Mini-réforme de la formation d’octobre 2025 : entretien avec Fouzi Fethi

Responsable du Pôle Droit et Politiques de Formation à Centre Inffo, Fouzi Fethi enseigne également le droit de la formation à l’université de Cergy-Pontoise. Il est surtout l’un des meilleurs connaisseurs du système, et un pédagogue infatigable de son évolution et de ses subtilités. Il évoque pour Management de la Formation les grands points de la loi du 24 octobre qui réforme à la fois l’entretien professionnel et les dispositifs de reconversion.

Avec la loi du 24 octobre 2025, l’entretien professionnel devient « entretien de parcours professionnel ». Cette réforme répond-elle à une revendication forte des entreprises ?

Oui, mais seulement en partie. Beaucoup d’entreprises souhaitaient sa suppression pure et simple. Or, l’entretien professionnel est issu du dialogue social : créé par l’ANI, il ne pouvait être ajusté que par les partenaires sociaux eux-mêmes — ce qu’ils viennent de faire.

Sa fréquence est allégée (tous les quatre ans, avec un bilan tous les huit ans au lieu de six), mais son contenu s’enrichit : compétences réellement mobilisées, perspectives d’évolution, formation, reconversion, santé au travail et fin de carrière.

Il devra aussi être proposé à des moments clés (retour de congé long, visite médicale de mi-carrière, approche des 60 ans), avec désormais la possibilité d’un accompagnement par le CEP pour le salarié et par l’OPCO pour l’employeur.

Enfin, l’obligation de résultat est maintenue : en cas de non-respect du dispositif, un abondement du CPF restera dû.

Il ne s’agit donc pas simplement d’un changement de fréquence des entretiens : leur contenu s’étoffe. Les entreprises qui avaient créé des formulaires d’entretien vont donc devoir les revoir et les compléter. Par ailleurs, pour les partenaires sociaux, il va falloir renégocier tous les accords, d’entreprise ou de branche, et ce avant le 1er octobre 2026.

Sait-on si l’entretien professionnel « première version » avait fini par être appliqué dans les entreprises ?

Il est difficile de le dire, il n’y a pas d’étude précise sur le sujet. L’entretien professionnel n’était pas forcément bien compris par toutes les entreprises, et peu l’ont appliqué dès le premier cycle de 6 ans. De plus, le système prévoyait que l’entreprise qui manque à ses obligations s’acquitte spontanément de l’abondement correctif. En pratique, beaucoup ont dû préférer attendre un éventuel contrôle de l’inspection du travail pour verser l’abondement. Pour autant, je pense que les entreprises ont beaucoup progressé sur le sujet.

Quelle est la logique de cet entretien ?

Pour comprendre l’entretien professionnel, il faut se remettre dans le contexte de sa création. La réforme de la formation de 2004 a demandé à l’employeur de veiller, pour ses salariés, « au maintien de leur capacité à occuper un emploi ». Il ne s’agit donc pas seulement de s’assurer de l’adaptation au poste de travail ! Et la jurisprudence sur ce point est constante depuis 2007. Quand ils constatent qu’un travailleur a une ancienneté importante et n’a bénéficié d’aucune formation, les juges estiment que l’employeur a manqué à son obligation de maintien de l’employabilité. Au début, les employeurs répondaient qu’ils n’avaient pas de postes sur lesquels faire évoluer les travailleurs en question. Mais ce n’était pas le sujet : on ne parle pas d’adaptation au poste de travail, mais de capacité à occuper un emploi, c’est-à-dire d’employabilité interne et externe !

C’est de cette situation qu’est né l’entretien professionnel. Le rendez-vous bisannuel devait servir à préciser les perspectives d’évolution de chacun en termes de qualification et d’emploi, et non pas à évaluer le travail fait. Dans sa nouvelle version, l’entretien reste dans le même esprit, même si son objet a été enrichi.

Que deviennent les différents dispositifs de reconversion ?

Le PTP et la Pro-A sont deux dispositifs de reconversion nés un peu dans la douleur après la réforme de 2018 : le premier a remplacé le congé individuel de formation avec une enveloppe divisée par deux, et la seconde la période de professionnalisation avec des conditions plus restrictives.

Pendant la crise sanitaire, un troisième dispositif est apparu : Transitions collectives, dit « TransCo », créé sans base légale mais sur simple instruction du ministère du Travail.

La période de reconversion vient justement simplifier cet ensemble complexe en remplaçant la Pro-A et TransCo par un dispositif unique, inscrit dans le Code du travail.

Désormais, à côté du PTP, qui restera à l’initiative du salarié, existera la période de reconversion, qui associe l’entreprise pour favoriser la mobilité interne ou externe.

Ce nouveau dispositif est-il plus simple que les précédents ?

La Pro-A est un dispositif qui n’était pas prévu initialement, et qui a été rajouté par amendement à la loi Avenir Professionnel dans le but de créer un dispositif qui permette de proposer des formations en alternance aux salariés. La mise en œuvre a été très laborieuse, il y avait beaucoup de conditions à remplir, et peu ont été financées en définitive. 

La période de reconversion risque d’être confrontée au même problème de contrainte budgétaire. France Compétences va devoir consacrer une enveloppe au dispositif. L’intérêt, c’est que la période de reconversion propose deux configurations :

  • une reconversion interne, avec maintien du contrat et de la rémunération, en vue d’une mobilité dans un autre poste au sein de l’entreprise ;
  • et une reconversion externe, qui reprend l’idée de Transco. Le contrat d’origine est suspendu pendant la période passée dans l’entreprise d’accueil. Au terme de la formation, le salarié intègre la nouvelle entreprise. Si tout se passe bien, il y reste ; sinon, il peut revenir dans l’entreprise d’origine. Il s’agit d’aider à passer d’une entreprise à une autre sans passer par la case chômage, de créer un pont entre les entreprises qui recrutent et celles qui réduisent leurs effectifs.

Pour le moment, la période de reconversion n’est pas associée, comme l’étaient la Pro-A et Transco, à une liste limitative de métiers porteurs. Mais on ne peut pas exclure qu’une telle condition soit spécifiée dans le décret.

Peut-on s’attendre à davantage de financements pour les transitions ?

Le financement de la période de reconversion se fera à budget constant, c’est-à-dire sans création de nouveaux crédits publics. La loi prévoit que France compétences versera aux opérateurs de compétences (OPCO) des fonds destinés non seulement à l’alternance et à l’aide au développement des compétences des petites entreprises, mais aussi désormais au financement des périodes de reconversion prévues à l’article L.6324-1 du Code du travail.

 Concrètement, une partie des moyens proviendra de l’enveloppe “alternance”, ce qui pourrait mécaniquement réduire la part disponible pour l’apprentissage, et une autre partie sera issue du compte personnel de formation (CPF). Les droits acquis au titre du CPF pourront en effet être mobilisés pour cofinancer une période de reconversion, sous réserve de l’accord du salarié : dans la limite de la moitié de ses droits pour une reconversion interne, et sans plafond pour une reconversion externe.

C’est une évolution significative, car les fonds du CPF, jusqu’ici gérés hors du champ du paritarisme, viendront financer un dispositif conçu et piloté par les partenaires sociaux. Autrement dit, le paritarisme retrouve indirectement la main sur une partie de la ressource CPF, tout en restant dans un cadre budgétaire inchangé. Dans le cadre du Projet de transition professionnelle (PTP), le CPF est en principe déjà mobilisé, mais par un simple jeu d’écritures : on supprime simplement les droits inscrits sur le compte, sans transfert des financements correspondants par la Caisse des dépôts aux associations Transition Pro. La Caisse des dépôts ne finance donc pas le PTP. Mais avec la période de reconversion, elle participera bel et bien au financement.

C’est assez nouveau, car cela signifie que France compétences devra prélever sur l’enveloppe du CPF pour en reverser une partie aux Opco, afin de financer des formations dont certaines ne sont pas nécessairement éligibles au CPF. Le périmètre des formations finançables dans le cadre de la période de reconversion est en effet plus large : il inclut notamment des CQP qui ne sont pas toujours enregistrés au RNCP ou au Répertoire spécifique.

La Caisse des dépôts va donc devoir travailler avec les Opco pour assure ne serait-ce que la décrémentation des comptes; on ne sait pas encore vraiment comment. Tout cela doit être précisé par un décret d’application et être prêt, en théorie, pour le 1er janvier 2026…

Que signifie le transfert du financement des projets de transition professionnelle de France Compétences vers Certif’Pro ?

Jusqu’ici, Certif Pro jouait un rôle de tête de réseau des AT-Pro par simple mandat conventionnel, sans statut ni prérogatives définies. La loi vient donc institutionnaliser ce niveau national interprofessionnel, en lui confiant des compétences précises de coordination, de répartition et de pilotage du réseau.

Elle permet aussi de clarifier les responsabilités entre France compétences (régulateur public) et le paritarisme (instance stratégique et gestionnaire des transitions professionnelles).

Cette reconnaissance vise enfin à restaurer un paritarisme de plein exercice. Certif Pro définira progressivement les règles de financement des projets de transition professionnelle, répartira les fonds versés par France compétences et veillera au bon fonctionnement du système commun d’information. Encadrée par une convention pluriannuelle avec l’État, cette instance paritaire fera l’objet d’un agrément et sera soumise à un contrôle financier et à des règles de déontologie strictes (incompatibilités et déclaration d’intérêts).

Le conseil national de l’orientation et de la formation professionnelles est-il une résurrection du Cnefop ?

La création du Conseil national de l’orientation et de la formation professionnelles pour le développement des compétences répond à une demande des partenaires sociaux mais aussi des Régions. Depuis la suppression du CNEFOP en 2018, il manquait un lieu de gouvernance politique capable d’articuler les stratégies nationales et régionales en matière de formation et d’orientation.

Or, France compétences, établissement public administratif, assure avant tout une régulation technique (répartition des fonds, certifications professionnelle, NPEC ) sans offrir d’espace de concertation stratégique entre acteurs.

Le nouveau Conseil vient donc rééquilibrer la gouvernance en réintroduisant une instance politique tripartite où l’État, les Régions et les partenaires sociaux peuvent confronter leurs orientations et débattre des priorités. Il permettra de donner une cohérence d’ensemble aux politiques de compétences, en complément de la régulation exercée par France compétences.

En somme, il marque le retour d’une gouvernance politique partagée, distincte de la logique technico-administrative qui dominait depuis 2019. Mais il faut encore attendre, là aussi, le décret d’application.

A quoi peut-on s’attendre pour 2026 ?

On n’est plus dans le temps des grandes réformes mais dans celui des ajustements. Après un premier quinquennat marqué par l’expansion et les moyens, le second est celui de la contrainte et du contrôle. Pour 2026, la logique reste budgétaire : recentrage des aides à l’embauche d’apprentis, paramétré par décret, et un débat toujours ouvert sur le bilan de compétences : son exclusion du CPF est envisagée, mais l’alternative d’un simple plafonnement de son financement reste également sur la table, dans une configuration de l’Assemblée nationale qui rend difficile les pronostics. Chaque loi de finances devient un exercice d’équilibriste pour maintenir les équilibres d’un système qui, pour l’instant, n’est pas remis en cause.