Créée par la loi du 5 septembre 2018, l’agence France Compétences est déjà sur la sellette. La commission d’enquête mise en place par le Sénat pour examiner le foisonnement des agences et des opérateurs de l’Etat vient de rendre son rapport. Celui-ci propose que les activités financières de France Compétences (la répartition du produit des contributions formation et apprentissage) soient entièrement centralisées au sein de la Caisse des Dépôts. Nous avons lu le rapport pour vous.
Sommaire
France Compétences, clé de voûte du système depuis 2019
91 salariés pour répartir 15,1 Mds€
Une mission complexe
La carence d’une compétence-clé
Les limites du statut d’agence
France Compétences, clé de voûte du système depuis 2019
Le 1er janvier 2019, l’agence France Compétences prenait la place d’une galaxie d’organismes en lien avec la formation professionnelle et la certification (FPSPP, Copanef, Cnefop et CNCP). La nouvelle structure adoptait une gouvernance quadripartite (Etat, Régions, employeurs, salariés), avec prédominance de l’Etat.
A l’époque, il s’agissait incontestablement d’une simplification et d’une rationalisation du dispositif. Un seul organisme chapeautait désormais le système français de formation professionnelle. France Compétences centralisait et plaçait sous contrôle public l’ensemble de la politique nationale dans ce domaine, sous ses différents aspects : financement, régulation, certification, orientation, recherche/observation.
C’est la première de ces 5 missions qui est en cause : le financement du système. France Compétences assure en effet la répartition des fonds de la formation professionnelle et de l’apprentissage entre les différents financeurs : Opco, Caisse des dépôts (pour le CPF), Etat, Transitions Pro, mais aussi Etat, région et opérateurs CEP (orientation).
C’est à ce titre qu’elle a été visée par la commission d’enquêtes mise en place par le Sénat, à la demande du groupe LR, en février dernier. Stéphane Lardy, le DG historique de France Compétences, a ainsi été entendu en avril. Le rapport a été rendu début juillet 2025. Sa recommandation n°49 est la suivante : « Transférer les activités de financement de France compétences à la Caisse des dépôts et consignations, en lien avec le ministère. » Il y a deux ans, la Cour des comptes se montrait pourtant plutôt satisfaite de la mise en place de France Compétences, dans son évaluation de la réforme de 2018. Pourquoi cette proposition du Sénat ?
91 salariés pour répartir 15,1 Mds€
Parmi les « 103 agences, 434 opérateurs, 317 organismes consultatifs, 1 200 organismes publics nationaux » examinés par les rapporteurs, France Compétences se distingue comme étant celle qui manie les sommes les plus importantes. En effet, la commission d’enquête « note que cinq structures portent les trois quarts des charges d’intervention de l’ensemble des opérateurs : France compétences (15,1 milliards d’euros, provenant des cotisations obligatoires des entreprises au titre de la formation professionnelle)… » Les suivantes (AFITF, ANAH, France Travail et les agences de l’eau) affichent des charges d’intervention bien moindres, entre 1,9 et 4,6 Mds€ (les allocations chômage étant probablement comptabilisées comme charges d’intervention de l’Unedic, et non de France Travail).
Mais en dépit du fait qu’elle est l’agence qui – comptablement – gère les flux financiers les plus importants, France Travail est l’une de celles qui comptent le moins de salariés : 91 équivalents temps plein. A répartir sur les 5 missions, sachant que la certification à elle seule mobilise 30 salariés. Un effectif modeste, et en-deçà de ce qui était prévu à l’origine : « Lors de la création de France Compétences, nous visions 100 emplois, nous sommes à 91 », rappelait Stéphane Lardy lors de son audition.
Une mission complexe
La sénatrice Christine Lavarde, lors de cette même audition, posait directement la question : « Cette structure ne pourrait-elle pas être internalisée au sein du ministère du travail, quitte à confier la partie relative aux financements à l’Agence de services et de paiement (ASP) ? »
Stéphane Lardy défend la spécificité de son organisme. « France Compétences n’est pas simplement un répartiteur ou une boîte aux lettres. Un mécanisme de péréquation assez complexe s’applique aux contrats d’apprentissage et de professionnalisation. […] Pour bien répartir les contributions qui reviennent aux onze Opco, nous devons réaliser un travail très technique, qui s’appuie d’ailleurs sur l’intelligence artificielle. »
Il souligne par ailleurs que France Compétences travaille déjà avec l’ASP, pour la gestion du financement des permis de conduire des jeunes apprentis (une aide de 500€ gérée par France Compétences depuis sa création), mais insiste sur le fait que la complexité du système et sa connaissance par les collaborateurs de l’agence justifie le maintien de sa mission. « Notre directrice financière [Il s’agit de Cécile Bosdonnat] connaît les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) et les Opco depuis quinze ans : c’est un écosystème très particulier, qui suppose, pour s’y mouvoir, des connaissances très fines. » A plusieurs reprises, il évoque l’importance de la « relation de gestion » entre France Compétences et les financeurs de la formation professionnelle.
Par ailleurs, souligne-t-il, « on a déjà bien avancé depuis 2018. Les Opca collectaient jusqu’alors la contribution formation : il y avait donc 47 collecteurs. Nous sommes passés à deux : URSSAF et MSA. […] On a donc déjà beaucoup simplifié ; peut-on aller plus loin ? Il me semble que la mécanique est assez simple et que le principal de la simplification a déjà été fait en matière de collecte. »
La carence d’une compétence-clé
Ce n’est manifestement pas l’avis des rapporteurs, qui estiment dans le document final que « des établissements trop petits ne devraient pas exister en tant qu’établissements indépendants lorsqu’ils gèrent des montants financiers importants. »
La première raison invoquée par les rapporteurs est d’ordre RH, et découle d’une anecdote racontée par Stéphane Lardy en audition, pour illustrer la relative fragilité de son équipe. Un récit qui a « particulièrement frappé » la commission d’enquête. Citons le passage en entier :
« Pour l’analyse des comptabilités analytiques, nous utilisons le langage informatique R, qui est très spécifique ; or, notre directeur est décédé brutalement, c’était un statisticien de l’Insee qui maîtrisait très bien ce langage R et qui travaillait en binôme avec un collaborateur qui, lui, a connu des problèmes de santé.
« D’un coup, nous ne maitrisons plus en interne ce langage R pourtant nécessaire dans nos relations avec les opérateurs, qui nous demandent par exemple des simulations avec leur comptabilité analytique. Je dois recruter, mais les profils que je recherche sont très spécifiques et rares, la situation perdure depuis le mois d’octobre dernier, le marché des data scientists est très tendu et la rémunération que je peux offrir n’est certainement pas dans le haut du panier… »
Suite à cet aveu, la commission d’enquête s’inquiète, dans son rapport, du fait que « la vacance d’un seul de ces postes place l’établissement en difficulté parce qu’il ne dispose plus d’une compétence de data scientist nécessaire pour analyser les comptabilités analytiques des opérateurs de formation, alors même qu’il s’agit d’une compétence (maitrise du langage R) relativement courante dans des administrations de taille plus importante. » L’exemple est recyclé à plusieurs reprises dans le rapport de la commission d’enquête.
Les limites du statut d’agence
Les rapporteurs invoquent également d’autres causes, inhérentes aux limites du statut d’agence. La première de ces limites étant précisément que le statut d’agence n’existe pas : le terme est utilisé pour désigner de nombreux types d’organismes différents. De ce fait, les structures étudiées dans le rapport semblent souvent bricolées en fonction de l’objectif, ce qui n’est pas toujours forcément une mauvaise chose, mais peut comporter des inconvénients.
Un exemple, exposé lors de l’audition mais non repris dans le rapport. Les CFA ont l’obligation d’envoyer leur comptabilité analytique à France Compétences. On apprend par Stéphane Lardy que l’agence n’a pas la liste des CFA, et doit se contenter d’une estimation selon laquelle les CFA « en règle » réunissent 93% à 95% des apprentis. « Je comprends donc que ni France Compétences ni le ministère ne disposent d’une liste exhaustive des CFA », s’étonne la sénatrice Christine Lavarde. En réalité, les déclarations d’activité des CFA sont faites auprès des Dreets, mais il n’y a pas de liste consolidée ; en tout cas, l’agence n’y a pas accès.
La commission d’enquête soulève surtout, par la voix de la sénatrice Ghislaine Senée, le fait que « France compétences est régulièrement en déficit par suite des décisions de l’État car ses ressources sont en déséquilibre structurel avec ses charges. L’opérateur doit donc activer au dernier moment des lignes de trésorerie, qui engendrent des frais, voire des pénalités ». Ce point, régulièrement souligné, renvoie au fait qu’il n’y a pas de corrélation entre les ressources allouées à la politique de formation professionnelles via la contribution formation et apprentissage d’une part, les dépenses d’autre part. Notamment, du fait qu’il n’existe pas de plafond annuel d’utilisation du CPF.
Le transfert de la mission « financement » de France Compétences à la Caisse des dépôts permettrait, selon les rapporteurs, d’établir une gestion « en comptes de tiers » et donc « de ne pas subir les conséquences des déficits de l’activité, même s’il serait souhaitable que celle-ci soit réformée afin d’être équilibrée. »
La proposition de transférer à la Caisse des dépôts la dimension financière de l’activité de France Compétences sera-t-elle suivie d’effet ? Comme le souligne le rapport, les équipes se connaissent déjà bien, étant amenées à travailler ensemble régulièrement. On peut supposer que le transfert s’accompagnerait d’une mobilité des personnels concernés de l’agence vers la CDC. France Compétences pourrait alors se recentrer « autour de sa mission première de régulation, de certification et de contrôle. Cette clarification améliorerait l’efficience financière du système, tout en assurant une séparation nette entre opérateurs techniques et autorités de régulation. » La proposition des sénateurs aboutira-t-elle ? Elle aura en tout cas eu le mérite de souligner les forces et les faiblesses de France Compétences, pivot de la gouvernance des politiques de formation professionnelle en France.
Crédit photo : Shutterstock
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