Plan de formation et stratégie d’entreprise : l’impossible duo ?

A la demande du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, le cabinet Sémaphores a réalisé et publié une étude sur le « Plan de formation des entreprises : de la formalité à l’outil stratégique ». 24 entreprises de tailles variées ont été interrogées. Des entretiens qualitatifs auprès d’organismes partenaires comme les OPCA ont également contribué à l’enquête. Ce document de qualité est à rapprocher des récentes prises de parole – dont celles des prestigieux intervenants de la 2e édition des Entretiens de la cohésion du 13 septembre dernier à l’Institut Montaigne. Constat et enjeux à la veille de la réforme de la formation professionnelle.

 

Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) a donc commandité au cabinet Sémaphores l’étude intitulée : « Plan de formation des entreprises : de la formalité à l’outil stratégique ». Ces travaux lancés en septembre 2012 et publiés en juin 2013 avaient pour objectif d’enrichir les travaux existants (notamment ceux du Cereq) par une lecture plus qualitative des processus, procédures et enjeux associés aux plans de formation. Il faut donc ici entendre « Plan de formation » non pas comme les livrables permettant son déploiement et son pilotage mais aussi les pratiques liées à son élaboration.

Nous relevons tout d’abord les 4 constats suivants : quelle que soit la taille des structures interrogées, l’étude distingue :

  1. la  diversité des pratiques,
  2. l’impact négatif sur l’activité de l’entreprise lors de l’absence du salarié en formation,
  3. le respect de l’obligation légale perçue comme une contrainte et non comme un facteur de développement des compétences,
  4. le lien entre plan de formation et stratégie de l’entreprise rarement mis en avant.

À la lecture de cette synthèse du cabinet Sémaphores, trois enjeux majeurs se détachent pour que ce lien existe entre le plan de formation et les orientations stratégiques de l’entreprise :

  1. simplifier des règles et les procédures,
  2. modifier les règles d’imputabilité,
  3. lier dynamique collective et initiative individuelle.

 

Le premier enjeu serait donc la simplification des règles et les procédures Michel Sapin l’indiquait, plus généralement, en préambule des Entretiens de la cohésion du 11 septembre dernier : « Il nous faut donc un appareil de formation plus agile et des entreprises plus impliquées ».

La vidéo de l’allocution de Michel Sapin à la Maison de la Chimie le 11/09/13

Dans le cas précis du plan de formation et si l’on doit pointer une incohérence, nous choisirons celle du « timing ». En effet, comment rester vraiment stratégique en validant le plan de formation de l’année N+1 en fin d’année N alors que les entretiens individuels se déroulent couramment de janvier à mars de cette même année N ? Sans parler de la difficulté rencontrée par les entreprises dont l’exercice ne correspond pas à l’année calendaire. Ce planning obligatoire n’est donc pas opérant. Comme l’écrit fort justement Mathilde Bourdat dans le Blog de la formation professionnelle et continue : « La temporalité [du plan de formation]n’a pas de sens par rapport aux cycles de l’entreprise. » (À lire également sur le sujet : les 4 questions pratiques sur le recueil des besoins de formation).

 

Le second enjeu serait la modification des règles d’imputabilité Comme l’indique l’étude Sémaphores, « On peut regretter que le périmètre de l’action de formation reste enfermé dans la définition de ce qui est imputable, ce qui conduit à nier une partie de ce qui relève pourtant d’un processus formatif… et plus globalement à sous-estimer une partie des actions de formation conduites par les entreprises, car non traduites dans les déclarations fiscales. Il y a sans doute en la matière un nouvel équilibre à trouver. » En effet, les règles d’imputabilité sont contraignantes et il serait souhaitable de les faire évoluer. Nous l’indiquions d’ailleurs clairement dans notre billet du 3 février dernier.

 

Le troisième enjeu serait de lier dynamique collective et initiative individuelle Toujours dans son allocution du 11 septembre 2013 lors de la seconde édition des Entretiens de la cohésion sociale, Michel Sapin rappelait que « l’ANI puis la loi de sécurisation de l’emploi [avait]créé de nouvelles modalités d’association des salariés à la construction du plan de formation. » Allons-nous vers un droit à l’employabilité, souhaité par certains ? Mais à qui ce nouveau droit serait-il opposable pour le faire valoir ? À l’éducation nationale ? À l’Etat ? À son premier employeur ? À son dernier employeur ? Et qui le financerait ?… Vastes questions. Actuellement, comme le rappelle le rapport Réformer vraiment la formation professionnelle, de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, « La formation professionnelle tout au long de la vie constitue une obligation nationale » selon l’article L. 6111-1 du Code du Travail.

 

L’arrivée du futur Compte personnel de Formation (voir notre article sur le CPF) nous incite à la question suivante : qui prendrait la décision de son usage ? En effet, rappelons que l’obligation légale actuelle de l’employeur (entreprises de plus de 20 salariés) en matière de formation professionnelle correspond à 1,6% de la masse salariale, décomposé comme suit :

  • 0,9% consacré à l’application du plan de formation souhaité par l’employeur
  • 0,5% de professionnalisation à l’initiative du salarié (voir notre article sur le DIF) avec l’accord de l’employeur
  • 0,2% du CIF à l’initiative du salarié.

Dans ces deux premiers cas, l’entreprise est actuellement souveraine dans ces choix même si elle doit demander l’avis au CE (voir notre article sur le CE). Le CPF pourrait modifier cet équilibre entre l’initiative du salarié et le pouvoir discrétionnaire de l’employeur. Dans l’hypothèse d’une remise en cause du « 0,9% », la question du financement de la formation professionnelle se poserait : maintien de l’obligation légale, créations de nouveaux prélèvements ? Le payeur (l’entreprise) sera-t-il encore le décideur des actions de formation sur le terrain ? Pour Michel Sapin : « le compte personnel nous invite à trouver un nouvel équilibre entre ce qui relève de l’initiative individuelle d’une part, et de la sécurité collective d’autre part. ». Oui, et ne pas complexifier davantage le système de gestion de cette formation professionnelle pour les entreprises.

 

Pour faire du plan de formation, d’une part, un véritable outil de productivité et de compétitivité des entreprises et, d’autre part, un catalyseur d’engagement pour les salariés, il faut une réforme à la hauteur des espérances de tous les partenaires. Nous suivrons donc attentivement dans ces colonnes les prochaines étapes en vue de la modification du système français de formation professionnelle. La concertation quadripartite sur le CPF animé par Jean-Marie Marx, directeur général de l’Apec, reprendra le 1er octobre 2013 et débouchera probablement sur un accord national interprofessionnel puis un projet de loi en début d’année 2014.  

 

Sources :

Etude « Plan de formation dans les entreprises : de la formalité à l’outil stratégique » (Cabinet Sémaphores, juin 2013)

Réformer vraiment la formation professionnelle, par Jacques Barthélémy et Gilbert Cette (L’institut de l’entreprise, septembre 2013).

Contribution d’E&P au débat public sur la réforme de la formation professionnelle, par Sandra Enlart et Bernard Masingue, avec le concours de Jean-Marie Luttringer (Entreprise Personnel, juin 2013

Formation professionnelle : le débat de la dernière chance ? Entretiens de la cohésion sociale, événement organisé annuellement par l’Institut Montaigne avec August & Debouzy et Entreprise&Personnel (septembre 2013). Allocution de Michel Sapin (texte, vidéo).

 

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Crédit photo : © Sergey Peterman – Fotolia.com

 

Management de la Formation

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  • pas si impossible que ça. la formation fait partie intégrante des chances de prospérité et de développement des grandes entreprises. excellent article, bien illustré.

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