Avec l’accord ouvert jeudi à la signature des partenaires sociaux sur la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage, la première partie du processus de réforme a pris fin. Un texte qui s’éloigne sur certains points des attentes du gouvernement, posant ainsi la question de sa traduction législative. Les rédacteurs du projet de loi s’inspireront-ils de l’accord, ou passeront-ils outre ? La réponse conditionnera largement la portée de la réforme pour les entreprises et les responsables de formation.
Les partenaires sociaux avaient annoncé la fin des négociations sur la réforme de la formation pour le 16 février. Le calendrier, contre toute attente, aura presque été tenu : c’est ce mercredi 22 février que les syndicats de salariés et les organisations patronales se sont retrouvées au siège du Medef pour finaliser l’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle et l’apprentissage. Après une séance de nuit qui s’est terminée au petit matin, la négociation s’est donc achevée jeudi 23 février, après une relecture de forme.
Cette relative ponctualité n’était pas acquise il y a quelques semaines. En janvier, deux séances de négociation avaient en effet été supprimées (le 19 et le 25 janvier), à l’initiative du Medef et de la CPME. En cause, la réforme de l’apprentissage, objet d’un vif désaccord entre les Régions et une partie du patronat. Les premières souhaitaient conserver leur rôle dans la gouvernance de l’apprentissage ; le Medef et la CPME demandaient que les partenaires sociaux, par le biais des branches, en assurent le pilotage. Les deux organisations, soutenues par plusieurs syndicats de salariés, souhaitaient que le gouvernement clarifie la situation.
Les employeurs ont finalement obtenu gain de cause : le 9 février, le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud ont annoncé les grandes lignes de la future réforme de l’apprentissage. Celles qui, parmi ces mesures, relèvent des partenaires sociaux ont été reprises, avec des ajustements, dans le texte de l’accord national interprofessionnel.
L’annonce du gouvernement a ainsi débloqué les négociations, qui ont pu reprendre et ont trouvé leur conclusion ce jeudi 23 février.
Sur le volet « formation continue », les partenaires sociaux ont suivi nombre de préconisations du document d’orientation gouvernemental, même si certains points cruciaux n’ont pas été retenus.
En revanche, l’accord entérine bien la fin du système complexe des listes d’éligibilité. Le CPF pourra financer indifféremment toutes les formations inscrites au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou inscrites à l’inventaire, les certificats de qualification professionnelle (CQP) ou les blocs de CQP, et comme actuellement le CléA, les bilans de compétences, l’accompagnement à la VAE, le permis de conduire… Cette suppression des listes d’éligibilité se ferait cependant progressivement sur une période de deux ans.
Le rythme d’alimentation et le plafonnement augmentent : le CPF sera crédité de 35 heures par an (y compris pour les temps partiels, autre nouveauté), au lieu de 24, dans la limite d’un plafond de 400 heures, au lieu de 150. Pour les moins qualifiés, on monterait à 55 heures annuelles dans la limite de 550 heures.
Le Congé individuel de formation (Cif) serait, comme préconisé, fusionné avec le CPF, en devenant la composante « transition professionnelle » de celui-ci. La part de financement qui lui est allouée diminue (de 0,2 à 0,1%), des gains d’efficience dans la gestion étant censés maintenir le dispositif au même niveau d’activité. Le devenir des Fongecif n’est pas précisé.
Enfin, des accords d’entreprise ou de branche seraient encouragés pour développer une logique de « co-investissement », permettant l’abondement du CPF par l’employeur. Une façon, sans doute, de pallier le manque de financement.
Apprentissage et formation professionnelle : les deux parties du texte sont étroitement liées, même si elles relèvent d’histoires et de logiques institutionnelles différentes. Le lien, c’est l’alternance : celle-ci est mise en œuvre dans le cadre de deux types de contrat – le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation. Jusqu’à présent, les entreprises et les partenaires sociaux avaient les coudées franches sur le second, nettement moins sur le premier.
L’accord, reprenant largement les propositions du gouvernement, rapproche de façon décisive apprentissage et professionnalisation, tout en conservant les deux types de contrats.
Le financement global (formation + apprentissage) n’augmenterait pas : il continuerait à s’élever à 1,23% de la masse salariale pour les entreprises de moins de 11 salariés, 1,68% pour les entreprises de 11 salariés et plus. Mais la répartition changerait, pas toujours de façon très lisible.
Moins de 11 salariés | 11 à 49 salariés | 50 à 299 salariés | 300 salariés et plus | |
CPF | 0% | 0,275% | 0,40% | 0,40% |
Développement des compétences des TPE/PME | 0,55% | 0,30% | 0,10% | 0% |
Alternance | 0,68% | 0,725% | 0,80% | 0,90% |
Demandeurs d’emploi | 0% | 0,30% | 0,30% | 0,30% |
Formations initiales professionnelles hors apprentissage (ex « hors quota ») | 0% | 0,08% | 0,08% | 0,08% |
TOTAL | 1,23% | 1,68% | 1,68% | 1,68% |
L’enveloppe totale CPF + Cif reste donc inchangée pour la part de la contribution prélevée sur les entreprises de 50 salariés et plus ; mais au sein de ce 0,40%, la part réservée au Cif diminue (0,10% au lieu de 0,20%), augmentant d’autant le financement du CPF. A l’inverse, dans les entreprises de 11 à 49 salariés, l’enveloppe globale CPF + Cif baisse (de 0,35% à 0,275%).
On ne trouve plus de pourcentage dédié à la professionnalisation. Une partie serait, comme on l’a dit, amalgamée à la taxe d’apprentissage, pour financer les contrats de professionnalisation. La période de professionnalisation, quant à elle, ne fait plus l’objet d’un financement spécifique. Elle disparaît donc, conformément aux souhaits du document d’orientation gouvernemental.
La formation des demandeurs d’emploi bénéficierait d’une cotisation à l’Opca de 0,30%, qui se substitue aux 0,15% à 0,20% versés auparavant au FPSPP et qui finançait déjà, majoritairement, ce genre d’actions. L’accord prend ainsi acte de cette priorité exprimée par le gouvernement.
L’accord, qui compte plus de 50 pages, compte encore bien d’autres aspects. Il comporte notamment un important volet « gouvernance », qui fait du Copanef « l’instance unique de gouvernance politique paritaire nationale et interprofessionnelle en matière d’emploi et de formation professionnelle ». Le Copanef absorberait ainsi le FPSPP (fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels) et acquerrait un budget et une personnalité juridique. Ce rôle renforcé des partenaires sociaux, et en particulier des Opca comme collecteurs, ne va pas dans le sens de la philosophie gouvernementale sur le sujet.
A ce stade, le conditionnel s’impose donc toujours : la configuration finale de la réforme est loin d’être connue. D’abord parce que l’accord n’est encore qu’ « ouvert à la signature » : il doit être paraphé par les organisations syndicales et patronales. Ensuite parce que le contenu du projet de loi n’est pas formellement tenu par celui de l’accord. Tout dépendra de l’usage qu’en fera le gouvernement. Le résultat des arbitrages sur l’Assurance chômage influera également considérablement sur l’attitude de celui-ci. En clair, s’il estime que le texte n’est pas suffisamment conforme aux orientations souhaitées, et s’il pense qu’il en a la marge de manœuvre politique, le gouvernement pourrait proposer au Parlement un projet de loi sensiblement différent de l’accord.
Un scénario que préfèrerait Bertrand Martinot, contributeur à l’Institut Montaigne, spécialiste de la formation professionnelle mais aussi directeur général adjoint des services de la Région Ile-de-France. Pour lui, transcrire l’accord reviendrait pour le gouvernement à « renforcer sur la formation professionnelle, comme il l’a fait malheureusement pour l’apprentissage, le poids des 400 branches et de leurs appareils syndicaux et patronaux dans le pilotage et le financement du système » ; ce qui conduirait inévitablement à « remettre en chantier une nouvelle réforme dans quatre ans (c’est la durée moyenne entre deux réformes dans ce domaine), car on constatera très vite l’échec de celle de cette année. » Il faudra attendre le printemps pour en savoir davantage.
Crédit illustration : fotolia/ herreneck
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