« L’autonomie des individus a toujours été l’un des objectifs de la formation permanente »

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alainmeignantÀ l’occasion de la publication de la neuvième édition de Manager la formation (éditions Liaisons) mise à jour après la publication de loi du 5 mars 2014, nous avons interviewé son auteur, Alain Meignant. Docteur en psychologie, après une carrière où il a alterné des responsabilités dans des organismes de conseil, par exemple de 1980 à 1989 à l’Institut d’Entreprise & Personnel, et de DRH en entreprise, il a ouvert en 2000 le cabinet de conseil en management des ressources humaines qui porte son nom.  Il intervient dans diverses formations d’enseignement supérieur dont le Mastère spécialisé « Management des Ressources Humaines » de l’ESSEC (module « gestion des  compétences »).  


Management de la formation : – Cette nouvelle édition de « Manager la formation » s’adresse aux professionnels de la formation, aux DRH, aux directions générales et aux représentants du personnel. Quel regard portez-vous sur la réforme de la formation professionnelle à l’égard de ces 4 populations ?

Je pense, et j’espère, qu’elle contribuera à repositionner la formation dans l’entreprise pour ce qu’elle doit être, un atout stratégique pour faciliter à l’entreprise l’atteinte de ses objectifs économiques, et, pour chaque salarié, pour consolider son évolution professionnelle. On l’a beaucoup dit, le texte précédent pouvait permettre de payer sans former. Le nouveau texte, avec la suppression de l’obligation légale de financement du Plan, devrait inciter, comme c’est le cas dans tous les pays comparables, à payer en sachant pourquoi, et donc en rendant les différents partenaires beaucoup plus attentifs à la définition des besoins, au choix des réponses à apporter et à l’évaluation des résultats. Bien entendu, c’est un peu caricatural, bien des entreprises n’ont pas attendu la réforme pour travailler comme cela, du moins pour la part du plan au-delà de l’obligation légale. Le livre essaie de mettre à la disposition de tous les acteurs les méthodes les plus efficaces pour  le faire.

 

Management de la formation : – Selon Marc Ferracci, « C’est le manque d’autonomie qui empêche aujourd’hui notre système [de formation]d’évoluer », pensez-vous que la réforme et les premiers décrets d’application de la loi du 5 mars vont dans le sens de l’autonomie ?

L’autonomie des individus a toujours été l’un des objectifs majeurs de la formation permanente. Sur le principe, le compte personnel de formation renforce cette autonomie, en la cadrant toutefois par l’orientation prioritaire qu’elle donne aux formations qualifiantes. Comme le dit Marc Ferracci, le problème est dans les détails. Tout va dépendre de la capacité du système à s’aligner sur la volonté affichée de mettre à disposition des individus un service facile d’accès leur permettant de s’orienter vers les solutions pédagogiques et financières les mieux adaptées à leur projet. La logique des institutions et la tentation bureaucratique étant ce qu’elles sont, il faudra être très vigilant sur ce point. On ne sortira notre pays de son marasme économique qu’en balayant les obstacles bureaucratiques devant les gens qui prennent des initiatives.

 

Management de la formation : – Le responsable formation devenant learning and development manager, pouvez-vous nous décrire le profil type de ce « nouveau » professionnel de la formation ?

C’est quelqu’un dont la mission est de transformer de l’information en ressources formatives, optimisées pour la résolution des problèmes des organisations et des salariés.

L’information en question concerne les besoins exprimés ou non exprimés mais induits par :

  • des évolutions internes : organisation, redéploiements de moyens, investissements, …
  • des évolutions externes : marchés, concurrents, technologies, législation, exigences normatives, …
  • les conséquences anticipées de projets de l’entreprise ou de politiques de GRH sur les besoins de compétences et sur l’emploi.
  • l’offre des organismes de formation et de conseil,
  • l’évolution des méthodes et pratiques pédagogiques,
  • le contexte législatif et contractuel de la formation et sa traduction institutionnelle et financière.

Rajoutons également les évaluations d’actions passées, les remontées d’informations en provenance du réseau d’acteurs internes (managers, salariés, représentants du personnel), voire externe (satisfaction des clients sur les produits et services) et les comparaisons avec de bonnes pratiques d’autres organisations comparables, … La liste est loin d’être exhaustive.

Le « learning et development manager », mais on peut dire plus simplement le manager de la formation, doit s’organiser pour capter cette information, parfois formelle, parfois diffuse, la transformer en propositions d’action, optimiser les ressources mises à disposition, et rendre compte des résultats. Ce n’est pas un simple gestionnaire administratif comme cela a été encore trop souvent le cas dans le système antérieur. Un mot sur l’expression « ressources formatives » : elle englobe toute la gamme des solutions possibles pour apprendre, dont la formation présentielle classique n’est que l’une des modalités. Espérons que la réforme permettra d’élargir le champ des possibilités, enkysté dans les critères anciens d’imputabilité.

 

Management de la formation : – Quels outils les responsables formation/learning and development managers doivent-ils mettre en place pour impliquer leurs collaborateurs dans le but de préserver leur employabilité ?

Ce serait un peu long à détailler, mais il y a deux niveaux :

  • au niveau de l’entreprise :
    consolider les processus d’analyse de besoins, de prise de décisions sur la formation, de production ou d’achat de ressources formatives, de gestion, et d’amélioration continue basée sur l’évaluation des résultats et des processus ;
  • au niveau individuel :
    une communication globale sur les évolutions prévisibles des organisations et des métiers et les opportunités de carrière et de formation, une personnalisation de la détection des potentiels et des situations critiques, en lien étroit avec la GPEC, et des outils de gestion des ressources humaines bien maîtrisés et cohérents entre eux, comme l’entretien professionnel, la gestion de la mobilité, et la gestion de carrière.

 

Management de la formation : – Quelle attitude devrait avoir le « manager de formation » – au sens fort que vous donnez à ce métier – avec le CPF ?

L’expérience du DIF a montré qu’il y avait en gros deux attitudes possibles. Pour caricaturer, d’un côté, certaines entreprises ont informé le salarié a minima sur ses droits une fois par an et lui ont fait comprendre qu’il ne devait pas s’attendre sérieusement à un soutien de l’entreprise s’il prétendait en user. À l’opposé, d’autres ont utilisé le DIF de manière délibérée pour donner à certaines catégories de salariés ou à des salariés « à potentiel » des chances supplémentaires pour réussir un projet personnel et renforcer leur employabilité. Il y a eu évidemment toute une gamme d’attitudes intermédiaires. Le problème était que le financement était assez aléatoire. Le résultat, c’est que seulement 6% des salariés potentiellement « éligibles » en ont bénéficié et que le DIF est perçu comme un échec. Cela a marché surtout, évidemment, dans les entreprises qui en avaient fait l’un des axes de leur politique. Pour le CPF, les attitudes spontanées seront probablement les mêmes, mais il y a des différences significatives. D’abord, l’entreprise peut choisir de signer un accord spécifique pour consolider le financement. Ensuite, l’accent mis sur la formation qualifiante atténuera l’image de formation « loisirs » qu’avait parfois le DIF. Il faut aussi s’attendre à une forte médiatisation incitative des partenaires sociaux signataires de l’ANI, directement ou via les OPCA, et du gouvernement qui voudra valoriser son action législative. La régionalisation de l’orientation devrait favoriser une communication de proximité. Le manager de la formation devrait trouver dans tout cela un environnement favorable, financièrement et institutionnellement, pour mettre en œuvre l’un des axes d’une politique de formation, le soutien à des parcours professionnels que l’entreprise souhaite favoriser.

 

Management de la formation : – En 2009, vous préconisiez l’externalisation de la formation, hors politique de formation – politique qui vous définissiez par les 3 P : Performance de l’entreprise, il faut que ça l’aide à réussir ses Projets et ça aide les individus dans leur parcours Personnel – et pilotage. Votre avis a-t-il évolué ?

Les 3P sont une façon commode de se souvenir qu’une politique de formation doit équilibrer les trois grands types d’objectifs que vous venez de rappeler. Le troisième est celui dont nous venons de parler dans la question précédente. Cela n’a pas changé. Les objectifs et les choix de priorités sont des décisions de management qui ne peuvent pas être sous-traitées. Quant à l’externalisation,  elle a des avantages et des inconvénients, je n’ai jamais pris de position tranchée sur le sujet, cela dépend largement de facteurs propres à chaque entreprise. Je dis simplement que les professionnels de la formation doivent centrer leur action sur les opérations à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire proposer et mettre en œuvre dans le meilleur rapport qualité/coût les meilleures réponses formatives à des besoins clairement définis. En revanche, si l’externalisation de tout ou partie de la gestion administrative et logistique des inscriptions et des confirmations, des salles, de l’édition de supports, de traitement des imputations, d’édition de tableaux de bord, de traitement des évaluations, que sais-je encore, peut leur libérer du temps à coût raisonnable pour faire leur vrai métier, qu’ils ne se privent surtout pas de le faire.

 

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Crédit photo : DR

2 commentaires

  1. Merci pour ces quelques lignes éclairantes. J’ajouterai que pour que tout cela fonctionne il convient de repenser le rôle du manager. De lui tout doit partir : il doit analyser les besoins (et les évolutions) compétences de son service au regard des évolutions stratégiques de l’entreprise. Il doit impulser la réflexion au niveau du collaborateur et mettre celui-ci dans une posture d’acteur de son évolution professionnelle (et l’accompagner dans cette posture). Un manageur moins les yeux rivés sur les performances et plus sur les compétences qui permettront la performance. Yann – hyperbolyk.com –

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