L’abondement CPF volontaire de l’employeur a-t-il un avenir ?

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Depuis le décret du 14 avril 2025, l’abondement CPF a gagné en viabilité pratique. L’employeur peut désormais attribuer automatiquement des sommes à certains types d’usages et en prévoir le remboursement au bout d’une certaine durée. Ces fonctionnalités seront-elles de nature à faire enfin décoller ce dispositif, au moment où la Caisse des Dépôts publie une étude sur son utilisation clairsemée depuis 2020 ?

Sommaire
L’abondement du CPF, ou CPF co-construit : qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce qui est nouveau ?
Un dispositif encore peu mobilisé

L’abondement du CPF, ou CPF co-construit : qu’est-ce que c’est ?

Résumons les épisodes précédents :

  • Le compte personnel de formation (CPF) est un budget réservé à chaque actif pour financer des actions de formation (500€ par an pour un salarié à temps plein, ou 800€ pour les salariés non qualifiés).
  • Son ancêtre, le droit individuel à la formation (DIF), était souvent utilisé par les entreprises pour financer le plan de formation : la complexité du système rendait le DIF peu utilisable pour un salarié laissé à lui-même.
  • Dans une moindre mesure, il en allait encore de même du « premier » CPF, créé par la réforme de 2014 : il fallait passer par l’Opco, et donc souvent par le responsable formation.
  • Mais la réforme de 2018, mise en œuvre en 2019, a placé réellement le CPF entre les mains du salarié. Celui-ci n’a plus du tout besoin d’intermédiaire pour mobiliser les fonds : tout se passe directement en ligne. Pour la plupart, les entreprises ont donc fait une croix sur cette ressource.

En compensation, la loi propose de développer et de faciliter l’abondement du CPF par l’entreprise. L’objectif est de favoriser la recherche d’un intérêt commun entre employeur et salarié, le premier aidant le second à financer des formations onéreuses, dans un domaine qui intéresse l’entreprise. Un employeur (ou un groupe, ou une branche professionnelle) doit pouvoir ainsi :

  • Ajouter des sommes au CPF de tout ou partie de ses salariés, sans contrepartie (dans le cadre d’une politique de rémunération par exemple) ;
  • Ajouter des sommes au CPF de tout ou partie de ses salariés, sous conditions (par exemple, pour financer un type de formation particulier) ;
  • Co-financer ponctuellement la formation d’un ou plusieurs salariés.

Pendant un temps, l’employeur s’est retrouvé un peu dans la même situation que le collaborateur avant la réforme : le système d’abondement existait, mais il était un peu trop compliqué, ou insuffisamment sécurisé, pour être vraiment utilisable. L’étude de la Caisse des dépôts publiée le 18 juin 2025 décrit cette réalité : les entreprises ont peu utilisé cette possibilité en 2020-2023 (voir plus bas). Les récentes évolutions réglementaires visent à corriger le tir.

 

Qu’est-ce qui est nouveau ?

Le décret du 14 avril 2025 a en effet pour objectif de simplifier et sécuriser la démarche de l’abondement d’entreprise en demandant à la Caisse des dépôts de développer l’interface nécessaire. Auparavant, le code du travail (article R6323-42) ne précisait pas les modalités techniques de l’abondement. Il se contentait de dire que les financeurs du CPF (employeur, branche, Opco, Etat ou autre) communiquaient à la Caisse des dépôts l’identité du salarié et le montant qu’ils voulaient lui allouer, avant de lui verser les fonds.

Désormais, le code précise que ces échanges doivent se faire via un « service dématérialisé ». Mais en pratique, c’était déjà le cas avant, via l’Espace des employeurs et des financeurs (Edef). Chaque employeur (ou autre financeur) pouvait déjà se connecter à cette interface et venir ajouter des abondements aux CPF de ses salariés. La nouveauté du décret du 14 avril ne se situe donc pas vraiment là, mais dans l’inscription dans la réglementation de nouvelles fonctionnalités obligatoires :

  • Possibilité de réserver l’abondement au financement de certaines actions de formation en particulier ;
  • Lorsque de telles conditions d’utilisation sont édictées, possibilité de prévoir un délai au-delà duquel le financeur peut demander le remboursement de la somme.

Plusieurs remarques sur ces nouvelles possibilités :

  • A priori, la Caisse des dépôts n’a pas encore mis à jour l’interface pour intégrer ces nouvelles fonctions (à la date de rédaction de cet article, 26 juin 2025).
  • Cependant, depuis le 5 septembre 2024, il était déjà possible de préciser l’intitulé de la formation pour laquelle l’employeur souhaite que l’abondement soit utilisé. Mais il était bien précisé que « la CDC ne pourra aucunement être tenue pour responsable par l’employeur lorsque le Titulaire utilise cette dotation pour financer un projet de formation autre que celui défini avec son employeur ou lorsque le Titulaire ne réalise pas la formation. » En clair, la plateforme ne sécurisait pas du tout l’utilisation de l’abondement. Ce n’était pas très rassurant !
  • La version modifiée de l’interface devrait résoudre au moins en partie ce problème. Elle permettra à l’employeur de prévoir un délai au terme duquel il pourra demander le remboursement des sommes non utilisées.

–> Important : le décret prévoit la possibilité de fixer un délai de dépense de l’abondement uniquement dans le cas où le financeur a prévu des conditions d’utilisation des fonds (pour tel ou tel type de formation). Si vous souhaitez simplement abonder le CPF de vos salariés dans le cadre de votre politique de rémunération, sans préciser le type de formations à financer, vous ne pouvez pas fixer de délai d’utilisation.

  • Il n’est pas totalement clair que la plateforme sécurisera vraiment l’utilisation de l’abondement conformément aux conditions édictées par l’employeur (ou autre financeur). Quand un accord de branche ou d’entreprise réserve l’emploi d’un abondement à un certain domaine de formation, par exemple, il n’est pas certain que l’interface pourra empêcher son utilisation pour un autre type de formation. Le point reste à préciser, et il est important. Bien sûr, un salarié qui détourne un abondement se met en tort, mais il reste à savoir qui assure la conformité et comment se règlent les litiges.

 

Un dispositif encore peu mobilisé

Le nouveau cadre réglementaire et sa traduction prochaine dans les fonctionnalités de l’interface de la Caisse des dépôts favorisent donc les abondements d’entreprise – mais pas tant que ça. En définitive, le principal progrès est la possibilité de demander le remboursement des sommes non utilisées. Cette possibilité sécurise un peu la procédure. Pour autant, « ce n’est pas un game changer », pour reprendre les termes d’Hervé Estampes, interviewé sur ce site en mai dernier.

Qu’en est-il sur le terrain ? La Caisse des dépôts vient de publier une analyse des dotations versées par les employeurs sur les CPF de leurs salariés entre 2020 et 2023. En voici les principaux résultats :

  • Entre 2020 et 2023, 10 000 entreprises ont versé 250 M€ sur les CPF de leurs collaborateurs.
  • Mais sur cette somme, 188M€ correspondent à des versements obligatoires : abondements correctifs en cas de non-respect des obligations en matière d’entretien professionnel (175 M€) et dotations dues à certains salariés licenciés (13 M€).
  • En définitive, les abondements d’entreprise volontaires proprement dits n’ont concerné que 2 834 entreprises, qui ont versé 60 M€ sur la période (auxquels il faut ajouter 2 M€ d’abondements versés dans le cadre d’accords de branche). Selon les calculs de Digiformag à partir des données de la CDC, l’année 2024 aurait vu 20M€ supplémentaires d’abondements d’entreprise versés – soit davantage qu’en 2023, mais à peu près autant qu’en 2021-2022.

Abondement volontaire de l'employeur de 2020 à 2023 - étude Caisse des dépôts

Chiffres : Caisse des dépôts (2024 : calculs Digiformag)

L’abondement volontaire ne décolle donc pas. Il bénéficie davantage aux salariés des grandes entreprises, aux cadres, aux salariés de la banque et de l’assurance. Mais au total, il n’a concerné en 2020-2023 que 3,3 salariés pour 10 000.

En revanche, ces abondements versés par les entreprises dans le cadre d’une démarche volontaire sont largement utilisés par les bénéficiaires : ils portent en effet sur des projets précis, et au terme de la période étudiée par la CDC, 69% des sommes versées avaient déjà été engagées pour financer des formations. Dans le cas des abondements correctifs pour défaut d’entretien professionnel, ce pourcentage ne s’élève qu’à 4%.

Les formations financées dans le cadre des abondements volontaires sont aussi plus qualitatives et professionnelles : en 2023, il s’agissait de formations menant à des certifications inscrites au RNCP ou au répertoire spécifique dans 86% des cas, contre 60% des cas pour la moyenne des dossiers financés par le CPF pour les actifs en emploi. Le permis de conduire n’a fait l’objet en 2023 que de 8% des formations co-financées par l’entreprise sur une base volontaire, contre 25% en moyenne.

 

Sur le papier, mais aussi dans les usages concrets des quelques entreprises qui ont franchi le pas, l’abondement volontaire de l’entreprise apparaît comme une option solide de financement complémentaire de la politique de formation. Cette modalité présente à la fois l’avantage d’alléger la facture de la formation pour l’entreprise et d’engager un dialogue dynamique avec les collaborateurs sur le sujet du développement des compétences. L’usage va-t-il se diffuser dans les années à venir ? Tout dépendra sans doute de l’évolution des modalités pratiques de sa mise en œuvre.

Crédit photo :  Shutterstock

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