Jérémy Lamri : « Il n’y a pas encore d’IA vraiment efficace à l’échelle en RH »

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Vice-président et co-fondateur du Lab RH, Jérémy Lamri a déjà derrière lui un riche parcours dans le domaine de l’innovation technologique appliquée RH. Il dirige aujourd’hui Tomorrow Theory, qui accompagne les organisations dans la prise en main des grands enjeux technologiques et sociétaux de la transformation du travail et des RH. Il est également co-auteur, avec Michel Barabel , Todd Lubart et Olivier Meier, d’un récent ouvrage sur les soft skills chroniqué sur ce blog.

 

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots le champ que recouvre l’expression « Intelligence artificielle » (le concept mais aussi et surtout le type de technologies) ?

L’intelligence artificielle (IA) est un vaste domaine qui englobe les concepts, les techniques et les technologies permettant à des machines, notamment les ordinateurs, de reproduire ou de simuler certaines formes d’intelligence humaine. Ces formes d’intelligence incluent l’apprentissage, la résolution de problèmes, la compréhension du langage naturel, la perception et l’interaction sociale. Les technologies clés de l’IA comprennent l’apprentissage automatique (machine learning), les réseaux de neurones artificiels, l’apprentissage profond (deep learning), le traitement automatique du langage naturel (NLP) et la vision par ordinateur, entre autres.

 

Avec Tomorrow Theory, vous êtes spécialisé dans une approche pragmatique, « no nonsense », de l’innovation RH. Qu’est-ce que l’IA apporte vraiment aujourd’hui à la gestion des talents et des compétences dans l’entreprise (y compris la formation) ? Que peut-on s’attendre à ce qu’elle apporte demain ?

Chez Tomorrow Theory, nous adoptons effectivement une approche pragmatique de l’innovation RH. Pour le moment, nous constatons que l’IA crée autant de biais qu’elle apporte de la valeur, car les RH ne partagent pas de bonnes pratiques claires sur leurs processus et leur digitalisation. L’intelligence artificielle a donc un apport très limité, par exemple sur du tri de CV par mots clés ou par reconnaissance sémantique, ou sur de l’aide à la gestion de référentiels de compétences. Mais de manière générale, il n’y a pas encore d’IA vraiment efficace et ’nette’ applicable à grande échelle en RH. J’insiste sur le concept d’échelle : une utilisation locale de l’IA par une personne bien formée et expérimentée peut créer beaucoup de valeur, et c’est le cas dans pas mal d’endroits. Mais le sujet de l’utilisation à grande échelle pose problème, faute de bonnes pratiques.

Demain, avec une démarche basée sur les bonnes pratiques, et la présence d’IA capables de détecter les erreurs de l’IA, celle-ci permettra d’améliorer le processus de recrutement en automatisant efficacement le tri des candidatures et l’analyse des compétences. En matière de développement, l’intelligence artificielle permettra la personnalisation des parcours d’apprentissage en fonction des besoins individuels, l’analyse des performances pour orienter les collaborateurs vers les formations les plus adaptées et la création de contenus plus engageants grâce à la réalité virtuelle ou augmentée.

Dans le futur, l’IA pourrait transformer encore davantage la gestion des talents et des compétences en entreprise. Par exemple, elle pourrait :

  • permettre une meilleure anticipation des besoins en compétences grâce à l’analyse prédictive,
  • faciliter la mobilité interne en identifiant les opportunités de développement personnel et professionnel,
  • ou encore optimiser la gestion des carrières en fournissant des recommandations personnalisées.

De plus, l’IA pourrait aider à créer des environnements de travail plus inclusifs en détectant et en atténuant les biais inconscients dans les processus RH.

 

Plus particulièrement, sur la formation, quel peut être l’apport des outils conversationnels intelligents de type « ChatGPT », aux différentes étapes du processus (orientation, personnalisation, élaboration de contenu…) ?

En ce qui concerne la formation, les outils conversationnels intelligents de type « ChatGPT » peuvent apporter une valeur ajoutée significative à différentes étapes du processus. Ils peuvent aider à l’orientation en fournissant des informations personnalisées sur les formations et les parcours disponibles, faciliter la personnalisation des contenus en adaptant les conseils et les ressources en fonction des besoins individuels, et contribuer à l’élaboration de contenus en générant des suggestions de sujets ou de formats pertinents. Ces outils peuvent également favoriser l’engagement et la motivation des apprenants en offrant un soutien interactif et en temps réel.

 

En matière pédagogique, qu’en sera-t-il de l’IA demain ?

Il est vrai qu’un robot donnant la réponse la plus vraisemblable sans connaître réellement le sujet n’apparaît pas comme une option viable en matière pédagogique. Cependant, l’IA de demain pourrait être en mesure de combler ces lacunes en développant une compréhension plus approfondie et en améliorant la qualité des réponses fournies. Les progrès dans des domaines tels que l’apprentissage profond, le traitement du langage naturel et la génération de texte pourraient permettre aux systèmes d’IA de mieux comprendre les contextes, d’adapter leurs réponses en fonction des besoins des apprenants et de fournir des informations plus précises et fiables pour favoriser un apprentissage efficace. Lorsque l’on voit l’écart de performance entre GPT-3 et GPT-4, on peut penser que les prochaines générations seront plus performantes. Et tout cela, c’est sans compter sur les autres branches d’IA qui sont amenées à se développer, tels que les modèles encodeur-décodeur (là où GPT n’est qu’un décodeur simple).

 

En attendant, vous avez co-écrit un ouvrage avec Gaspard Tertrais, pour lequel vous avez eu recours à ChatGPT. Comment caractériseriez-vous l’apport de cet outil au travail d’écriture ?

L’ouvrage Travailler à l’ère des IA génératives, conçu avec IA, a été publié aux éditions EMS en juin dernier. Il s’agit du tout premier livre français rédigé par IA et publié chez un éditeur reconnu. Dans l’ouvrage, nous abordons la nature et les enjeux des IA génératives pour le futur du travail et des RH, et nous détaillons également la méthodologie qui a permis de concevoir un ouvrage entier par IA en quelques jours de production seulement. Bien évidemment, avant la réalisation de cet ouvrage, Gaspard et moi avions cumulé plusieurs milliers d’heures d’utilisation des IA génératives. Mais avec ce niveau de maitrise, nous considérons que les IA génératives nous permettent de produire à la vitesse de la pensée. Elles ne remplacent ni l’expertise, ni la vision, mais elles permettent de concrétiser le contenu correspondant aux idées et opinions que nous sommes en mesure de formuler.

Cela change tout en matière de rapport à la production intellectuelle. Depuis ce travail, nous avons encore optimisé notre processus, et nous estimons qu’il est désormais possible de produire un ouvrage expert de qualité en deux à trois jours, hors témoignages et contributions tierces…

Vous êtes également associé au travail de définition des soft skills actuellement conduit au sein de l’Afnor. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le sujet ? Quels bénéfices concrets peut-on attendre de la publication de cette classification, prévue à l’été 2024 ?

Dans le cadre de l’AFNOR, j’ai l’opportunité d’animer avec Fatma Ben Salem (de l’AFNOR), le groupe de travail GT-SSK AFNOR en charge de la production d’une norme référentielle expérimentale sur les soft skills. Son objectif est d’officialiser un terme français pour parler des soft skills, et de définir une liste exigeante et exhaustive de ces capacités socio-cognitives, pour les voir comme des briques de legos à associer pour créer des compétences socio-cognitives spécifiques.

Plus d’une trentaine d’acteurs de tous milieux contribuent à l’élaboration de la norme (éditeurs logiciels de tests, établissements d’enseignement supérieur, laboratoires de recherche, organismes de formation, cabinets de recrutement, cabinets de conseil RH, experts en ingénierie des compétences, responsables RH de grandes entreprises, organismes de coaching, dirigeants de PME, France Stratégie, CAFOC, ONISEP, etc.).

Le projet a été officiellement initié en septembre 2022, et nous avons pris plus de 9 mois pour recruter suffisamment de contributeurs aux profils variés. Les réunions de travail ont débuté à la rentrée 2022 et continueront jusque fin 2023, et en principe, la norme devrait pouvoir être publiée par l’AFNOR début 2024.

En tant que norme expérimentale, elle sera valable deux ans, avant de pouvoir être mise à jour et améliorée des retours du terrain. Ce dispositif exceptionnel permet d’avancer des hypothèses majeures, sur un sujet loin d’être consensuel, sans figer de vérité dans le temps. S’il faut ajuster la norme, elle pourra rapidement être modifiée pour refléter au mieux les attentes mouvantes du marché, autant que les avancées en psychologie sociale sur le sujet des compétences.

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