Réforme de la formation professionnelle : et maintenant ?

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La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a été votée définitivement le 1er août 2018, et promulguée le 5 septembre, après la décision (favorable pour l’essentiel) du Conseil constitutionnel. Les principaux aspects en sont connus : centralisation du système autour de l’Urssaf et de France Compétences ; monétisation et désintermédiation du CPF ; transformation de l’organisation de l’alternance. Mais quelles sont les prochaines étapes ? Quels sont les points d’incertitude ? Comment s’annonce la mise en œuvre de la réforme ?

 

La réforme en bref

La réforme de la formation professionnelle voulue par la ministre du Travail Muriel Pénicaud, et partiellement basée sur l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018, a été votée par l’Assemblée nationale le 1er août 2018. Trois groupes parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel sur certains points (relativement mineurs). Celui-ci a rendu sa décision le 4 septembre, écartant quelques « cavaliers législatifs » (des articles sans rapport réel avec l’objet de la loi). La loi vient donc d’être promulguée ce mercredi 5 septembre.

Rappelons les principaux points de la réforme :

  • Un circuit de financement entièrement centralisé et refondu : les entreprises continuent à payer 1% pour la formation professionnelle (ou 0,55% pour les entreprises de moins de 11 salariés) et 0,68% pour l’apprentissage, mais la ressource sera désormais collectée par l’Urssaf et répartie par la nouvelle agence France Compétences.
  • Le Compte personnel de formation (CPF) sera libellé en euros et non plus en heures. Il permettra de financer toute certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles ou à l’inventaire. Le CPF sera géré par la Caisse des dépôts et consignation et mobilisable directement par le bénéficiaire via une application.
  • L’apprentissage est confié aux branches professionnelles et aux nouveaux opérateurs de compétences (Opco) qui remplacent les Opca.
  • Le plan de formation disparaît au profit du plan de développement des compétences. L’action de formation est redéfinie de façon plus simple et plus souple, incluant la formation à distance et la formation en situation de travail.
  • Les entreprises de moins de 50 salariées bénéficieront seules d’un financement mutualisé, alimenté via les Opco par l’ensemble des entreprises.
  • L’obligation de formation demeure et se précise : au moins une formation non obligatoire par salarié tous les 6 ans.

 

Les dates d’entrée en vigueur

Une grande partie des mesures entre en vigueur dès le 1er janvier 2019. En particulier :

  • La création de l’agence France Compétences.
  • La mise en place des opérateurs de compétences (Opco), sur accord de branche agréé par les autorités. Il y a une période de transition : les Opca des branches qui n’auront pas encore conclu d’accords seront agréés en tant qu’Opco à titre provisoire, jusqu’au 31 mars 2019. A noter que les cotisations sur les rémunérations versées en 2018 (contribution formation et taxe d’apprentissage) seront prélevées par les Opca et les Octa, et réparties de la même façon qu’avant la réforme.
  • Le passage du compte personnel de formation en euros, et sa gestion par la Caisse des dépôts et Consignation. Le CPF sera mobilisable directement par son titulaire par le biais d’une application qui devrait être disponible en septembre 2019.

Au 1er janvier 2020 :

  • Les Opacif (réseau Fongecif essentiellement) cèdent la place aux commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR), pour la gestion du CPF de transition (ex – congé individuel de formation).
  • Changement du mode de financement des Centres de formation d’apprentis. Les ressources des CFA seront allouées par les Opco, en fonction du nombre de contrats d’apprentissages signés.

Au 1er janvier 2021 :

  • (Au plus tard) la collecte des contributions formation et alternance est transférée aux Urssaf (entre-temps, elle est assurée par les opérateurs de compétences).
  • Les organismes de formation et les CFA qui recourent aux financements mutualisés doivent être certifiés par un organisme habilité par la Cofrac.

 

Les décrets attendus

L’entrée en vigueur de beaucoup de mesures est cependant conditionnée à la parution de décrets et d’arrêtés, prévus par la loi. Selon la DGEFP, on parle de 70 textes, dont la plupart devraient paraître d’ici la fin de l’année, si tout va bien : il n’est pas rare que ces délais annoncés soient dépassés, ou tenus de justesse, ce qui n’aide pas les acteurs à anticiper.

Les principaux thèmes sur lesquels on attend des précisions sont :

  • Les paramètres du CPF, qui incluent notamment :
    • Les règles de conversion en euros des heures acquises sur le CPF au 31 décembre 2018. L’équivalence annoncée est de 14,28€ par heure.
    • Le rythme d’alimentation : les montants annoncés de 500€ par an (800€ pour les non-qualifiés) ne figurent pas dans la loi (mais il n’y a pas de raison de penser qu’ils seront différents) ;
    • La pénalité à verser en cas de non-respect des obligations de formation constaté lors de l’entretien professionnel des 6 ans (en principe, 3000€) ;
    • Les conditions d’abondement du CPF par les financeurs (employeur, Opco, Etat, Région, Pôle Emploi…) ;
    • Les conditions d’éligibilité de la VAE, du bilan de compétences, du permis de conduire, de l’accompagnement à la création/reprise d’entreprise ;
    • Le délai dans lequel l’employeur doit répondre à une demande de formation d’un salarié sur son temps de travail, financée par le CPF ;
    • Les modalités de mise en œuvre du CPF pour les demandeurs d’emploi et pour les handicapés ;
    • Les modalités de la gestion du CPF par la Caisse des Dépôts et Consignations.
  • Les modalités du CPF de transition, qui remplace le Congé individuel de formation (Cif) :
    • L’ancienneté requise pour en bénéficier, les modalités d’accompagnement et de financement, la rémunération minimale ;
    • L’organisation des Commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR), qui prennent la suite des Opacif (en particulier le réseau Fongecif) pour la gestion du Cif/CPF de transition.
  • La nouvelle définition de l’action de formation, notamment :
    • Les critères de la formation ouverte à distance et de la formation en situation de travail ;
    • Les catégories d’actions de formation ;
    • La part des formations pouvant avoir lieu hors temps de travail en cas d’accord collectif.
  • La certification et l’évaluation des organismes de formation :
    • Le référentiel de certification qui sera utilisé pour labelliser les organismes de formation ;
    • Les modalités de constitution de la base de données sur les organismes de formation ;
  • L’alternance
    • La simplification du contrat d’apprentissage (dérogations aux 35 heures, possibilité de financer un contrat pour un apprenti qui n’a pas encore trouvé d’employeur) ;
    • Les conditions du contrôle pédagogique des CFA ;
    • L’aide à l’apprentissage pour les entreprises de moins de 250 salariés (pour les formations inférieures ou égales au bac) : le montant prévu serait aux alentours de 3000€ par an, mais il doit être précisé ;
    • Les conditions de Pro-A (le dispositif qui remplace la période de professionnalisation), notamment le niveau de qualification maximum des bénéficiaires ;
    • Les conditions du contrat de professionnalisation réalisé à l’étranger ;
    • Les conditions de plusieurs expérimentations (contrat de professionnalisation non certifiant, recours au médecin de ville pour les visites médicales des apprentis, expérimentation dans le pénitentiaire…).
  • Les conditions de mise en place du nouveau cadre des certifications professionnelles (RNCP, répertoire spécifique, enregistrement des CQP…). Egalement, les conditions d’une expérimentation sur la possibilité de valider des blocs de compétence en VAE (au lieu de valider des certifications complètes).
  • Le financement : une ordonnance relative aux conditions de financement du système doit paraître dans les 18 mois qui suivent la promulgation de la loi. Elle sera complétée par des décrets. Seront précisés notamment :
    • L’affectation des cotisations aux différents dispositifs ;
    • Les conditions de cotisation, notamment la transition de 3 ans aménagée pour les entreprises qui dépassent le seuil de 10 salariés.
  • La gouvernance :
    • Organisation de France Compétences ;
    • Répartition des financements par France Compétences ;
    • Conditions d’agrément, fonctionnement et organisation des Opco ;
    • Le cahier des charges à respecter pour les organismes concourant à l’homologation pour délivrer le Conseil en évolution professionnelles (CEP).

 

Un nouveau départ pour le co-investissement ?

Autant dire que la réforme n’est pas prête d’être pleinement mise en œuvre, alors que la précédente n’a pas encore atteint son rythme de croisière. Certains changements pourraient sembler plutôt cosmétiques (Fongecif remplacés par les CPIR, Cif devenant CPF transition, période de professionnalisation muée en Pro-A, Opca changés en Opco, FPSPP, Copanef et Cnefop fusionnés dans France Compétences…). D’autres concernent plus directement les entreprises et les salariés, comme la transformation de l’apprentissage, mais aussi la « reconnaissance » de la formation à distance et de la formation en situation de travail, l’accent mis sur les accords collectifs et l’autonomisation accrue des salariés via le CPF.

Sur ces sujets, dès avril 2018, les répondants au baromètre Cegos 2018 envoyaient déjà des signaux intéressants dans ce sens :

  • La redéfinition de l’action de formation incite 94% des DRH à développer la formation en situation de travail, et les trois quarts à développer la formation à distance ou mixte.
  • Près de 7 DRH sur 10 pensent que le nouveau CPF va favoriser le co-investissement employeur/salarié. Une démarche qui pour les deux tiers d’entre eux se ferait dans le cadre d’un accord d’entreprises.
  • Dans le même temps, 60% des salariés interrogés sont ouverts à utiliser leur CPF pour un projet professionnel (exclusivement pour 38% d’entre eux).

La réforme pourrait donc avoir un effet significatif sur les pratiques de formation au sein des entreprises. Mais il faudra plusieurs années pour en mesurer l’impact réel. A condition qu’une nouvelle réforme ne vienne pas perturber la dynamique !

Crédit photo : fotolia / Olivier Le Moal

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