs en poste.

Les formations financées par le CPF par certification, en 2024

Source : rapport annuel Mon Compte Formation 2024 – Caisse des dépôts

Enfin, d’un point de vue sectoriel, la prédominance du Caces et des permis de conduire continue à asseoir la domination des transports et de la manutention, devant l’insertion et deux domaines transverses : l’informatique et les langues vivantes. Ces 4 domaines représentent à eux seuls les ¾ des dossiers souscrits.

Les formations financées par le CPF par domaine, en 2024

Source : rapport annuel Mon Compte Formation 2024 – Caisse des dépôts

2025 : la fin des formations à la création d’entreprise

L’année 2025 pourrait en outre marquer une nouvelle inflexion dans l’utilisation du CPF. Historiquement, la réglementation entourant le compte personnel de formation a prévu 3 types d’exceptions à la règle selon laquelle le CPF ne finance que des formations menant à une certification officielle (RS ou RNCP) :

  • Le permis de conduire ;
  • Les bilans de compétences ;
  • Les formations dites ACRE, pour accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprise.

Profitant du flou relatif de cette dernière catégorie, nombre d’organismes de formation plus ou moins baroques s’étaient engouffrés dans la brèche pour faire financer leurs prestations. De ce fait, ces formations ont drainé jusqu’à 458M€ issus de France Compétences en 2022. Leur nombre avait été considérablement réduit suite au grand ménage des certifications éligibles organisé par la Caisse des dépôts fin 2022. On est alors passé à 120M€ en 2023, puis 130M€ en 2024.

A compter du 16 février 2025, cependant, suite à une mesure de la loi des finances pour 2025, les formations Acre ont cessé d’être prises en charge, à moins de conduire à une certification enregistrée au RNCP ou au répertoire spécifique – ce qui n’était le cas de presque aucune des formations de ce type sur le marché. Résultat : sur les 7 premiers mois de 2025, les financements par France Compétences des formations de cette catégories se sont effondrées, passant à 17M€, dont 15M€ réalisés en janvier-février. C’est la fin des formations Acre financées par le CPF.

Les formations à la création et reprise d'entreprise financées par le CPF entre 2020 et 2025

Chiffres : opendata.caissedesdepots.fr

2025 s’annonce en ligne avec les prévisions

Les économies réalisées en 2024 semblent plutôt bien parties pour se perpétuer. En janvier-septembre 2025, la dépense de CPF engagée par France Compétences a été inférieure de 7% à son niveau de janvier-septembre 2024, soit 116 millions d’euros de moins. En ordre de grandeur, ces chiffres sont en ligne avec la réduction de la dépense prévue par l’agence pour 2025.

Le financement du CPF par France Compétences entre 2020 et 2025

Chiffres : opendata.caissedesdepots.fr

Cependant, si la baisse découle sans doute en partie du reste à charge, elle est surtout largement due à la fin du financement de l’Acre, qui représente déjà 113M€ d’économies sur 2025. Il est donc fort possible que l’impact du reste à charge cesse progressivement de se faire sentir, les utilisateurs s’habituant progressivement à la contrainte d’une part, un nombre croissant d’entre eux en étant exonérés d’autre part (en tant que demandeur d’emploi notamment).

Parallèlement, du fait du reste à charge, la dépense assumée par les titulaires eux-mêmes a quasiment doublé entre 2023 et 2024 (de 67M€ à 122M€). En 2025, elle a déjà dépassé le niveau de l’année 2024, alors que nous ne sommes qu’au mois de septembre (124M€). Les actifs contribuent donc de plus en plus au financement de leurs formations CPF. Ils sont le premier financeur derrière France Compétences.

La part de France Travail, en revanche, a plutôt reculé, en dépit du fait que les demandeurs d’emploi représentent une part croissante des bénéficiaires. La participation des entreprises reste réduite.

Les financements complémentaires du CPF entre 2020 et 2025

Chiffres : opendata.caissedesdepots.fr (hors financements exceptionnels de l’Etat)

La politique entourant le CPF mélange ainsi souci de maîtrise budgétaire, volonté de responsabiliser les actifs et souhait de répondre aux besoins de l’économie. C’est une équation délicate, et par petites touches, les autorités et la Caisse des dépôts ont progressivement contenu les dérives initiales constatées dans l’utilisation du dispositif : lutte contre la fraude, rigueur de l’éligibilité, reste à charge, règles pour les formations au permis, restriction des formations Acre.

Bon an mal an, le coût continue néanmoins à osciller autour des 2 milliards d’euros, tout en bénéficiant de plus en plus aux demandeurs d’emploi. Le CPF devient en partie un financement par les entreprises des politiques de l’emploi, tandis que les salariés s’en servent de plus en plus souvent pour financer leur permis de conduire.

Les dispositifs d’abondement par l’entreprise, en principe facilités par l’interface Mon Compte Formation depuis 2025, vont-ils enfin décoller ? Selon une étude récente du Céreq, en 2023, seules 2% des entreprises en émettaient le souhait. Mais le chiffre montait à 11% dans les entreprises de 300 à 999 salariés, et à 20% dans les plus de 1000. Une certaine marge de progression existe ! Le Medef vient d’ailleurs de publier, en septembre 2025, un guide pratique sur la question. Les mois qui viennent nous diront si le dispositif  peut séduire les responsables formation.

Crédit photo : Shutterstock

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