Jean-Pierre Willems : « c’est une réforme systémique »

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Consultant, enseignant à la Sorbonne, expert en droit de la formation professionnelle, Jean-Pierre Willems fait partie des observateurs les plus avertis du système français de formation. Le 11 juin, il intervenait pour MyConnecting au Novotel Paris Tour Eiffel sur le thème de l’application de la réforme de la formation. Nous lui avons posé quelques questions à l’issue de la conférence.

 

Le système de formation professionnelle a été réformé en 2004, en 2009, en 2014… Comment caractériser cette nouvelle réforme ?

On peut dire que, contrairement aux précédentes, il s’agit véritablement d’une réforme systémique, en ce sens qu’elle touche à tous les domaines de la formation professionnelle : l’alternance, la formation en entreprise, les droits des salariés, mais aussi l’orientation professionnelle, la certification, la qualité, la gouvernance. Le projet de loi, rappelons-le, comporte également un second volet sur l’assurance chômage, qui contient des mesures sur la formation des demandeurs d’emploi. La loi qui est actuellement en débat et les décrets qui vont suivre vont donc affecter l’ensemble du système.

La majorité a voulu lancer une réforme ambitieuse, et elle souhaite que la transformation aille vite : les travaux de la commission des affaires sociales ont encore raccourci les délais de certains changements. Je pense notamment à la transformation des Opca en opérateurs de compétences, qui devait s’effectuer tout au long de l’année 2019. A présent, si la loi est votée en l’état, les branches devraient avoir fini de négocier sur les rapprochements au 31 octobre 2018… La loi devant être votée à la rentrée, le décret précisant les modalités de ces négociations sera donc sorti depuis quelques semaines à cette date… L’explication officielle est qu’on doit éviter de perdre du temps sur les questions de gouvernance, pour pouvoir entrer rapidement dans le vif de la réforme.

De même, les Centres de formation d’apprentis (CFA) pourront dès 2019 ouvrir des sections nouvelles sans avoir à solliciter l’avis de la région, à condition de ne pas demander de financements à ces mêmes régions. La « libéralisation » du système de l’apprentissage est ainsi avancée d’un an.

 

Y a-t-il des surprises dans cette réforme ?

L’aspect le plus inattendu est sans doute la réforme de l’alternance. Il n’y a pas eu de fusion entre apprentissage et professionnalisation, mais l’application d’un principe simple : faire en sorte que toute entreprise qui le souhaite puisse recruter un jeune en alternance, en permettant la création de filières d’apprentissage dès lors qu’il existe une demande, comme c’est déjà le cas pour le contrat de professionnalisation. Le nouveau système est donc très favorable à l’apprentissage, puisque celui-ci revient moins cher que la professionnalisation, et présentera désormais les mêmes avantages en matière de liberté de création des formations. Le gouvernement veut garantir pour l’apprentissage le même principe que pour le contrat de professionnalisation : tous les contrats seront financés.

Par ailleurs, les CFA devront tous bénéficier de la labellisation qualité prévue pour tous les organismes de formation à l’horizon 2021. Il était prévu, à l’origine, que les CFA publics soient exemptés de cette obligation : la commission des Affaires sociales a supprimé cette exemption.

 

 

Qu’en est-il du financement par les entreprises ?

On se retrouve avec un curieux paradoxe : une contribution unique double… En réalité, le gouvernement souhaitait fusionner purement et simplement la taxe d’apprentissage et la contribution formation. Mais les deux n’ont pas exactement le même champ d’application : certaines entreprises ne paient pas la taxe d’apprentissage (notamment les entreprises de l’économie sociale et solidaire, les professions libérales…). L’idée était donc de revenir sur toutes ces exonérations, pour pouvoir imposer une seule contribution. Fin mai, le discours a changé : on a décidé de garder les deux prélèvements, avec leurs champs distincts, et de conserver les exonérations actuelles de taxe d’apprentissage. Cela représente 600 000€ de moins que prévu pour l’apprentissage.

Par ailleurs, les entreprises financeront probablement le système par d’autres biais : en complétant le coût des contrats d’apprentissage. Les branches professionnelles vont fixer les niveaux auxquels les contrats seront financés par l’opérateur de compétences, et non pas le coût de chaque contrat. Ce qui signifie que les entreprises devront souvent trouver des financements complémentaires, auprès des régions ou des branches, ou mettre la main au portefeuille. En effet, la nouvelle loi ne reprend pas le principe prévu par celle de 2014, selon lequel l’entreprise ne pouvait pas être contrainte de payer des frais d’inscription. L’apprenti, en revanche, ne pourra pas être mis à contribution.

 

Comment sera réparti le financement ?

On ne le sait pas vraiment : la répartition du « 1% », c’est-à-dire de la partie « formation professionnelle », n’est plus fixée par la loi dans la nouvelle réforme. C’est un décret qui fera le partage – ce qui veut dire que le gouvernement pourra modifier la répartition sans passer par le processus législatif.

En gros, la moitié du 1,68% financera l’alternance (apprentissage et professionnalisation). Le reste ira aux entreprises de moins de 50 salariés, aux demandeurs d’emploi et aux salariés via le CPF (y compris le CPF de transition qui prend la suite du Cif, sans qu’on sache quelle part le financera).

A noter que les entreprises de 50 salariés et plus n’auront plus aucun droit à financement, à moins d’embaucher des jeunes en alternance. Avec une nuance : la période de professionnalisation, ouverte à tous les salariés, ne devrait finalement pas être supprimée mais transformée dans un sens plus restreint : elle ciblera les moins qualifiés dans une perspective diplômante.

Ce qui se profile, c’est la fongibilité des financements des différents dispositifs : par le biais de France Compétences, le grand argentier du système, les ressources pourront passer d’une affectation à l’autre en fonction de ce qui est le plus demandé.

Au total, ce qui est certain, c’est qu’il y aura moins de moyens pour la formation dans l’entreprise, et que celle-ci devra investir davantage en complément.

En savoir plus sur le financement de la formation professionnelle pour les entreprises de 50 salariés et plus

 

Quel sera l’impact de la nouvelle définition de l’action de formation ?

La réforme va jusqu’au bout du processus d’élargissement de la définition de l’action de formation professionnelle : il s’agit désormais simplement d’ « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel. »

La première conséquence, c’est qu’il devient plus facile, pour l’entreprise, de justifier avoir rempli son obligation de formation des salariés. Ensuite, les financements de la formation devraient pouvoir bénéficier à un éventail plus large d’actions. Ce qui signifie également un plus grand nombre de prestations exonérées de TVA.

Certes, il faut attendre les décrets pour savoir à quoi s’en tenir : il n’est pas rare qu’une loi d’ouverture se « referme » au moment de la traduction réglementaire. C’est ce qui est arrivé avec la formation à distance : la loi l’a reconnue comme action de formation, mais l’administration a en grande partie vidé la mesure de sa substance en imposant des phases de regroupement. Cette fois-ci, cependant, on nous dit qu’il n’y aura pas de précisions réglementaires réductrices, sauf pour ce qui concerne – justement – la formation à distance et la formation en situation de travail.

Par ailleurs, la loi remplace le plan de formation par le plan de développement des compétences. Or la notion de développement des compétences est plus large que celle de formation ; elle inclut également les actions de développement personnel, par exemple. On fixe un objectif, le développement des compétences, et on fait confiance à l’entreprise pour le choix des moyens. L’une des conséquences, c’est que le rôle du responsable formation évolue. On le voit déjà, avec l’émergence de titres comme « responsable développement des compétences ».

 

Les partenaires sociaux avaient inclus, dans leur accord interprofessionnel, une dimension « co-construction » des parcours entre employeur et salarié. Il ne semble pas qu’on la retrouve dans la loi.

Non, et c’est délibéré. Le gouvernement estime que la co-construction est possible, et qu’il n’y a donc pas lieu de l’inclure dans la loi. Elle est à la discrétion des acteurs, qui ont tout loisir d’organiser l’articulation entre le plan de développement des compétences et le compte personnel de formation des salariés. On revient à la situation des débuts du système de formation professionnelle, au début des années 1970. A l’époque, on avait créé d’un côté le plan de formation pour l’entreprise, avec des financements dédiés, et le congé individuel de formation (Cif), pour les salariés, de l’autre. Ce n’est qu’en 2004 qu’on a créé, avec le Dif, un espace légal dans lequel on organisait la négociation entre les deux, pour la construction de projets de formation d’intérêt commun salarié/entreprise.

La réforme revient donc à la situation antérieure : le salarié a un accès au financement via le CPF, en autonomie. Si l’employeur et le salarié veulent s’entendre, ils le peuvent. Mais on ne crée aucun mécanisme pour favoriser cette entente.

 

Et le CPF ?

Pour le CPF, le choix qui a été fait est celui de la monétisation. Les partenaires sociaux y étaient très opposés, pour des raisons différentes. Mais le gouvernement a maintenu son opinion. Le pari est qu’un CPF en euros est plus parlant, et incitera davantage les bénéficiaires à s’en servir. Même si en réalité, nous n’en savons rien pour le moment…

Il subsiste plusieurs incertitudes. D’abord, il y a l’application. Quand sera-t-elle disponible ? On évoque l’été 2019. Mais comment fonctionnera-t-elle ? On nous dit qu’elle géolocalisera l’utilisateur, et lui proposera les centres alentour en fonction de ses critères. Mais comment se fera le classement lorsque les réponses sont très nombreuses ? Et quel sens y a-t-il à géolocaliser un prestataire de formation à distance, par exemple ?

Autre inconnue : A quelle date passera-t-on au CPF en euros ? Si c’est au 1er janvier 2019, les Opca seront encore gestionnaires de la ressource. Seront-ils capables de financer du CPF en euros ?

 

Les entreprises doivent-elles s’inquiéter de la transition ?

Dans les mois qui viennent, il est probable que les règles vont rester les mêmes. Il y aura des conséquences à partir du 1er janvier 2019 : toutes les formations enregistrées au RNCP et à l’inventaire seront éligibles au CPF. Mais les Opca seront toujours aux commandes… si ce n’est qu’ils ne pourront abonder ni financer les salaires des apprenants (dans les entreprises de 50 salariés et plus). On peut avoir intérêt à inciter les salariés à utiliser leur CPF pendant qu’on connaît les règles du jeu.

Retrouvez l’intervention de Jean-Pierre Willems le 11 juin dernier sur le site de MyConnecting

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