Jullien Brezun, Great Place To Work : « La formation dans l’entreprise favorise une culture de la confiance »

0

Après une carrière dans la fonction commerciale qui l’a conduit notamment aux postes de directeur commercial de L’Oréal France et de l’Occitanie en Provence, Jullien Brezun est depuis 2019 directeur général de Great Place To Work. Également vice-président du think tank Entreprise & Progrès, il promeut une approche de l’expérience collaborateur centrée sur la confiance. Il répond aux questions de Management de la Formation sur les défis managériaux de l’ère post-Covid et le rôle de la formation dans l’entreprise pour faire face aux mutations en cours.

 

Comment la transformation digitale, l’hybridation du travail, les mutations consécutives à la crise sanitaire ont-elles, selon vous, affecté la QVT dans les organisations ?

La pandémie est venue accélérer des transformations sous-jacentes et les diffuser. J’identifie 4 tendances très fortes à l’œuvre dans ce monde post-Covid.

Il y a d’abord un rapport au travail qui s’individualise. L’idée générale est un peu « je travaille où je veux, quand je veux, avec qui je veux, sur les outils que je veux ». C’est un rapport à l’organisation qui fait sauter l’unité de temps, de lieu et d’action chère à Beaumarchais. Les collaborateurs se posent moins la question de ce qu’ils apportent à l’entreprise, et davantage celle de ce que l’entreprise leur apporte. Il y a une sorte de marchandisation de la relation.

La 2e tendance découle de la 1re : c’est la remise en cause du modèle managérial existant. Le management intermédiaire acquiert un rôle pivot. Le management s’entend désormais comme la capacité à favoriser le terreau le plus propice au développement personnel de chacun et chacune.

L’inclusion est une autre tendance qui existait déjà avant la crise, et qui a pris de l’ampleur. Dans le contexte post-Covid, les salariés entendent que les entreprises fassent preuve d’exemplarité en matière de non-discrimination, que ce soit en fonction du genre, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de l’origine, etc. Il s’agit de ne laisser personne au bord de la route : c’est une attente forte des salariés.

La 4e tendance, enfin, porte sur la fameuse quête de sens, exprimée par beaucoup de collaborateurs et collaboratrices. L’objectif n’est pas nécessairement de sauver la planète, mais aussi de donner du sens à son activité. On retrouve là encore le rôle du manager de proximité, qui est là pour donner du sens à ce qui se fait au quotidien. Prenons un exemple : vous êtes contrôleur de gestion, vous travaillez pendant des semaines sur des hypothèses budgétaires données. Et puis les hypothèses changent au dernier moment. Le rôle du manager est d’expliquer le pourquoi du changement, et de montrer que le travail fait n’est pas perdu.

Ces tendances, prises ensemble, composent un défi complexe pour les entreprises. Il y a une forme de paradoxe entre l’hyperindividualisation du rapport au travail d’un côté, la recherche d’un sens collectif, d’un destin commun de l’autre. Il faut parvenir à trouver les ajustements managériaux nécessaires à prendre en compte simultanément ces deux aspirations, à concilier l’individuel et le collectif.

 

Quel rôle joue la formation dans l’entreprise en réponse à ces défis ?

La transformation managériale requise implique une montée en compétences continue. Dans ce contexte, le management doit se comprendre comme une compétence, et non simplement comme une position. Il s’apprend, se travaille, au même titre que les métiers techniques. Il comporte également une dimension RSE : comment organiser le travail pour le rendre mieux impactant ?

La formation, quant à elle, ne doit pas être vue simplement comme un outil scolaire. Elle n’a pas seulement lieu en salle ou en ligne, mais aussi par le biais de la transmission par les pairs, ou par le manager. L’organisation doit valoriser la curiosité des collaborateurs et favoriser la montée en compétences à toute occasion. Cela passe par un accès à une offre de formation qui s’est considérablement étoffée, notamment dans la forme et les canaux de diffusion. Mais cela passe aussi par un management qui permet aux collaborateurs d’apprendre, d’essayer, d’échouer, de recommencer.

Avant et après cette montée en compétences continue dans l’entreprise, il y a deux temps forts de la formation : l’onboarding, où l’on forme le collaborateur qui entre dans l’organisme, et l’offboarding, qui pose le problème de la conservation du savoir dans l’entreprise. Dans les deux cas, c’est tout l’enjeu d’une culture de la transmission qui se joue – une culture qui repose toujours sur une forme de générosité, notion sous-valorisée dans l’entreprise à mon sens.

Dans le palmarès Great Place To Work, l’offre interne de développement des compétences est-elle un critère pris en compte ?

Quelques mots d’abord sur notre méthodologie, qui vise à évaluer la qualité de l’expérience de vie au travail. Notre démarche est structurée autour d’un facteur-clé, que nous retrouvons au cœur de l’équation de l’expérience collaborateur : le facteur confiance. Il y a d’autres éléments en jeu bien sûr, mais à nos yeux – et ce point de vue est validé par des travaux académiques – la confiance ressentie est le facteur prépondérant. C’est l’angle sous lequel nous diagnostiquons les entreprises. Celles dont la politique managériale n’est pas orientée dans ce sens ne sont pas forcément de « mauvaises » entreprises, mais elles obtiennent un score peu élevé dans notre référentiel.

Notre certification s’assied sur un indicateur, le Trust Index, qui combine 60 items. Nous constatons une forte corrélation entre niveau de confiance et satisfaction client. La symétrie des attentions se vérifie sur le terrain.

Pour ce qui est du développement des compétences, nous le retrouvons à plusieurs niveaux dans le questionnaire, de façon plus ou moins explicite. L’une des questions posées aux collaborateurs et collaboratrices est tout simplement, en substance, « l’entreprise vous offre-t-elle des formations et des opportunités de développement ».

Mais d’autres items abordent davantage le contexte de la montée en compétences. Il y a ainsi une quarantaine de questions sur la relation managériale. C’est en effet souvent sur le lieu de travail et dans le rapport au manager que se joue la transmission. Les collaborateurs ont-ils le droit à l’erreur dans l’entreprise – un aspect fondamental de la montée en compétences ? Ont-ils la liberté d’innover, sont-ils mis en avant quand ils le font avec succès ? Sont-ils évalués au mérite ? Toutes ces questions sont liées de plus ou moins loin au processus d’apprentissage, de développement des compétences, d’évaluation.

 

Pour vous, il existe donc un lien entre accès à la formation dans l’entreprise et qualité de vie au travail ?

Je vais prendre l’exemple de deux entreprises très différentes, mais qui ont en commun d’avoir été régulièrement bien classées à notre palmarès.

Le cabinet de conseil Wavestone se positionne comme une entreprise apprenante, avec une démarche de formation très structurée. Le développement des savoirs est un mantra chez eux. Il ne s’agit pas juste d’avoir accès à la formation, mais aussi de favoriser une culture d’organisation axée autour de la transmission et du développement des compétences. C’est le résultat d’une politique délibérée de la part de la DRH. Nous parlons ici surtout d’une population de cadres.

Parallèlement, une entreprise du BTP comme Léon Grosse, sur des expertises techniques et manuelles, a réussi également à structurer une démarche formation très forte par l’intermédiaire du compagnonnage.

Dans les deux cas, les entreprises se distinguent avant tout par une volonté et par un état d’esprit. Ce n’est pas simplement « j’ai alloué 4% de mon budget à la formation ». Elles s’inscrivent dans une vraie démarche culturelle, et s’en donnent les moyens.

La formation, en elle-même, représente une forme de reconnaissance. Elle signifie « tu es important pour moi, j’ai confiance en toi, je veux t’aider à te développer et à travailler ton employabilité. » Face aux changements liés au digital, à la transition environnementale, à la transformation organisationnelle, le fait de permettre aux collaborateurs d’évoluer et d’anticiper les mutations par la formation favorise l’entrée de l’entreprise dans une culture de la confiance.

Wavestone et Léon Grosse sont deux entreprises très différentes, avec des enjeux et des métiers bien distincts, mais elles ont toutes les deux fait ce choix. La qualité de la transmission des compétences fait donc bien, pour moi, partie des marqueurs de confiance et d’une bonne expérience collaborateur.

 

Y a-t-il pour vous une corrélation entre QVT et sensibilité à la question des soft skills ?

Oui, certainement, et le modèle de Great Place To Work, avec l’accent qu’il met sur la confiance, semble bien le prouver. Les soft skills ne s’opposent pas aux hard skills : les premières sont cruciales pour développer les secondes. Rafael Nadal est un immense joueur de tennis, mais il a un coach qui joue moins bien que lui, et qui, grâce à ses propres soft skills, l’aide à progresser aussi bien en « soft » qu’en « hard ». Gérer la défaite, gérer la victoire, le rapport à l’adversaire… Mais aussi améliorer son coup droit, évoluer en évitant les dépenses énergétiques inutiles ou les gestes usants pour le corps…

De même, les collaborateurs et les dirigeants gagnent à avoir accès à des coaches, qui les aident à mieux se connaître, à progresser, à s’inscrire dans le collaboratif. Le pari des soft skills me paraît d’une évidence biblique.

 

Sur le terrain, dans votre expérience, les entreprises utilisent-elles le levier formation pour attirer et retenir les collaborateurs ?

Oui, assurément. Les entreprises que j’ai évoquées plus haut, mais aussi bien d’autres, font le choix de se positionner comme des entreprises formatrices, qui recrutent des collaborateurs n’ayant pas toutes les compétences techniques requises et les font monter en compétences. C’est un élément à part entière de leur marque employeur.

En face, du côté des candidats, on retrouve aussi cette attente, notamment de la part de jeunes diplômés qui souhaitent poursuivre leur apprentissage, dans des entreprises qu’ils perçoivent comme des « entreprises écoles ». Mais aussi de la part de personnes qui ont des parcours scolaire et de vie difficiles et souhaitent acquérir un métier et des compétences, dans une logique d’accès à l’emploi.

Pour autant, tout le monde n’a pas pleinement conscience de l’ampleur de l’enjeu. Chaque année, nous faisons un grand sondage portant sur 5 000 salariés français. Un répondant sur deux pense que leur emploi va changer, et donc requérir de la formation, dans les 5 ans. Ce qui signifie que l’autre moitié ne le pense pas ! Pour moi, c’est le signe que certains managers n’ont pas su bien expliquer ce qui allait se passer. Or, je suis convaincu que les entreprises qui ne prennent pas en charge l’accompagnement des transformations par la formation vont au-devant de grandes déconvenues.

Si vous souhaitez vous inscrire à la newsletter mensuelle du blog MANAGEMENT DE LA FORMATION : rendez-vous ici.
Découvrez le site RHEXIS, l’externalisation au service de la gestion de votre formation.
Retrouvez les articles qui peuvent vous intéresser sur des thèmes proches :

Laissez un commentaire