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Olivier Lambert : « la formation professionnelle est beaucoup moins réglementée en Belgique qu’en France. »

Olivier Lambert est depuis septembre 2017 directeur général de Cefora, un organisme paritaire sectoriel spécialisé dans la formation des employés, après avoir occupé des postes en cabinets ministériels, puis celui de directeur opérationnel de Demos Benelux. Il répond aux questions de Management de la Formation au sujet du système de formation professionnelle en Belgique.

 

Comment fonctionne la formation professionnelle en Belgique ?

Rappelons d’abord que la Belgique est un Etat fédéral, dans lequel coexistent un gouvernement fédéral et des gouvernements régionaux. Certaines compétences relèvent du niveau fédéral, d’autres du niveau régional. Les politiques d’emploi et de formation relèvent du niveau régional, c’est-à-dire des gouvernements de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles.

Mais pour compliquer le tout, le dialogue social relève, quant à lui, du niveau national. C’est ainsi que les représentants des employeurs et ceux des salariés ont créé il y a 30 ans le Cefora, que je dirige aujourd’hui, et qui s’occupe de la formation professionnelle dans les entreprises adhérentes.

Pour bien comprendre, il faut savoir que la formation professionnelle est beaucoup moins réglementée en Belgique qu’en France. Il n’y a pas de réglementation fédérale qui s’impose aux entreprises dans ce domaine : nous avons une tradition de réelle indépendance du dialogue social. Les partenaires sociaux des différents secteurs économiques se mettent d’accord pour organiser la formation dans leurs entreprises : ils fixent des règles de financement, d’organisation… Dans les secteurs où les besoins en formation sont importants, comme par exemple l’automobile ou la construction, les commissions paritaires (animées par les représentants syndicaux et patronaux) sont plus interventionnistes dans ce domaine. D’autres secteurs sont moins actifs.

 

Il y a donc des financements mutualisés ?

Oui, les partenaires sociaux peuvent définir dans le cadre des commissions paritaires un niveau de contribution des entreprises à un fonds de formation. Ces fonds sectoriels de formation ne sont pas tout à fait l’équivalent des Opca, qui avaient d’abord une vocation de financement : nos fonds organisent également de la formation.

Cefora est ainsi le fonds de formation de la commission paritaire auxiliaire pour employés (CPAE). Il s’agit d’une commission qui représente les employés administratifs (mais pas les ouvriers) des secteurs non représentés par ailleurs. Les entreprises adhérentes de la CPAE financent Cefora par une cotisation représentant 0 ,23% de la masse salariale. En échange, le Cefora organise des formations accessibles gratuitement aux employés des entreprises cotisantes.

Les autres secteurs ont leurs propres règles, leur propre financement, leur propre organisme de formation : Educam pour l’automobile, Alimento pour l’agroalimentaire, Constructiv pour les ouvriers de la construction (les employés de ce secteur dépendant de Cefora)…

 

Comment se traduisent les droits à la formation pour les salariés ?

Dans notre secteur, chaque employé a droit à deux jours de formation par an. Dans d’autres secteurs, ça peut être davantage. L’employeur ne peut pas s’opposer à ce que ses employés suivent ces deux jours de formation garantis, mais il peut bien sûr en organiser davantage.

Les jours de formation peuvent être pris sur le temps de travail, même s’il est possible d’en prendre un en-dehors des horaires. Pour les jours pris sur le temps de travail, l’employeur doit valider le projet. Il peut refuser, mais il doit alors motiver sa décision, et il devra de toute façon finir par accepter que la formation s’organise.

Pour ce qui est du thème de la formation, l’employé peut le choisir si l’employeur ne l’a pas fait. Mais si l’employeur prend l’initiative de la formation, le salarié doit prendre le thème choisi.

 

Combien de salariés sont formés par Cefora ?

Cefora représente 55 000 entreprises et 400 000 employés. La contribution des entreprises alimente un budget annuel de l’ordre de 45 millions d’euros, ce qui en fait l’un des plus gros organismes de formation en Belgique. L’année dernière, nous avons formé un peu plus 60 000 personnes. 6500 entreprises ont déposé un plan de formation, qui leur permet de disposer de facilités auprès de Cefora. Mais nous ne touchons que 12% des entreprises adhérentes et 15% de leurs employés. Les entreprises cotisent, les employés ont droit à de la formation, sans coût supplémentaire pour les employeurs, et malgré cela la plupart d’entre eux n’exercent pas leur droit.

C’est pourquoi nous avons conçu un plan stratégique sur trois ans qui vise à former davantage de personnes, à toucher plus d’entreprise, tout en améliorant la qualité de la formation.

 

Quelles sont les entreprises qui forment ?

Les grandes entreprises forment davantage, et elles forment au-delà des deux jours obligatoires. Elles disposent de départements RH et ont des moyens humains à consacrer à l’organisation de formations. Par ailleurs, nous proposons des primes, des financements supplémentaires, qui sont accessibles aux entreprises qui déposent un plan de formation chez nous. Mais cela demande des démarches administratives, que les plus petites entreprises ne maîtrisent pas nécessairement.

Notre secteur d’activité est cependant constitué essentiellement de PME. Nous essayons de les inciter à avoir une réflexion stratégique sur les compétences, mais aujourd’hui cela se fait encore trop peu.

 

Y a-t-il des évolutions prévues du système de formation en Belgique ?

En mars 2017, le gouvernement fédéral a fait passer une loi dite « sur le travail faisable et maniable », qui vise à adapter la réglementation des commissions paritaires à la transformation de l’économie. Cette loi comporte un chapitre sur la formation, qui comporte deux aspects :

  • Elle incite les entreprises à augmenter le nombre de jours de formation octroyés aux travailleurs, en fixant un objectif de 5 jours par an et par salarié. Il s’agit d’une invitation faite aux partenaires sociaux de se diriger vers cet objectif, mais il n’y a pas de date fixée pour y parvenir.
  • Elle redéfinit la formation, en incluant toutes les formes de pédagogie nouvelles. Jusqu’à présent, la réglementation ne portait que sur le présentiel classique.

Le dialogue social reprend ces préoccupations. La convention collective actuelle de la CPAE, avec les deux jours de formation, remonte à 1999. Elle a été reconduite tous les deux ans depuis. Mais en 2017, suite à la loi, les partenaires sociaux ont décidé de ne la reconduire que pour un an. Le monde du travail change, et l’organisation de la formation doit répondre à de nouveaux enjeux : représentants employeurs et syndicaux préparent donc une nouvelle convention qui devrait être conclue en principe cet été.

Cette nouvelle convention devrait traiter de la définition de la formation – et comment inclure les nouvelles modalités, le digital, le blended learning, le e-learning, etc. Mais aussi se poser la question de l’unité à privilégier pour les droits à la formation : compter en jours, ça a un sens pour des formations en présentiel, mais comment l’applique-t-on à la formation à distance, par exemple ? Un dernier enjeu qui sera abordé est celui du droit individuel versus le droit collectif : qui doit être maître de la formation, l’employeur ou le salarié ?

 

Comment est organisé Cefora ?

Cefora compte 85 collaborateurs, qui sont pour beaucoup des chefs de projet, organisateurs de formations. Les formateurs eux-mêmes sont des indépendants et des organismes de formation indépendants, avec qui nous avons des partenariats.

 

Comment fonctionne le marché de la formation belge ?

Il y a d’abord un niveau fédéral, avec les organismes de formation sectoriels paritaires comme Cefora. Il ne s’agit pas d’organismes publics, mais ils ont une dimension institutionnelle puisqu’ils sont issus du dialogue social.

A côté de cela, il y a un niveau régional, avec des organismes de formation publics régionaux : le Forem, Bruxelles Formation, le VDAB forment ainsi les demandeurs d’emploi.

Au-delà, le marché est similaire à ce qu’on retrouve en France, avec des organismes de formation privés auxquels les entreprises peuvent faire directement appel, mais sans bénéficier de mécanismes de financement. Une particularité de la Belgique est la place importante occupée par les hautes écoles de commerce. Et on ne retrouve pas vraiment de très grands organismes avec une offre globale interentreprises sur l’ensemble du pays, comme on peut l’avoir en France.

 

Existe-t-il des obligations en matière de formation – des certifications, des types de formation à financer, des formations obligatoires ?…

Pour bénéficier des financements publics, les organismes de formation doivent pouvoir justifier d’une certification qualité, de type Iso ou autre. Il existe par exemple un système de congé éducation soutenu par le gouvernement fédéral, et qui permet de bénéficier de jours de congé payés pour suivre une formation. Les gouvernements régionaux ont également des systèmes de chèque formation. Une des conditions pour avoir droit à ces différents financements est donc de faire appel à des organismes de formation certifiés.

Pour ce qui est des formations elles-mêmes, les organismes publics régionaux privilégient des programmes de formation certifiants. Au sein des organismes paritaires, il existe une réflexion sur l’opportunité de délivrer des certifications au terme des formations. Cefora, pour le moment, ne le fait pas.

Pour ce qui est des formations légalement obligatoires, il peut en exister dans certains secteurs, mais ce n’est pas le cas dans le nôtre.

 

Existe-t-il des prestataires spécialisés dans l’externalisation de la gestion de la formation en Belgique ?

La situation est un peu différente de ce qu’elle est en France. Toutes les entreprises belges sont affiliées à ce qu’on appelle un « Secrétariat social », qui calcule le salaire des collaborateurs et offre des services RH complémentaires, et également dans le domaine de la formation. De ce fait, il n’existe pas aujourd’hui d’acteur de l’externalisation de la gestion de la formation. Mais je suis convaincu qu’il pourrait s’en développer, pour accompagner les entreprises dans leurs politiques de formation.

 

Quels sont les enjeux de la formation de demain ?

Il y a une prise de conscience généralisée du fait que l’économie se transforme et que la formation est un levier essentiel dans ce contexte. Du côté de Cefora, nous opérons notre propre transformation digitale pour pouvoir nous positionner. Nous devrions ouvrir un portail pour tous les utilisateurs en 2019. Pour ce qui est des types de formation, nous avons fait le choix d’une stratégie basée sur le présentiel augmenté : nous croyons à la valeur ajoutée du présentiel, mais nous lui adjoignons des moyens digitaux en amont et en aval. Cette adaptation à la digitalisation est capitale pour l’avenir des entreprises et des employés.

 

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