Réformes

Le Compte personnel de formation (CPF), d’une réforme à l’autre

En 2014, le Compte personnel de formation (CPF), l’une des mesures phare de la réforme, avait cristallisé beaucoup d’espoirs – et de craintes. Enfin un droit à la formation attaché à la personne, utilisable à loisir – ou presque – et qui allait changer la donne du marché de la formation. Moins de trois ans après son entrée en vigueur le 1er janvier 2015, l’Igas en tire un bilan en demi-teinte assorti de propositions. Une approche assez technique qui vient compléter la batterie des ambitions que nourrissent les uns et les autres pour le CPF, un outil qui aura en tout cas gagné rapidement son statut d’élément incontournable dans le paysage de la formation professionnelle.

 

La quadrature du cercle CPF

Le compte personnel de formation est globalement approuvé dans ses intentions et ses finalités, qui sont, selon l’accord interprofessionnel du 14 décembre 2013, de « donner à chacun les moyens d’évoluer professionnellement et de sécuriser son parcours professionnel, notamment en progressant d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle ou en obtenant une qualification dans le cadre d’une reconversion ».

C’est davantage dans la mise en œuvre concrète que se sont exprimées les critiques : pas assez de moyens pour les ambitions ; une fausse promesse ; des listes trop restrictives ; un système trop compliqué ; une dilapidation des ressources des entreprises, etc.

C’est qu’en définitive, le CPF est une équation à plusieurs inconnues : le nombre de formations éligibles ; le nombre d’heures créditées au compte de chaque personne ; le taux d’utilisation du CPF chaque année ; les ressources mobilisées pour le financer. A quoi s’ajoutent des variables techniques supplémentaires : la durée des formations, leur destination (qualifiante ou non) et la valorisation de l’heure de formation.

Les combinaisons sont donc nombreuses, et les équilibres délicats à atteindre ! Un rapport de l’Institut Montaigne de Marc Ferracci et Bertrand Martinot évaluait en septembre 2014 que le CPF coûterait 6 milliards par an[1]. Or, le financement mutualisé du CPF s’élève en réalité à environ 1 milliard d’euros. S’y ajoutent les abondements éventuels des entreprises. Il manquerait donc de l’ordre de 5 milliards d’euros. Et encore, l’évaluation du rapport de l’Institut Montaigne ne portait que sur les salariés !

 

Où en est-on ?

En 2016, moins de 0,9% des salariés en emploi ont mobilisé leur CPF, pour une moyenne de 47 heures de formation. Les demandeurs d’emploi ont été environ deux fois plus en nombreux, pour une moyenne de 32 heures. On est donc encore loin du besoin de financement calculé par les auteurs du rapport de l’Institut Montaigne.

L’Igas dresse un bilan très clair et articulé de la mise en œuvre du CPF, en repartant des ambitions de départ, qui étaient triples :

  • L’autonomisation des individus dans la « consommation » de formation ;
  • La réorientation des financements vers le qualifiant ;
  • La lutte contre les inégalités d’accès.

Le caractère universel, portable et rechargeable du compte répondait au premier objectif. Le système des listes d’éligibilité visait le second. Quant au troisième, il devait être atteint via le déploiement du Conseil en évolution professionnelle, fournissant l’accompagnement nécessaire pour accéder véritablement à une formation utile et pertinente.

L’Igas constate que ces objectifs n’ont pas été véritablement atteints :

  • Le CPF a été déployé dans les temps, mais cette rapidité d’exécution s’est faite aux dépens de l’expérience utilisateur.
  • L’autonomisation de l’individu s’est heurtée à la complexité du dispositif et à son manque de lisibilité pour le bénéficiaire : le système de listes apparaît à la fois confus et injuste à ceux qui recherchent une formation précise et ne la trouvent pas.
  • L’ambition qualifiante a été en partie contrariée par le fait que les entreprises et les salariés ont souvent utilisé le CPF comme un DIF, pour financer des formations courtes de langues ou de bureautique. 40% des dossiers CPF de salariés ont servi en 2016 à financer un Toeic ou un Bulats ! En tout, 73% correspondent à des formations courtes.
  • Enfin, le déploiement laborieux du CEP n’a pas encore permis de faire des progrès significatifs dans l’accès à la formation pour tous.

Tableau tiré du rapport IGAS « Bilan d’étape du déploiement du compte personnel de formation (CPF) »

Que faire ?

Face à ces difficultés, l’ambition du candidat Macron était d’orienter l’essentiel de la contribution des entreprises vers un dispositif de type CPF, qui aurait été utilisable par les bénéficiaires à volonté et sans médiation. Augmenter les ressources allouées, donc, et supprimer les listes d’éligibilité, remplacées par une labellisation. On sait les craintes suscitées auprès des Opca par ce programme.

Ce programme était ambitieux, mais peu détaillé. Comme souvent, la question-clé « que supprime-t-on ? » était soigneusement éludée. Le rapport de l’Igas va plutôt dans le même sens, dans l’esprit ; mais en choisissant des modalités plus restreintes et plus cohérentes avec la réalité du système.

 

Plus de moyens

L’Inspection recommande ainsi de faire passer la part de la contribution des employeurs allouée au CPF de 0,2% à 0,5%. Pour y parvenir, on intègrerait les 0,2% alloués au CIF (Congé individuel de formation) et la moitié des 0,2% versés au FPSPP (dans les entreprises de 50 salariés au moins ; entre 11 et 49 salariés, ces deux pourcentages sont de 0,15%).

Assisterait-on alors à la disparition du CIF ? Non, le dispositif resterait distinct, et deviendrait avec le temps l’outil « formation longue » du CPF. On croit comprendre que tous les Opca deviendraient Opacif (c’est-à-dire gestionnaires du Cif), comme certains le sont déjà. Les deux réseaux, en tout cas, se rapprocheraient.

Ce rapprochement aurait également un autre objectif : celui de permettre aux Opca de délivrer le Conseil en évolution professionnelle (CEP), actuellement dévolu aux Opacif (ainsi qu’à Pôle emploi, l’Apec, les missions locales et Cap emploi). Le rôle des Opca se renforcerait donc dans deux domaines : celui de l’accompagnement des entreprises et celui du conseil aux salariés.

 

Plus de formations longues

L’Igas souhaite également développer le recours au CPF pour des formations longues et qualifiantes. 3 propositions vont dans ce sens :

  • L’alimentation du CPF passerait de 24 heures à 50 heures par an, avec un plafond fixé à 300 heures, atteint en 6 ans (au lieu de 150 heures atteintes en 7 ans).
  • La suppression des listes d’éligibilité dans un délai de 3 à 5 ans : toutes les formations conduisant à des certifications inscrites au RNCP et à l’inventaire seraient accessibles. En attendant, les listes seraient fusionnées.
  • La refonte du RNCP et de l’inventaire, suivant une logique de compétences, avec un découpage plus systématique des certifications en blocs de compétences.

 

Plus d’autonomie

D’autres propositions vont dans le sens d’un renforcement de l’autonomie des salariés dans le recours au CPF. Il s’agit d’abord de s’assurer que le CPF est bien utilisé avec le consentement du bénéficiaire : les Opca et les autres financeurs devraient s’en assurer, et des campagnes de communication régulières le rappeler. Il y a également la question des formations obligatoires, qui divise les partenaires sociaux, rappelle le rapport. Pour les uns, ces formations devraient être du ressort exclusif des employeurs, et ne pas être financées par le CPF. Pour les autres, ces formations donnent une certification valable dans d’autres entreprises et valorise donc l’employabilité. L’Igas conseille d’inciter les entreprises à prendre à leur charge le financement des formations obligatoires, par exemple en rendant le financement CPF moins avantageux pour ces prestations.

Le site du compte personnel de formation devrait également permettre aux utilisateurs de mobiliser plus facilement leurs heures. Des demandes de financement pourraient être déposées directement en ligne, sans passer par un conseiller. Les organismes de formation seraient directement accessibles via le portail CPF (comme ils le sont via le portail du Compte personnel d’activité, CPA, auquel le CPF est désormais intégré). Les organismes référencés au Datadock seraient signalés comme tels, ainsi que ceux qui bénéficient d’un label délivré par le Cnefop (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles).

 

Une gouvernance rénovée

Le Cnefop, justement, organe quadripartite (Etat, régions, représentants des employeurs et des salariés), centraliserait la gouvernance du CPF. Le Copanef (comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation) en serait la commission paritaire. Cette gouvernance aurait notamment un rôle de régulation financière, voire d’encadrement du taux de l’heure de CPF.

 

Le rapport de l’Igas se révèlera-t-il la feuille de route de la réforme ? Il s’articule en tout cas autour de propositions qui peuvent satisfaire beaucoup d’acteurs : les Opca sont préservés ; le système est simplifié ; le CPF reçoit de nouveaux moyens sans être pour autant totalement dérégulé. Ce que l’on peut dire dès aujourd’hui, c’est que d’un certain point de vue, le CPF est un succès : peu d’acteurs réclament sa suppression, et la plupart le placent au cœur de leur vision. L’avenir très proche nous en apprendra davantage.

[1] Les auteurs partaient d’hypothèses précises : 5% des salariés mobilisant chaque année 150 heures à un coût horaire total (salaire + coûts pédagogiques) de 42€, et 10% de formés hors travail (contre 5% auparavant). En pratique, le CPF est financé par 0,2% sur le 1% versé par les entreprises de plus de 10 salariés pour la formation professionnelle, avec un complément venant du FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels). L’étude d’impact de la loi du 5 mars 2014 misait, à titre d’exemple (et non d’objectif), sur un rythme de croisière de 1,2 million de salariés se formant chaque année pour une durée moyenne de 75 heures de CPF, hors abondements.

 

Crédit photo : fotolia/momius

 

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