Luc Martinato, Apave : « La réalité virtuelle et augmentée change la formation au poste de travail »

0

Luc Martinato est responsable du Digital Learning chez Apave. Il a la responsabilité du LMS et des outils digitaux utilisés dans la formation professionnelle à destination des clients. Il nous parle de la réalité virtuelle et augmentée appliquée à la formation d’aujourd’hui et demain.

 

Qu’est-ce que la réalité virtuelle ou augmentée apporte concrètement aux formations sécurité ?

L’utilisation de la réalité virtuelle en formation ne date pas d’aujourd’hui. Dès les années 2010, Second Life permettait déjà de se promener virtuellement dans des entrepôts et  de passer en revue ses obligations de sécurité… Nous pouvons même remonter aux années 1990, avec les simulateurs de vol, qui mettait déjà en œuvre de la réalité virtuelle. Mais ces outils restaient peu accessibles au grand public. Ces dernières années, les progrès en matière de débit internet, de puissance des ordinateurs  et la démocratisation des casques de réalité virtuelle ont rendu cette technologique plus accessible en formation.

Aujourd’hui, la réalité virtuelle nous permet d’immerger nos stagiaires dans des endroits à risques comme par exemple des postes à haute tension, de les mettre en présence d’installations techniques complexes sans aucun risque d’accident.

Bien sûr, les activités pédagogiques réalisées dans ces environnements virtuels ne sont pas complètements équivalentes à ce que nous pouvons réaliser sur nos chantiers écoles. Mais la reproduction fidèle des lieux de travail, des équipements et des procédures nous permet de gagner du temps lors des parties pratiques en présentiel sur maquette ou au poste de travail.

 

Comment la réalité virtuelle s’insère-t-elle dans le parcours de formation ?

Prenons l’exemple des formations à la prévention des risques. La réalité virtuelle s’intègre juste après la théorie et avant la mise en application sur le terrain. Cette phase intermédiaire permet de confronter la théorie à la pratique tout en restant dans la salle de formation. Grace à elle, nous pouvons immerger nos stagiaires dans des lieux de travail aussi divers qu’un poste haute tension, un entrepôt logistique, une centrale nucléaire ou encore un plateau administratif. Ces immersions nous permettent de gagner du temps lors de l’apprentissage et d’être plus efficaces en situation réelle.

 

Avez-vous des exemples concrets d’applications ?

Nous avons déployé la réalité virtuelle dans plusieurs parcours. Dans les formations Habilitation électrique, par exemple, le salarié est placé dans des situations correspondant au niveau d’habilitation visé. Le but est de le mettre en situation afin de s’assurer qu’il ait bien acquis les grands principes de la prévention avant d’intervenir concrètement dans son entreprise. Nous avons digitalisé 6 situations de travail en entreprise, qui permettent de réviser les règles de sécurité et de mettre en place l’analyse de risques dans des environnements réalistes, sans quitter la salle de formation.

La réalité virtuelle ne remplace pas la pratique : elle permet de gagner du temps et d’éviter des déplacements. La partie pratique se fait ensuite chez le client ou sur nos maquettes pédagogiques. Le salarié sera plus efficace en situation d’application réelle après avoir révisé les procédures et avoir été confronté à une situation similaire en réalité virtuelle.

Un autre type d’application repose sur l’utilisation de « jumeaux numériques », c’est-à-dire des reproductions digitales de machines existantes. Par exemple, pour former des techniciens de maintenance en sécurité, il est possible d’utiliser une copie digitale des installations. Sur un  PC, tablette ou casque VR, l’apprenant est mis en situation de travail et doit réaliser des tâches comme s’il était en conditions réelles. Le tout en interagissant virtuellement avec la machine.

 

Et la réalité augmentée ?

Nous nous sommes intéressés à la réalité augmentée notamment pour ce qui concerne les formations à l’utilisation d’extincteurs. Même si nous disposons déjà d’alternatives au traditionnel bac à feu nous permettant de faire les exercices incendie sans pollution et risque dans les locaux de nos clients, la réalité augmentée permettra d’aller plus loin: nous pourrons utiliser directement l’environnement du client et simuler des  départs de feux au sein même des locaux, même occupés. Néanmoins, la réalité augmentée reste coûteuse. Elle requiert des équipements chers et des PC puissants. Nous regardons ces techniques de très près car  elles font certainement partie de l’avenir de la formation. Pour le moment, nous n’avons pas encore trouvé de solution pouvant répondre à nos différentes contraintes.

 

Qu’en est-il de l’équipement en matière de réalité virtuelle ?

Il y a eu une réelle démocratisation du matériel. Il y a encore quelques années, il fallait un PC à 2 ou 3 000 € et un casque à 1 000 € pour pouvoir débuter. Aujourd’hui, il existe des casques autonomes à partir de 500€ . Par ailleurs, la réalité virtuelle peut être plus ou moins immersive : le casque n’est pas obligatoire. Certains préfèrent la tablette ou le PC. Nous avons été l’un des premiers organismes à se doter de casques de réalité virtuelle à grande échelle. Nous en avons déployé plus de 200 dans notre réseau. Chacun de nos 145 centres de Formation dispose  d’un ou plusieurs casques, permettant aux stagiaires de suivre plusieurs scénarios en matière d’habilitation électrique et d’analyse de risque.

Le niveau de démocratisation n’est pas le même en réalité augmentée. Les casques sont sensiblement plus onéreux. Pour le grand public, nous en sommes encore aux balbutiements. Nous avons testé des applications plus légères sur Smartphone et tablettes. Les stagiaires pouvaient visualiser les objets 3D dans la salle de formation en utilisant un téléphone. Mais du matériel informatique compatible est nécessaire et les situations sont coûteuses à modéliser.

 

Comment se passe le développement des formations ?

Nous avons recours aux services d’un partenaire pour mettre en forme les scénarios pédagogiques que nous concevons. Il nous accompagne dans la reproduction des environnements et des interactions. Nous introduisons une dimension gamifiée dans les parcours : le stagiaire doit rechercher les situations à risque, il gagne des points, et le formateur a une vision d’ensemble des parcours. Il peut à la fois faire du suivi individuel et afficher le classement d’un groupe de stagiaires. Cette dimension ludique participe beaucoup à l’attractivité de l’activité. Nous utilisons cette méthode également pour organiser des « journées sécurité », au cours desquelles un certain nombre de participants vont concourir les uns contre les autres dans une chasse aux risques organisée dans un environnement virtuel.

Ces scénarios restent relativement lourds à réaliser : ils requièrent l’expertise d’un développeur de jeux vidéo. En revanche, pour les visites de sites avec interactions scénarisées, nous sommes autonomes. Nous sommes en mesure de réaliser des modules en utilisant des photos à 360°, sur le modèle de Google Street. Cela nous permet d’immerger les stagiaires dans des environnements à risque sans avoir à faire le déplacement. Nous l’avons déjà réalisé pour des formations dans le domaine du risque nucléaire, du risque amiante, du risque incendie. Il y a des endroits sur des  sites industriels dans lesquels on ne peut pas emmener des stagiaires. Les visites en réalité virtuelles développées à partir de photos en 360° nous le permettent.

Nous pouvons même scénariser les visites, en insérant par exemple des « hotspots » sur le parcours au sein du bâtiment : ce sont des points sur lesquels les stagiaires s’arrêtent et où des questions leur sont posées, des informations délivrées. Nous pouvons insérer du son, de l’image, de la vidéo. Tout cela peut être fait en interne. La scénarisation reste simple, on se promène avec le stagiaire, on lui raconte une histoire, on découvre les lieux. Il s’agit bien de réalité virtuelle.

 

On annonce la généralisation de la réalité virtuelle et augmentée en formation depuis de nombreuses années. Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il en sera autrement cette fois-ci ?

La formation au poste de travail en réalité virtuelle ou augmentée a sans aucun doute un grand avenir devant elle. D’abord parce que les applications sont très intéressantes pour les entreprises. Une grande marque automobile a déjà développé un outil utilisant un casque de réalité augmentée : celle-ci permet de guider le technicien dans son intervention en surimprimant les consignes directement dans son champ de vision. C’est également possible pour le dépannage de machines en usine. Il s’agit davantage d’assistance à l’intervention que de formation proprement dite ; mais il y a bien un bénéfice pédagogique acquis au poste de travail.

L’utilisation de jumeaux numériques reste aussi très utile. Quand vous investissez dans une machine qui coûte plusieurs millions d’euros, cela vaut la peine d’en faire réaliser une modélisation digitale en amont. Les techniciens peuvent entamer leur formation non seulement sans risque pour la machine, mais avant même qu’elle soit montée. Lorsque la machine est prête, les techniciens sont déjà quasiment opérationnels. C’est un gain de temps très appréciable.

La généralisation de ces technologies est rendue possible par la démocratisation des outils. Des casques combinant réalité virtuelle et augmentée commencent même à arriver sur le marché à des prix abordables.

Pour les organismes de formation, l’utilisation de la réalité virtuelle n’est pas seulement une question  de  prix des casques. Il y a également une dimension pédagogique. Auparavant, les gens que nous voyions arriver en formation n’avaient jamais utilisé un casque de réalité virtuelle. Nous devions d’abord les former à utiliser l’équipement. Avec la démocratisation des casques, les organismes de formation vont pouvoir passer plus de temps sur la partie pédagogique et moins sur l’appropriation de l’outil. La même chose vaut pour les formateurs. Nous arrivons à une certaine forme de maturité de ces technologies. On trouve des casques de réalité virtuelle en grandes surfaces, de grandes marques se lancent sur le marché et de plus en plus d’écoles et d’entreprise les utilisent… Ils s’intègrent dans le quotidien.

Progressivement, davantage de salariés pourront se former en semi autonomie sur une machine grâce à ce type d’équipements. La réalité virtuelle et augmentée va impacter fortement le monde de la formation, en particulier de la formation au poste de travail.

Si vous souhaitez vous inscrire à la newsletter mensuelle du blog MANAGEMENT DE LA FORMATION : rendez-vous ici.
Découvrez le site RHEXIS, l’externalisation au service de la gestion de votre formation.
Retrouvez les articles qui peuvent vous intéresser sur des thèmes proches :

Laissez un commentaire