Gestion de la formation

Dossier : l’entretien professionnel, définition et état des lieux

Créé en 2014, rénové en 2018, l’entretien professionnel est le plus souvent cité dans les médias pour son volet « répressif », c’est-à-dire notamment pour les 3 000 € de pénalité à verser sur le CPF d’un collaborateur lorsque les obligations ne sont pas respectées. Mais l’entretien professionnel ne se limite pas à cette dimension punitive : il est avant tout un outil RH au service de la stratégie de formation, de gestion des parcours et des compétences de l’entreprise. Retrouvez dans ce dossier l’ensemble de nos ressources relatives à l’entretien : historique, principe, utilité, obligations, risques.

Sommaire
Qu’est-ce que l’entretien professionnel ?
Entretien professionnel et risque juridique
Entretien professionnel et contentieux du travail
L’instabilité de la définition
L’inconnue du fait déclencheur des sanctions
Pour mémoire : les reports successifs des échéances
L’entretien-bilan : tous les 6 ans ou tous les 7 ans ?
L’entretien professionnel : qui le fait ?
Origine et évolution de l’entretien professionnel

 

Qu’est-ce que l’entretien professionnel ?

Le principe de l’entretien professionnel est simple, et désormais connu : tous les deux ans, l’employeur doit conduire un entretien individuel avec chaque salarié au sujet de son évolution de carrière, de ses qualifications, de ses aptitudes, de ses possibilités de formation, mais aussi de son projet professionnel. Il peut être aussi l’occasion pour le collaborateur de se fixer des objectifs professionnels et d’en vérifier la cohérence avec ceux de l’entreprise.

L’entretien professionnel est bien distinct de l’entretien annuel d’évaluation. Le salarié doit être informé de cette procédure quand il signe son contrat de travail.

Tous les 6 ans (c’est-à-dire tous les 3 entretiens professionnels), l’entretien prend la forme d’un état des lieux, permettant de faire un bilan sur la période sexennale écoulée. À cette occasion, l’employeur vérifie que le salarié a bien bénéficié de ses entretiens professionnels tous les deux ans et  d’au moins une action de formation non-obligatoire.

L’employeur doit ensuite formaliser un compte rendu d’entretien qui est remis au collaborateur.

Il est à noter que la périodicité et le contenu des entretiens professionnels peuvent faire l’objet d’aménagements par accord de branche ou d’entreprise. Par exemple, la métallurgie a signé un accord aux termes duquel jusqu’à fin 2023, il suffit d’organiser 2 entretiens sur une période de 6 ans (auxquels s’ajoute l’entretien-bilan), sans qu’ils aient nécessairement eu lieu tous les deux ans.

À la différence des entretiens annuels d’évaluation, l’entretien professionnel est obligatoire : ne pas l’organiser constitue un manquement de la part de l’employeur, quelle que soit la taille de l’entreprise. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, en outre, ce manquement est sanctionné par le versement d’un abondement de 3 000 € sur le compte personnel de formation (CPF) du collaborateur. L’opération se fait via le portail Edef (Espace des employeurs et des financeurs), l’entrée « entreprise » du portail moncompteformation.gouv.fr ; la somme est donc versée à la Caisse des dépôts, qui gère le CPF. En cas de non-versement, si l’entreprise est contrôlée, celle-ci est mise en demeure de verser l’abondement. Si l’entreprise n’obtempère toujours pas, elle est passible d’une amende de 6 000 € à verser non plus à la Caisse des dépôts mais au Trésor public. A priori, l’abondement de 3 000 € reste dû en sus.

Relativement simple d’apparence, le dispositif dissimule en réalité des subtilités et des zones de flou qui le rendent potentiellement périlleux pour l’entreprise. Pour le service formation, en revanche, son organisation systématique et le recueil des données qui en résultent peuvent représenter une opportunité très efficace de gestion des compétences et des carrières.

 

Entretien professionnel et risque juridique

Les semaines et les mois qui viennent seront décisives pour constater la réalité de ce risque. Le cadre juridique de l’entretien professionnel a évolué au fil des années et demeure flou à plusieurs points de vue. Selon la cour des comptes, les abondements contraints des entreprises qui n’ont pas respecté leurs obligations ont cependant représenté 144M€ en 2022, soit 48 000 salariés.

Entretien professionnel et contentieux du travail

Il est important de rappeler que toutes les entreprises sont concernées par l’obligation légale d’organiser des entretiens professionnels tous les deux ans pour chacun de leurs salariés. Le versement « sanction » de 3 000 € sur le CPF des salariés lorsque les conditions ne sont pas respectées au moment de l’entretien des 6 ans ne s’adresse qu’aux entreprises de 50 salariés et plus ; mais ce n’est pas le seul risque juridique encouru.

En effet, lors d’un licenciement ou d’un conflit du travail, il est de plus en plus fréquent de voir les salariés demander des compensations lorsque les obligations en matière d’entretien professionnel n’ont pas été remplies. Et les juges tendent à attribuer des dommages et intérêts pour ce motif. La justification est la perte de chance liée à l’absence d’information, mais aussi le manquement à l’obligation de formation et de maintien de l’employabilité des collaborateurs.

>>Entretien professionnel : les premières sanctions tombent

L’instabilité de la définition

Le contenu de l’entretien professionnel a beaucoup évolué depuis sa création. Les partenaires sociaux et le législateur ont tendance à en faire un véhicule de toute nouvelle politique. En clair, lorsque l’on veut mettre l’accent sur tel ou tel aspect du système de formation professionnelle, on contraint l’employeur à en parler au salarié au moment de l’entretien professionnel. Les points clés à aborder au cours de l’entretien ont donc évolué comme suit :

    • 2014 : L’entretien professionnel du salarié est simplement « consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. ».
    • 2016 : la loi El Khomri (loi « Travail » du 8 août 2016) y ajoute « des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience ».
    • 2019 : la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 ajoute encore l’obligation d’aborder l’activation du CPF, les abondements de l’employeur au CPF, le CEP.

Il n’est pas exclu que la définition s’enrichisse à nouveau lors d’une prochaine réforme.

L’inconnue du fait déclencheur des sanctions

L’entretien professionnel est associé à deux conditions dont le non-respect peut entraîner l’obligation de verser 3 000 € d’abondement sur le CPF de chaque collaborateur concerné, dans les entreprises de 50 salariés et plus.

Il y a une double ambiguïté sur le respect de ces deux conditions.

  • L’une des deux conditions a changé. Initialement, il fallait vérifier, au cours de l’entretien-bilan des 6 ans, que le salarié avait bénéficié au cours de la période d’au moins 2 mesures dans une liste de 3 items (une formation, une certification professionnelle, une promotion/progression salariale). Après la réforme de 2018, cette condition a été remplacée par le constat, lors de ce même entretien-bilan, que le salarié avait bien bénéficié d’une formation non-obligatoire. L’autre condition (avoir organisé pour ce salarié un entretien professionnel tous les 2 ans) n’a pas changé.

>> 2020, année décisive pour l’entretien professionnel

Pour complexifier les choses, l’ordonnance « Coquilles » du 21 août 2019 a organisé une période de transition pendant laquelle les entreprises peuvent choisir de respecter la nouvelle condition ou l’ancienne, pour leurs salariés embauchés avant 2015. Initialement prévu jusqu’au 31 décembre 2020, ce régime transitoire a été prolongé jusqu’au 30 septembre 2021. Le problème ne se pose plus depuis cette date : c’est le régime des deux conditions qui s’impose (avoir organisé tous les entretiens professionnels et que le collaborateur ait bénéficié d’au moins une action de formation obligatoire).

>> L’ordonnance « coquilles » : quoi de neuf pour les entreprises et leur gestion de la formation ?

    • Le caractère cumulatif des deux conditions est incertain. Faut-il respecter les deux conditions ou une seule suffit-elle ? Si l’entreprise n’a pas organisé les entretiens professionnels tous les deux ans mais a formé le salarié, encoure-t-elle la sanction ? Oui, dit le ministère explicitement et sans ambiguïté dans son Questions Réponses (dernière version en date du 17 mars). Non, a pourtant affirmé, notamment, la cour d’appel de Paris le 2 décembre 2020, en se fondant sur une interprétation littérale – et à vrai dire plutôt convaincante – du texte de la loi. Plus d’un an après, l’affaire n’a toujours pas été tirée au clair, que ce soit par une décision d’une juridiction supérieure ou par une modification du texte. D’autres décisions sont mêmes venues confirmer celle de la cour d’appel de Paris.

>> Entretien professionnel : attention danger !

Pour mémoire : les reports successifs des échéances

Autre imprécision, qui n’a cependant plus d’impact aujourd’hui : la date à compter de laquelle s’appliquent les sanctions a été reculée plusieurs fois.

La « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » votée le 23 mars 2020 permettait aux entreprises d’organiser les entretiens des salariés embauchés avant 2015, et dont la date anniversaire des 6 ans tombe donc en 2020, jusqu’au 31 décembre 2020.

>> Des mesures d’urgence pour la formation professionnelle

L’échéance a ensuite été repoussée au 30 juin 2021. Les entretiens-bilans dont la date limite tombait après cette date ne bénéficiaient plus d’aucun report. Les entretiens-bilans dont la date limite tombait au plus tard le 30 juin, en revanche, ont finalement bénéficié de 3 mois supplémentaires, jusqu’au 30 septembre 2021.

Enfin, les premières sanctions devaient initialement être réglées avant le 1er mars 2022. Un décret du 30 décembre 2021 a finalement repoussé cette échéance au 31 mars 2022.

L’entretien-bilan : tous les 6 ans ou tous les 7 ans ?

Dernier élément d’incertitude : le Questions Réponses du ministère précise, à partir de la version parue en juin 2021, que « la notion d’année d’ancienneté » soit être comprise « en années révolues. Ainsi, l’entretien d’état des lieux du parcours professionnel doit être réalisé avant que le salarié n’atteigne les sept ans d’ancienneté. » Pourtant, la loi d’urgence de mars 2020 accordait bien une prolongation aux employeurs qui n’avaient pas organisé l’entretien-bilan avant le 7 mars 2020, c’est-à-dire 6 ans après le vote de la loi de 2014 qui créait le dispositif. Dispose-t-on de 6 ans ou de 7 ans pour organiser l’entretien-bilan ? S’agit-il d’une nouvelle façon d’interpréter la loi ?

Les sources d’ambiguïté et d’incompréhension ne manquent donc pas, et les lois successives ont plutôt nui à la lisibilité de l’entretien professionnel.

 

L’entretien professionnel : qui le fait ?

L’obligation d’organiser des entretiens professionnels a été très inégalement adoptée par les entreprises. En 2018, nous rendions compte d’une étude Céreq  qui révélait qu’à peine plus de la moitié des salariés en avaient bénéficié en 2015 et 2016. L’accès était très inégal suivant la taille des entreprises, et les entretiens professionnels avaient sans doute souvent été menés de front avec l’entretien d’évaluation.

>> La formation en chiffres #60 : 57% des salariés ont bénéficié d’un entretien professionnel

Depuis, une nouvelle étude du Céreq, menée avec France Compétences, a exploité les données des deux années suivantes. La part de salariés ayant bénéficié d’un entretien professionnel en 2017-2018 est légèrement plus faible qu’en 2015-2016, avec de très fortes disparités d’accès suivant non seulement la taille de l’entreprise mais aussi la catégorie socioprofessionnelle.

Comment a évolué l’entretien professionnel depuis 2018 ? Combien d’entreprises sont-elles en règle ? Combien de salariés seront-ils concernés par l’abondement correctif de 3 000 € ? Dans un article sur le site e-learning-letter, Didiez Cozin estime leur nombre à 3,5 millions, soit 10 milliards d’euros de pénalités potentielles si la situation ne s’est pas améliorée depuis 2018. Ce chiffre est peut-être surévalué, dans la mesure où tous les salariés n’ont pas été embauchés il y a moins de 6 ans. Mais il est aussi sous-évalué si l’on considère que les entreprises qui n’acquittent pas d’elles-mêmes la pénalité risquent de devoir payer au moins le double. Le risque financier et juridique qui pèse aujourd’hui sur les entreprises est donc considérable.

 

Origine et évolution de l’entretien professionnel

L’entretien professionnel a été imaginé par les partenaires sociaux en 2003. Il a fait son entrée dans la loi par la réforme de la formation professionnelle de 2014.

>> Promulgation de la loi sur la formation professionnelle au Journal officiel

La communication sur l’entretien professionnel insiste rapidement sur le fait qu’il ne se confond pas avec l’entretien d’évaluation : il ne s’agit pas de juger de l’atteinte des objectifs mais de faire un point sur la carrière.

>> Fonction RH : préparez-vous pour l’entretien professionnel !

En mars 2016, les entreprises devaient en principe avoir organisé les premiers entretiens professionnels, pour les salariés déjà en poste au moment du vote de la loi. C’était l’occasion de rappeler que l’entretien professionnel se veut d’abord un outil au service de la gestion des ressources humaines et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il peut être l’occasion pour le salarié de faire part de ses souhaits d’évolution, de les confronter aux besoins de formation, puis de conduire à des actions de formation du salarié ou des bilans de compétences, des réorientations, des choix de carrière. Il est un moment de la politique de formation.

>> Entretien professionnel : il est (encore) temps !

En septembre 2018, la loi « Avenir professionnel », comme on l’a vu, modifie les obligations liées à l’entretien professionnel, en les rendant à la fois plus simples et plus contraignantes. Mais elle crée également une nouvelle possibilité, en permettant au dialogue social de modifier et d’adapter partiellement les conditions d’application de l’entretien professionnel dans l’entreprise ou dans la branche.

>> Recueil des besoins de formation 2018 : 1 contrainte et 3 opportunités

En novembre 2019 était lancée l’interface Mon Compte Formation, qui permet aux différentes parties prenantes (bénéficiaires, financeurs, organismes de formation, Caisse des dépôts et consignation) d’interagir de façon dématérialisée. À partir de septembre 2020, les entreprises ont pu abonder directement les CPF de leurs salariés, puis, en décembre 2020, mettre en œuvre directement les « conventions de co-construction ». Les abondements liés au non-respect des obligations en matière d’entretien professionnel sont versés par ce biais.

>> CPF : les abondements d’entreprise dans tous leurs états

 

En résumé, les entreprises sont soumises aujourd’hui à une obligation dont les contours demeurent encore flous, sous peine d’une sanction qu’elles doivent s’auto-appliquer au risque de la voir s’aggraver en cas de contrôle et de non-versement. La justice et le gouvernement ne sont pas sur la même longueur d’ondes en matière d’application des conditions, ce qui promet d’inévitables procédures juridiques si des entreprises sont sanctionnées. Une chose est sûre :  l’entretien professionnel n’est toujours pas stabilisé. Seules les entreprises dont les DRH et les responsables formation auront su prendre les devants et intégrer l’entretien professionnel à leur stratégie de management des compétences seront à l’abri.

Crédit photo : Shutterstock / SFIO CRACHO

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