Reste à charge, sous-traitance : le CPF nouveau se dessine

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Il y a eu le CPF en points de 2015, puis le CPF en euros désintermédié et digitalisé de 2019. Aujourd’hui, aucune réforme globale du compte personnel de formation n’est formellement annoncée. Mais les ajustements qui se succèdent depuis 2 ou 3 ans finissent par en changer significativement la physionomie. L’encadrement rigoureux de la sous-traitance et l’arrivée du « reste à charge » de 100 € marquent une nouvelle étape. Sans doute s’agit-il davantage d’une version 2.2 que d’une version 3.0. Mais le CPF de 2024 n’est plus celui de 2019. Et l’évolution pourrait bien bénéficier aux entreprises.

 

Sommaire
CPF et sous-traitance : on ne plaisante plus
Reste à charge : un levier pour les entreprises
En 2023, l’utilisation du CPF a reculé pour la 2e année consécutive

 

À compter du 1er avril 2024, la sous-traitance par les organismes de formation de prestations financées par le CPF est étroitement encadrée. En avril également, un décret doit paraître pour préciser à compter du 1er mai les conditions du reste à charge pour les particuliers qui mobilisent leur CPF. Ces deux évolutions ont en commun de s’inscrire dans la continuité de deux lois votées fin 2022, dans le cadre de la lutte contre la fraude au CPF. Dans un contexte de réduction de la dépense publique consacrée à ce dispositif, l’usage du compte personnel de formation devient donc de plus en plus réglementé.

 

CPF et sous-traitance : on ne plaisante plus

La loi du 19 décembre 2022 contre la fraude au CPF prévoyait d’encadrer la sous-traitance de la formation. Cette mesure a pris corps depuis le décret du 28 décembre 2023.

Quel en est l’enjeu ? La désintermédiation du CPF et sa digitalisation fin 2019 ont créé un vaste segment de marché de la formation autour de cette source de financement. Entre 2019 et 2021, le nombre de dossiers financé a doublé chaque année, passant de 500 000 à 2 millions environ. Pour accompagner cette croissance, les organismes de formation ont dû s’organiser dans l’urgence. Pour une partie, la réponse est passée par un développement rapide de la sous-traitance à des formateurs individuels, voire parfois par la création de structures conçues autour de la sous-traitance.

L’essor des formateurs individuels

En effet, pour bénéficier des financements du CPF, les prestataires doivent respecter au moins trois conditions : être déclarés comme organisme de formation, être référencés dans la base de Mon Compte Formation, et être certifiés Qualiopi. La première de ces conditions est facile à remplir, mais les deux autres sont plus difficiles d’accès pour un formateur individuel. De ce fait, ces derniers ont eu tendance à se placer sous l’ombrelle d’organismes de formation bien installés pour pouvoir bénéficier des financements CPF. La moitié des organismes non certifiés Qualiopi sont en réalité des sous-traitants qui travaillent pour des prestataires qui le sont. Les organismes, de leur côté, ont trouvé dans cette modalité un moyen de répondre à une demande croissante sans avoir à recruter des formateurs. L’instabilité de la réglementation et l’absence de financement clair du dispositif pouvaenit en effet laisser craindre une certaine volatilité de la demande solvabilisée par le CPF.

Il a pu par ailleurs se créer de véritable plates-formes « Qualiopi », soit des structures plus ou moins factices qui permettaient à des formateurs individuels de bénéficier de la certification Qualiopi sans avoir à faire individuellement la démarche.

Résultat : le nombre de formateurs individuels a doublé entre 2018 et 2022, passant de 18 800 à 37 300. Et leur part dans le nombre total d’organismes de formation déclarés est passée de moins d’un quart en 2016 à 42,5% en 2022.

Proportion de formateurs individuels parmi les prestataires de formation - 2016-2022 - RHEXIS

Chiffres : Jaunes budgétaires, à partir des bilans pédagogiques et financiers

Pour l’essentiel, la croissance du nombre d’organismes de formation observée depuis 2018 est imputable aux formateurs individuels.

Nombre de formateurs individuels et d'autres organismes de formation - 2016-2022 - RHEXIS

Chiffres : Jaunes budgétaires, à partir des bilans pédagogiques et financiers

Il est probable que la libéralisation du CPF explique une bonne partie de cet essor des formateurs individuels. En revanche, il n’est pas certain qu’il se soit produit une multiplication des vocations de formateurs. En 2017, François Galinou (ICPF) nous confiait : « on estime qu’il y a environ 40 000 formateurs individuels. Mais seuls 16 000 ont un numéro de déclaration d’activité ». Il est vraisemblable que la réglementation issue de la loi de 2018 a conduit une part importante de ces formateurs non officiels à déposer leur déclaration d’activité.

L’encadrement de la sous-traitance

Les mesures issues du décret du 28 décembre comportent 3 volets principaux.

  • Les organismes de formation, pour rester référencés sur la plate-forme Mon Compte Formation, devront réaliser un minimum de 20% de leur activité en direct. La sous-traitance ne pourra pas dépasser 80% du chiffre d’affaire. Les plates-formes de portage Qualiopi et autres structures créées uniquement pour « porter » des formateurs individuels ne seront donc plus possibles. Ce chiffre d’affaires est comptabilisé sur l’année, sauf en 2024 où seule la période avril-décembre est prise en compte.
  • Les organismes qui ont recours à des sous-traitants doivent conclure avec chacun de ceux-ci un contrat de sous-traitance, et les déclarer à la Caisse des dépôts. Il ne peut plus s’agir d’une simple relation de facturation. Le contrat de sous-traitance doit préciser « les missions exercées au titre de l’intervention confiée, le contenu et la sanction de la formation, les moyens mobilisés ainsi que les conditions de réalisation et de suivi de l’action, sa durée, la période de réalisation ainsi que le montant de la prestation. » Il ne peut donc s’agir d’un contrat générique et vague. Le sous-traitant n’a pas le droit de sous-traiter à son tour : la sous-traitance en cascade n’est pas autorisée dans le cadre du CPF.
  • Enfin, les sous-traitants doivent eux-mêmes être certifiés Qualiopi, sauf s’ils sont micro-entrepreneurs (moins de 77 700 € de chiffre d’affaires en 2024) ou si leur prestation ne porte que sur une partie de la formation. Encore cette partie de formation ne doit-elle pas correspondre à un bloc de compétences entier.

La Caisse des Dépôts peut déréférencer les contrevenants et suspendre les paiements, après une procédure contradictoire, voire d’office dans certains cas.

 

Quelles sont les conséquences pour les entreprises de cette nouvelle réglementation ? Si vous avez des formateurs favoris dont les prestations sont prises en charge par le CPF, il est possible qu’à compter du 1er avril 2024, ils ne soient plus en mesure de délivrer leurs services. Dans le même temps, l’encadrement de la sous-traitance pourrait se traduire, dès lors que vous co-financez des formations CPF pour vos collaborateurs, par une amélioration des standards de service. C’est en tout cas l’un des objectifs de la mesure.

 

Reste à charge : un levier pour les entreprises

L’autre changement majeur de 2024 pour le CPF est l’arrivée du fameux « reste à charge ».

Le feuilleton CPF de l’année 2023

Le principe en a été posé par la loi des finances pour 2023, en date du 30 décembre 2022. Le code du Travail précise désormais que lorsqu’il mobilise son CPF, « le titulaire participe au financement de la formation ». Cette participation doit être précisée par décret, et peut prendre la forme d’un pourcentage plafonné ou d’une somme forfaitaire. Elle ne s’applique ni aux demandeurs d’emploi ni aux salariés quand l’employeur abonde le financement de la formation.

Tout au long de 2023, l’ambiguïté a plané sur la parution de ce décret. Il a même été question d’enterrer la mesure. Des montants divers ont été évoqués par les autorités : 30% du coût en mai 2023, un forfait de 50€ en décembre 2023, 10% du coût de la formation en janvier 2024… En définitive, le gouvernement s’orienterait vers un forfait de 100 € pour chaque prestation financée par le CPF, à compter du 1er mai 2024, selon Les Echos.

Une mesure d’économie

Ces 100 € par dossier devraient permettre, selon le gouvernement, d’économiser 375 M€ sur les 2,2 Mds€ prévus pour le CPF en 2024, en faisant l’hypothèse que 20% des bénéficiaires qui auraient utilisé leur CPF en seront dissuadés par le reste à charge.

Dans le même temps, cependant, l’ouverture du permis moto aux financements CPF pourrait bien réduire sensiblement les économies attendues. Toujours selon Les Echos, le nombre de demandes pour le permis A2 ferait déjà jeu égal avec celles visant le permis B, qui est déjà la star du CPF. Au total, la facture du permis moto pourrait s’élever à 277M€ en 2024, selon la Caisse des dépôts.

Par ailleurs, plusieurs questions restent à trancher : si le prix de la formation dépasse le montant présent sur le CPF,  faudra-t-il quand même payer le reste à charge, en plus du complément de financement ? Quels seront précisément les cas d’exemption ? Le décret prévu pour avril devrait lever ces doutes. L’avis des partenaires sociaux (les syndicats de salariés étant hostiles au reste à charge) pourrait encore faire évoluer les détails.

Arnaud Portanelli (Lingueo), sur LinkedIn, pose deux conditions pour que le reste à charge soit profitable. D’une part, il faudrait selon lui s’assurer que le titulaire soit bien le payeur des 100€, pour que éviter que certains organismes de formation ne jouent pas le jeu et règlent la note, pour attirer les clients.

Une opportunité pour les entreprises et les responsables formation

D’autre part, lorsque le bénéficiaire effectue sa formation sur le temps de travail, ce dernier devrait pouvoir être valorisé par l’entreprise comme un abondement.

En effet, le reste à charge est un élément à prendre en compte très sérieusement par les entreprises et les responsables formation. Comme nous le soulignions il y a un an, il représente un réel levier pour co-construire des projets de formation avec les salariés :

  • Les collaborateurs, étant exemptés de reste à charge pour les formations cofinancées par l’entreprise, seront incités à mobiliser leur CPF pour des projets d’intérêt partagé ;
  • Les entreprises pourront bénéficier du cofinancement CPF pour certaines actions du plan de formation, avec l’accord des salariés.

Si le décret prévoyait que le temps de travail consacré à la formation pouvait être considéré comme un abondement de l’entreprise, l’incitation des salariés à mobiliser leur CPF dans le cadre du plan de développement des compétences de leur employeur serait démultipliée.

Selon le site open data de la Caisse des dépôts, les entreprises ont cofinancé environ 10 000 dossiers CPF en 2022 comme en 2023, pour un montant en léger recul en 2023 (21M€ contre 22M€ en 2022).

 

En 2023, l’utilisation du CPF a reculé pour la 2e année consécutive

Globalement, les réformes récentes visent à réduire la note du CPF, tout en concentrant la dépense sur des prestations de qualité bénéficiant aux entreprises. L’objectif qualitatif est pour le moment difficile à évaluer. Mais la réduction de la dépense a d’ores et déjà commencé à se concrétiser.

En ordre de grandeur, le nombre de formations financées par le CPF est passé :

  • d’environ 500 000 par an en 2018-2019
  • à environ 1 million en 2020,
  • puis plus de 2 millions en 2021.
  • En 2022, on redescend à 1,8 million,
  • puis autour d’1,4 million en 2023.

L’enveloppe mobilisée, elle, s’est stabilisée en 2022 aux alentours de 2,5 Mds€, et sans doute un peu réduite en 2023. Le rapport d’activité 2022 du CPF, en date du novembre 2023, table sur une stabilisation de la part France Compétences à 2,45 Mds€ en 2024, du fait de la hausse du prix des formations.

Notons que les chiffres précis ne sont pas si faciles à trouver. La Caisse des Dépôts a certes mis en ligne les données en open data, mais les chiffres bruts ne coïncident pas toujours avec ceux de la Dares ou de France Compétences ; il nous manque probablement des clés pour les interpréter.

Le mouvement est cependant bien celui-ci : forte hausse du nombre de dossiers jusqu’à 2021, puis baisse sensible accompagnée d’une augmentation du coût par dossier. Le reste à charge pourrait contribuer à stabiliser la dépense plus qu’il ne la réduira.

 

L’ajustement du CPF entamé en 2022 (notamment en réaction à la fraude) et finalisé en avril 2024 va changer significativement le profil de l’outil. Après le « printemps du CPF » consécutif à la libéralisation de 2019, un usage plus régulé va se mettre en place. Il est raisonnable de penser que le nombre de dossiers va au minimum se stabiliser en 2024, voire redescendre aux alentours du million. Les formations financées pourraient être plus onéreuses en moyenne, et concerner les utilisateurs les plus motivés. Il reste à voir si le reste à charge sera dissuasif pour les moins fortunés, et s’il se traduira par un essor des formations coconstruites avec l’entreprise. Cela dépendra, en partie, de la mobilisation des responsables formation.

Crédit photo : Shutterstock / rafastockbr

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