La crise sanitaire a contraint une grande partie des entreprises à déployer le télétravail de façon massive. Certaines y étaient mieux préparées que d’autres. Beaucoup ont dû former leurs salariés dans l’urgence aux outils et aux techniques nécessaires. L’accord national interprofessionnel qui vient d’être conclu entre les partenaires sociaux sur le télétravail tient compte de cette dimension « formation ». Même s’il n’est pas contraignant, il fournit des outils intéressants au responsable formation pour accompagner la transformation de l’entreprise. Le point sur la question.
Que contient l’accord ?
Un rappel du cadre existant
D’un point de vue légal, réglementaire et conventionnel, la France a tardé à agir sur le télétravail. Un accord-cadre a pourtant été conclu dès 2002 par les partenaires sociaux européens, et leurs homologues français en ont retiré un Accord national interprofessionnel le 19 juillet 2005. Mais il a fallu attendre la loi « Warsmann II » du 22 mars 2012 pour que le télétravail trouve une définition légale inscrite dans le code du Travail. La crise sanitaire a conduit à un nouveau round de négociations des partenaires sociaux sur cette thématique, qui a débouché sur l’accord du 26 novembre 2020. Comme en 2005, ces négociations ont fait suite à un accord-cadre européen, en date du 22 juin 2020.
Mettons un terme au suspense : l’accord ne contient aucune mesure contraignante, et ne se veut même pas prescriptif. L’objectif des partenaires sociaux est d’ « expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail et proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise, et dans les branches professionnelles, un outil d’aide au dialogue social, et un appui à la négociation, leur permettant de favoriser une mise en œuvre réussie du télétravail. » Un guide, donc, qui ne crée rien de nouveau, mais donne des lignes directrices.
Le cadre général de la formation des télétravailleurs
Du point de vue de la formation, l’accord contient d’abord trois rappels (article 3.1.6), repris presque à l’identique de l’accord de 2005 :
- Un rappel des obligations générales : les salariés en télétravail ont les mêmes droits en matière de formation et de « possibilités de déroulement de carrière » que s’ils étaient en présentiel. Le télétravail ne doit pas affecter la progression professionnelle et l’acquisition de compétences. Il est peu probable donc que les périodes de télétravail forcé liées à la crise sanitaire puissent être invoquées pour justifier le non-respect d’une obligation de formation.
- Les télétravailleurs réguliers doivent en outre recevoir une « formation appropriée », à la fois aux outils techniques nécessaires et aux « caractéristiques de cette forme de travail ».
- Les managers doivent « pouvoir » être formés à la gestion du télétravail. Les « collègues directs des salariés en télétravail » doivent également pouvoir bénéficier d’une formation sur cette forme d’organisation.
Ces dispositions, présentes dans l’ANI de 2005, n’ont pas été reprises dans la loi de 2012. Mais l’accord ayant été étendu, elles s’appliquent de manière conventionnelle à l’ensemble des entreprises.
Les formations possibles
L’accord de novembre 2020 comporte un nouvel article (4.2) qui entre dans le détail du type de prestations de formation que les entreprises peuvent proposer dans le cadre du télétravail. 5 thématiques (liste non exhaustive) sont proposées :
- Une thématique organisationnelle : apprendre à adapter l’activité au contexte du télétravail ;
- Une thématique juridique : connaître le cadre légal en matière de durée du travail et de droit à la déconnexion ;
- Deux thématiques individuelles, s’adressant au salarié : acquérir l’autonomie nécessaire pour télétravailler et savoir séquencer sa journée de télétravail ;
- Une thématique technique : « l’utilisation régulée des outils numériques et collaboratifs ».
L’accord recommande deux certifications en particulier :
- Le CléA Manager, créé par l’accord national interprofessionnel du 28 février 2020, juste avant le confinement. Les partenaires sociaux recommandent que les managers soient, par ce biais, formés « aux modalités du management à distance et à la prise en compte des particularités de l’hybridation de l’organisation du travail : articulation et concomitance entre télétravail et travail sur site ».
- Le CléA numérique, utile aux managers comme aux collaborateurs pour acquérir la maîtrise des outils mais aussi celle de la cybersécurité.
Il s’agit de deux variantes du CléA, mis en place par le Copanef en 2015 (aujourd’hui Certif’Pro) pour permettre de certifier la maîtrise des compétences de base. Son avantage est de conférer une certification, ce qui rend notamment les formations qui y conduisent éligibles au CPF.
Formations au télétravail : de quoi parle-t-on ?
Les grandes thématiques identifiées par l’accord recouvrent dans les grandes lignes les principaux thèmes des offres du marché en matière de formation au télétravail, telles qu’on peut les identifier en effectuant une rapide recherche.
Parmi l’offre existante, on retrouve les sujets suivants, packagés de façons différentes suivant les prestataires :
- Point de vue général :
- Le cadre juridique du télétravail : droits et devoirs des salariés et des managers, formalisme, consultation du CSE…
- L’organisation physique : qui paie quoi, fourniture et entretien du matériel, assurances…
- Les outils techniques du télétravail : réunions à distance, échange de documents, plateformes collaboratives, outils de gestion de projet…
- Les enjeux de la cybersécurité.
- Point de vue du salarié :
- La thématique de l’efficacité revient beaucoup : comment être efficace en télétravail, comment s’organiser, comment structurer sa journée.
- Les enjeux de respect de la vie privée et de droit à la déconnexion.
- Les enjeux psychosociaux (travailler seul, avec des enfants, dans un logement exigu…) et sanitaires (ergonomie de l’installation de travail, rythmes de travail).
- Point de vue du manager :
- Comment mettre en place le télétravail au sein d’une équipe.
- Comment organiser une réunion.
- Comment manager les équipes en télétravail : motivation, rythmes, temps, liens entre les salariés en présentiel et en distanciel…
Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle montre que le télétravail présente une multiplicité d’implications sur l’ensemble des dimensions de la vie de l’entreprise. En réalité, il est sans doute difficile de mesurer l’ensemble des aspects à prendre en compte avant d’en avoir fait l’expérience concrète. A cet égard, l’année 2020 aura constitué probablement le meilleur stage de formation au télétravail que l’on puisse imaginer !
Télétravail : un peu de contexte
En pratique, quelle est la réalité du télétravail en France, avant et après la crise du Covid-19 ?
En 2019, les salariés français se situaient plutôt au-dessus de la moyenne européenne, selon Eurostat : 7% de télétravailleurs réguliers (5,1% dans l’Union européenne) et 15,7% de télétravailleurs occasionnels (9,7% en UE). La comparaison est moins avantageuse avec les pays du Nord de l’Europe, mais la France reste devant l’Allemagne.
L’Institut Montaigne a publié en septembre une note signée Laëtitia Vitaud sur la question. Le retard de la France par rapport aux pays du Nord aurait au moins trois types de causes possibles :
- En premier lieu, il est difficile d’avoir des chiffres vraiment comparables entre les différents pays : tout le monde ne mesure pas la même chose.
- La composition sectorielle de l’économie est déterminante : plus un pays est spécialisé dans le tertiaire supérieur, ce qui est le cas des pays du Nord, plus les emplois y sont « télétravaillables ».
- La culture du travail et des échanges est différente suivant les pays. En France, le contexte est plus important que dans le monde anglo-saxon en matière de communication, par exemple. Le management vertical, par ailleurs, se prête plus difficilement à l’échange à distance que les organisations plus égalitaires. Et la façon dont se construit la confiance en France requiert une part incompressible de présentiel.
Ces facteurs expliqueraient qu’après une pointe à près d’un tiers de télétravailleurs lors du premier confinement, les salariés soient plus massivement revenus dans les bureaux à l’automne que dans d’autres pays.
L’expérience managériale grandeur nature qu’a représentée l’année 2020 en matière de télétravail laissera nécessairement des traces dans les organisations. Le second confinement, avec son télétravail obligatoire « chaque fois que c’est possible », a surtout montré que des freins importants demeurent : 1,8 millions de salariés télétravaillaient en novembre, contre 5 millions au printemps. A comparer aux 8 millions d’emplois « télétravaillables » selon le gouvernement. Dans un avenir proche, la question ne devrait pas manquer de se réinviter au sein des entreprises. Le responsable formation peut jouer, sur ce sujet, un rôle d’accompagnateur du changement.
Crédit photo : Shutterstock / Menara Grafis
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