Quel rôle pour l’ingénierie pédagogique dans la politique de formation des entreprises ?

0

En principe, l’ingénierie pédagogique n’est pas l’affaire de l’entreprise : elle relève de l’expertise de ce sous-traitant qu’est le prestataire de formation. Le responsable formation s’occupe d’ingénierie de la formation, pas vraiment d’ingénierie pédagogique. De plus en plus, cependant, les organisations sont amenées à se pencher sur la création et la mise en forme de contenus à transmettre, et sur les ressorts de cette transmission.

 

Qu’est-ce que l’ingénierie pédagogique ?

L’ingénierie pédagogique est l’approche scientifique de la transmission. Elle désigne l’agencement de l’ensemble des dispositifs, techniques et méthodes mis en œuvre pour transmettre un contenu X à une population Y. Elle vise au « développement d’expériences et d’environnements qui promeuvent l’acquisition de savoirs et compétences spécifiques par les étudiants », selon une définition universitaire américaine.

L’ingénierie pédagogique s’inscrit dans une tradition différente de celle des « nouvelles pédagogies » mises au point par des penseurs plus empiriques comme John Dewey ou Célestin Freinet. Elle puise ses origines dans la psychologie cognitive et comportementaliste américaine de l’immédiat après-guerre, avec notamment les travaux fondateurs de Robert Gagné dans les années 1960 et suivantes. Les Américains parlent d’ « Instructional Design ».

La démarche consiste à analyser les caractéristiques et les besoins de l’apprenant, définir les objectifs pédagogiques à atteindre, et mettre en œuvre les moyens humains et technologiques pour amener l’apprenant à l’objectif.

 

Quelle est la différence entre ingénierie pédagogique et ingénierie de formation ?

L’expression « ingénierie de la formation » est parfois utilisée comme synonyme ou quasi-synonyme d’ « ingénierie pédagogique ». Pour notre part, dans le contexte de l’entreprise, nous employons ces deux expressions dans des sens bien distincts.

Pour faire simple, l’ingénierie de formation porte sur la conception du parcours de formation dans son ensemble. L’ingénierie pédagogique s’intéresse aux actions de formation prises individuellement. L’ingénierie de formation agence les actions de formation entre elles et avec les autres types d’action, séquence le parcours, trouve le financement, organise l’évaluation… L’ingénierie pédagogique se penche sur le fonctionnement interne de chaque formation et en optimise l’efficacité.

Le responsable formation a donc bien, potentiellement, un rôle d’ingénieur de la formation. Il relie l’ensemble des acteurs qui concourent à la formation : formateur, apprenant, manager, financeurs… En revanche, l’ingénierie pédagogique relève en principe de la « cuisine interne » du prestataire de formation : c’est même sa première expertise. Le responsable formation doit être capable de juger de la qualité de l’ingénierie pédagogique déployée par un organisme donné ; mais il n’est pas lui-même un praticien de l’ingénierie pédagogique. Un point que nous nuancerons plus bas.

 

Quels sont les principaux modèles de l’ingénierie pédagogique ?

Analyser l’acte de former : l’exemple de Robert Gagné

L’ingénierie pédagogique part d’une démarche analytique, qui cherche d’abord à établir des typologies. Robert Gagné distinguait ainsi 5 catégories d’apprentissages, en fonction des compétences visées :

  1. Les informations verbales, qui font appel avant tout aux techniques de mémorisation.
  2. Les compétences intellectuelles, qui correspondent à l’aptitude à suivre une procédure pour obtenir un résultat donné. Leur acquisition passe par 5 niveaux successifs : le discernement (ou la discrimination), la conceptualisation concrète, la conceptualisation abstraite, la compréhension des règles, la résolution de problèmes.
  3. Les stratégies cognitives, à savoir les méthodes intellectuelles à acquérir pour apprendre et innover.
  4. Les compétences motrices ou psychomotrices, qui exigent beaucoup de pratique.
  5. Les attitudes, qui renvoient à une multiplicité de facteurs et s’acquièrent davantage par le mentoring ou le coaching.

Gagné identifie ensuite 9 étapes dans la planification de la formation, et 9 types d’événements de formation. Ces derniers se retrouvent et se combinent dans tous les progammes de formation. Citons-les pour mémoire :

  1. Susciter l’attention des apprenants ;
  2. Exposer l’objectif de la formation, et ce que les apprenants peuvent espérer en retirer;
  3. Amener l’apprenant à se remémorer ses acquis antérieurs ;
  4. Présenter le contenu ;
  5. Accompagner les apprenants dans la formation ;
  6. Mesurer la performance des apprenants ;
  7. Fournir un feedback à l’apprenant ;
  8. Renforcer l’apprentissage en recommençant l’évaluation et le feedback ;
  9. Travailler la rétention et le transfert à d’autres contextes

Le modèle ADDIE

Ce type de démarche (dont Robert Gagné n’a pas le monopole) a conduit ensuite à l’élaboration de modèles d’ingénierie pédagogique. Dans les années 1970, l’Université de Floride a ainsi mis au point le modèle ADDIE, qui reste le plus souvent cité. Le modèle tire son nom des initiales des 5 étapes autour desquelles il s’articule : l’Analyse, le Design, le Développement, la mise en œuvre (Implementation), l’évaluation.

  • L’analyse. Cette phase consiste à préciser l’ensemble des éléments, acteurs, moyens de l’apprentissage : qui souhaite-t-on former ? À quoi ? Quel objectif poursuit-on ? Quelles sont les contraintes existantes (matérielles, humaines, financières) ? Quels sont les moyens à disposition (formateurs, outils digitaux…) ?
  • Le design. Il s’agit de concevoir, en fonction des résultats de l’analyse, le plan de la formation. C’est le moment où se font les principaux choix : amplitude du contenu ; modalité pédagogique (présentiel, distanciel, blended) ; méthodes pédagogiques (ateliers, conférence, quiz, mise en situation, simulation…) ; types d’intervenants ; plan de déroulement.
  • Le développement. En fonction du document réalisé à l’étape « design », la formation est créée, les supports pédagogiques sont réalisés, les différents médias sont rassemblés, les éventuels modules e-learning sont développés. La formation et ses composantes sont ensuite testées par l’équipe, amendées, améliorées.
  • La mise en œuvre. Cette phase commence par la formation des formateurs eux-mêmes, puis continue avec son déploiement auprès des premiers apprenants.
  • L’évaluation. La formation elle-même est évaluée, en fonction du feedback des apprenants eux-mêmes, mais aussi, idéalement, de leurs organisations.

Il s’agit en somme d’une démarche logique et méthodique d’ingénierie appliquée à l’élaboration de la formation. Il existe d’autres modèles, souvent similaires, parfois plus élaborés comme le modèle Dick and Carey, qui incorpore une dimension systémique. Les découvertes des neurosciences, les progrès de la neuropédagogie permettent par ailleurs d’affiner la boîte à outils à disposition de l’ingénieur pédagogique dans la conception des formations. Le fait de processer la conception des formations ne doit pas, en effet, conduire à négliger l’innovation pédagogique.

 

Comment les entreprises peuvent-elles s’approprier l’ingénierie pédagogique ?

En quoi la façon dont les formations sont conçues concerne-t-elle les entreprises ? Après tout, un cabinet de conseil n’a pas besoin de savoir comment sont fabriqués les PC de ses consultants, et une entreprise de transport n’est pas obligée de savoir fabriquer un camion. La formation est une prestation comme une autre : on pourrait penser que la seule question qui vaille est celle de l’efficacité constatée des prestataires et de leurs formations.

De plus en plus, cependant, les organisations sont amenées à produire elles-mêmes des contenus de formation, dans différents contextes. Le développement de la formation interne au cours des dernières années rend l’ingénierie pédagogique en formation des adultes incontournable. Par exemple, une entreprise qui doit faire face à des départs en retraite massifs de professionnels a besoin d’anticiper la transmission du savoir-faire aux nouvelles générations. Or, tout le monde n’est pas formateur, et la ressource « temps » est chère. Un tel projet requiert une maîtrise de l’ingénierie pédagogique, qu’elle soit acquise en interne ou externalisée.

Dans certains grands groupes dotés de puissants LMS ou LXP, la démarche peut aller plus loin : tous les collaborateurs sont invités à partager leur savoir lorsque c’est utile est pertinent, et des outils de création de contenu sont mis à leur disposition. La capacité d’ingénierie pédagogique est alors internalisée et processée.

 

C’est l’un des sens concrets que l’on peut donner à l’expression « organisation apprenante » : il s’agit d’une entreprise qui s’est donné les moyens d’une ingénierie pédagogique à l’échelle de l’organisation. Chacun a non seulement, à disposition, les moyens d’apprendre, mais aussi les moyens de transmettre. Il y a bien sûr une part d’utopie et de marketing dans cet idéal. Mais il est indéniable que l’ingénierie pédagogique n’est plus aujourd’hui une expertise réservée aux seuls prestataires de formation. Le responsable formation ne peut plus se permettre d’en ignorer les rudiments : il est de plus en plus souvent en situation de responsable pédagogique de l’organisation apprenante. La politique de formation de l’entreprise se doit de faire une place à cette fonction.

Crédit photo : Shutterstock / Yevhen Tarnavskyi

Si vous souhaitez vous inscrire à la newsletter mensuelle du blog MANAGEMENT DE LA FORMATION : rendez-vous ici.

Découvrez le site RHEXIS, l’externalisation au service de la gestion de votre formation.

 Retrouvez les articles qui peuvent vous intéresser sur des thèmes proches :

 

Laissez un commentaire