Bernard Fricou : « recruter et former des travailleurs en situation de handicap transforme le regard et le management »

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Ingénieur Commercial de formation, Bernard Fricou, après un passage chez Xerox avant 1983, a évolué après cette date au sein d’ADP GSI France. D’abord en tant que Directeur des Opérations, puis, à partir de 2013, comme Staffing Manager des gestionnaires paie et Responsable de la Mission Handicap. Depuis janvier 2017, il a fait valoir ses droits à la retraite, et nous fait part de son expérience en matière de recrutement, formation et intégration de travailleurs en situation de handicap.

 

Management de la Formation :  – Pouvez-vous nous parler de votre expérience chez ADP en matière de gestion du handicap ?

Bernard Fricou : – J’ai été responsable de la Mission Handicap chez ADP à partir de 2013, les 4 dernières années de mes 33 ans de carrière dans le Groupe. Depuis 2010, le Groupe a conclu une succession d’accords avec la DIRECCTE sur le thème du handicap, le 3e a débuté en 2016.

ADP porte des valeurs fortes en matière de responsabilité sociétale. L’une d’entre elles est la certitude que « chaque personne compte » : collaborateurs, clients et partenaires. La politique handicap que nous avons mise en place s’inscrivait naturellement dans la continuité de cet engagement.

Dans le même temps, il y a un avantage économique indéniable à développer l’emploi des personnes en situation de handicap, puisque la contribution versée à l’AGEFIPH se réduit d’autant. Beaucoup d’entreprises tiennent compte de ce facteur.

Nous avons donc développé une politique handicap dynamique. Celle-ci a assez vite porté ses fruits : nous sommes passés, avec ces trois accords, d’un taux d’emploi global inférieur à 1% à près de 4% des effectifs.

 

En quoi la formation a-t-elle apporté des réponses à vos enjeux ? Que ce soit vis-à-vis des travailleurs handicapés ou de leurs managers et collègues ?

Le contexte a orienté notre démarche : au début des années 2010, nous étions confrontés à une pénurie de gestionnaires de paie. Je rappelle que notre métier consiste à prendre en charge, pour des entreprises de toutes tailles, les fonctions de gestion des temps, de paie et de ressources humaines ; or, nous manquions de profils sur les fonctions paie. Nous avons donc décidé d’axer dans un premier temps notre recrutement vers les personnes en situation de handicap, en les formant au métier de gestionnaire de paie. Plusieurs sessions ont été organisées (7 en tout), en suivant notre implantation géographique, dans le nord de la France, à Lyon, à Nantes, en région parisienne.

L’opération a été conduite en collaboration avec le Groupe Adecco, qui nous a accompagnés dans la sélection et le recrutement. Cela nous a amenés à faire évoluer notre processus de recrutement, en allant vers une approche qui tienne davantage compte du comportemental, via l’organisation de journées d’assessment. L’objectif de celles-ci était de repérer les compétences en matière de relation client, de service clientèle, de travail en équipe… Adecco conduisait au préalable les tests portant sur le savoir-faire.

7 sessions ont été conduites, débouchant sur l’embauche d’un certain nombre des stagiaires en CDI ou en CDD. Et nous savons, par Adecco, que plus de 80% des gestionnaires de paie formés au cours de ce programme ont continué dans le même métier, et trouvé un emploi. Sur les moins de 20% restants, certains ont abandonné par manque d’intérêt pour le métier, et une petite minorité pour des raisons liées à leur handicap.

Cette expérience nous a donc conduits à faire évoluer notre processus de recrutement, au-delà du public des personnes en situation de handicap. Nous avons dû aller chercher des profils assez éloignés du métier, et donc apprendre à sélectionner les candidats d’abord sur des savoir-être, pour ensuite les amener par la formation vers le métier de gestionnaire de paie.

 

Et au-delà de ce métier ?

Les managers ont constaté que la méthode fonctionnait avec les gestionnaires de paie. Avec la DRH, nous avons identifié d’autres métiers sur lesquels nous pourrions reproduire l’expérience : informaticien ou chef de projet. Nous avons fait une première session sur un métier en forte pénurie, celui de développeur informatique en langage Cobol. L’expérience a été plus difficile : sur 6 participants, 5 sont allés jusqu’au bout, et sur les 5, deux personnes, pour l’instant, ont trouvé un emploi en rapport avec la formation.

Actuellement, nous reproduisons la même méthode sur le métier de consultant de gestion des temps et activités, toujours avec des personnes en situation de handicap.

 

Les formations font-elles l’objet d’adaptations ? Et si oui lesquelles ?

Notre offre de formation a effectivement évolué en fonction de ce nouveau public. Nous avons notamment allongé la durée de la formation théorique de 20%, pour tenir compte des spécificités des personnes en situation de handicap. Celles-ci peuvent avoir une fatigabilité plus importante, en lien avec leur handicap. D’autant qu’une reconversion est une démarche qui requiert des efforts intenses de concentration. Les personnes que nous formons peuvent avoir 30, 40 ou 50 ans. Or reprendre des études suppose de changer ses habitudes, son rythme de vie, ce qui est difficile pour tout le monde, et d’autant plus avec un handicap.

Il y a ensuite des adaptations en fonction des types de handicap. Nous nous sommes notamment équipés d’un matériel particulier pour une personne malvoyante, avec un écran de taille maximum sur un bras articulé, et un ordinateur équipé du logiciel Zoomtext… La personne en question s’est elle-même dotée d’un enregistreur. Certains stagiaires peuvent aussi avoir des contraintes médicales, que nous avons prises en compte dans le planning global.

Nous avons par ailleurs constaté, notamment sur cette dernière session en contrat de professionnalisation sur le métier de gestion des temps et des activités, que le groupe se montrait extrêmement solidaire. Les participants se soutiennent, s’expliquent mutuellement les points difficiles, davantage que sur une session classique. On est beaucoup moins dans le chacun pour soi.

A chaque fois, nous avons eu recours à des formateurs experts externes que nous connaissions. En dehors du temps un peu allongé et des petites adaptations matérielles, il n’y a pas de différence avec une formation classique. L’exigence est la même, on attend le même niveau de compétence à la fin de la formation.

Pour compléter le dispositif, les encadrants des apprenants ont également suivi une journée de formation délivrée par Adecco pour exercer leur fonction de tuteur de personnes en situation de handicap.

 

Quelles aides sont mobilisables par l’entreprise, que ce soit en matière de conseil ou de financement ? Notamment, comment fonctionnent les relations avec l’AGEFIPH, financeur paritaire de la formation en matière de handicap au travail ?

Les entreprises acquittent une pénalité lorsque les travailleurs handicapés n’atteignent pas 6% des effectifs. Cette pénalité diminue à mesure que l’on s’approche des 6%. En passant de 1 à 4%, nous avons donc réduit très significativement la pénalité (d’environ 800 000€ à 300 000€).

Pour ce qui est des aides, je ne suis pas le mieux placé pour en parler : ADP n’en perçoit pas. En effet, nous avons, comme je l’ai dit, signé des accords successifs avec la DIRECCTE. Ces accords nous laissent davantage de liberté sur notre façon de développer notre politique. Ils précisent nos axes de priorité, et les moyens que nous déployons en matière de communication, de formation, de recrutement, de pilotage, de sous-traitance avec le secteur adapté. Cette autonomie a pour contrepartie que nous ne percevons pas d’aides de l’AGEFIPH.

L’accord est signé par les partenaires sociaux, puis présenté à la DIRECCTE, qui choisit de lui donner son agrément ou non. Une fois l’accord validé, un bilan est effectué avec la DIRECCTE chaque année et en fin de période.

C’est une pratique relativement peu répandue : il me semble qu’il doit y avoir peut-être une centaine d’entreprises en France qui ont réalisé un accord avec leur DIRECCTE. La possibilité de ces accords a été généralisée par la loi de 2005 sur le handicap.

En l’absence d’accord de ce type, il est possible d’obtenir des aides de l’AGEFIPH, notamment pour financer des équipements destinés à optimiser l’accessibilité des postes de travail pour les personnes en situation de handicap. On peut également obtenir des aides pour financer de la formation, mais c’est plus difficile.

 

Le rapport au handicap change-t-il dans le monde du travail ? En quoi ?

Je crois que oui. Je l’ai observé en tout cas au sein d’ADP. Grâce aux trois accords que nous avons conclus, nous avons pu parler du handicap, le dédramatiser, par des opérations de communication, et par l’exemple : nous avons vu des personnes en situation de handicap s’intégrer au fur et à mesure dans l’entreprise. Le fait de rendre visible le handicap non pas de façon ostentatoire mais simplement dans un contexte professionnel change le regard des collègues et des managers.

Nous avons formé plus de 70 personnes ces dernières années sur les différents métiers. Ce faisant, nous avons également formé 50 tuteurs, qui ont également changé leur regard, et contribuent à changer celui des autres, par irrigation.

Mais il y a plus : le fait de gérer des personnes en situation de handicap tend à individualiser le mode de management en général, en faisant bouger la perception des managers. Notre culture de management a donc beaucoup évolué. Or, les générations Y et Z sont très demandeuses de ce type d’approche personnalisée. Le fait d’avoir intégré des personnes en situation de handicap dans l’organisation a donné des clés aux managers pour gérer de façon plus adaptée ces générations.

 

Y aurait-il des changements à apporter dans la réglementation ?

La loi de 2005 a plus que doublé la pénalité en cas de non-respect des 6%. C’est une sorte d’impôt déguisé, mais qui a eu le mérite de pousser les entreprises à traiter le sujet de manière positive. En même temps, la loi est contraignante, et impose un niveau d’emploi qui est élevé : 6%, c’est difficile à atteindre, notamment parce que dans notre société, beaucoup de personnes en handicap ne souhaitent pas reconnaître officiellement leur situation.

La loi Macron a facilité les choses pour les entreprises : elle leur a permis de comptabiliser les travailleurs indépendants handicapés dans le pourcentage. Auparavant, il était déjà possible de compter en partie les organismes spécialisés employant des personnes handicapées, avec un calcul complexe. Les indépendants comptent presque pour 100%. L’esprit de la loi, c’est de comptabiliser le travail, plus que le statut.

Dans la réglementation comme dans les pratiques, nous allons donc dans la bonne direction, au bénéfice de tous : les personnes en situation de handicap, qui sont demandeuses d’emplois dans lesquels elles sont reconnues pleinement pour leurs compétences ; et les entreprises, qui gagnent en diversité et en performance managériale.

 

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