Depuis le 1er janvier 2024, la directive CSRD entre progressivement en vigueur, étendant progressivement à un nombre croissant d’entreprises ses obligations en matière de reporting extra-financier. Pour les responsables formation, l’urgence est à relativiser : la principale obligation relative à la formation ne s’applique pas dans le premier reporting. De plus, le Parlement européen vient de repousser l’application de la directive pour une partie des entreprises, et d’autres allègements pourraient également être votés par la suite. En attendant, nous avons jeté un œil à la place qu’occupe la formation dans les indicateurs requis par la CSRD, en l’état. Complexe et contraignante, celle-ci peut-elle néanmoins fournir aux responsables formation et RH un moyen de valoriser leur action ?
Mis à jour le 18 avril 2025
Où en est-on des obligations CSRD ?
La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), en français Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, a été publiée le 22 décembre 2022. Elle remplace la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), de 2014, qui avait fixé un premier standard de reporting extra-financier.La CSRD fait passer le nombre d’entreprises soumises à l’obligation de reporting d’environ 12 000 à environ 50 000 en Europe (7 000 en France), selon le portail RSE du gouvernement.
La CSRD met l’accent sur la notion de « double matérialité » : le reporting doit porter à la fois sur l’impact des transformations sociales et environnementales sur l’entreprise, et sur l’impact de l’entreprise sur la société et l’environnement. L’analyse doit se faire dans les deux sens : impact de l’entreprise et impact sur l’entreprise.
Le cadre du reporting CSRD se fait autour de standards précis, les European Sustainability Reporting Standards (ESRS). Ceux-ci portent sur :
- L’environnemental ;
- Le social ;
- La gouvernance ;
- Des thèmes transversaux.
Les entreprises soumises à la NFRD sont censées publier cette année (2025) le reporting CSRD, pour l’exercice 2024. En revanche, les entreprises dites de la 2e et de la 3e vague viennent d’obtenir un sursis de 2 ans :
- Les entreprises de 250 salariés et plus ayant réalisé soit un CA de plus de 50M€, soit un bilan de plus de 25M€, pourront attendre 2028 (exercice 2027), au lieu de 2026 (exercice 2025) ;
- Les PME cotées, avec des adaptations, seront soumises à la CSRD à partir de 2029 (exercice 2028) au lieu de 2027 (exercice 2026).
En effet, le Parlement européen a adopté début avril 2025 une directive dite « Omnibus » intitulée « Stop the clock » qui repousse de 2 ans l’application de la CSRD. Cette directive doit être traduite en droit français, mais la loi DDADUE 2025 votée également début avril avait anticipé le changement. (La loi devrait être publiée prochainement, quand le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur un article qui n’a rien à voir avec la CSRD).
Attention cependant : une second directive dite « Omnibus » intitulée « Content » devrait être examinée par le Parlement européen. Si elle est adoptée, le nombre d’entreprises concernées pourrait bien redescendre en-dessous même du nombre d’organisations initialement soumises à la NFRD. En pratique, les entreprises de moins de 1000 salariés, avec un CA de moins de 50M€ ou un bilan de moins de 25M€ passeraient sous un régime facultatif, le VSME (Voluntary reporting standard for SMEs). Cette directive, cependant, pourrait n’être examinée que courant 2026.
Les indicateurs formation de la CSRD
En l’état actuel de la CSRD, les obligations de reporting sont donc régies par le standard ESRS. Que nous dit ce document en matière de formation et de compétences ?
La formation intervient de 2 façons principales dans les standards ESRS :
- Sur les thématiques sociales : le rapport extra-financier doit comporter des indicateurs en matière d’accès à la formation, pour les collaborateurs internes mais aussi, éventuellement, pour les fournisseurs. Cette obligation, cependant, ne s’applique pas au premier reporting réalisé dans le cadre de la CSRD.
- Sur l’ensemble des thématiques : la formation apparaît souvent comme indicateur possible de l’action de l’entreprise pour réduire son impact sur l’environnement, la société, la bonne gouvernance. Sur ce dernier point, la dimension « formation à la lutte contre la corruption » s’impose dès lors que l’entreprise a des collaborateurs placés dans une situation présentant un risque de ce type.
Les indicateurs relatifs à l’accès à la formation
La sous-thématique S1-13 prévoit explicitement que « L’entreprise indique dans quelle mesure la formation et le développement des compétences sont fournis à ses salariés. » Il s’agit de mesurer les actions mises en œuvre par l’entreprise en vue du développement des compétences et du maintien dans l’emploi ; mais aussi les actions d’évaluation des performances et du développement professionnel.
A noter que la formation est définie comme « les initiatives mises en place par l’entreprise en vue du maintien et/ou de l’amélioration des compétences et des connaissances de ses effectifs propres. La formation peut revêtir différentes formes, telles que la formation sur site ou la formation en ligne ». Une définition conforme à celle qui prévaut déjà en droit français.
Les indicateurs sur l’accès à la formation se répartissent donc en deux catégories :
- L’évaluation des besoins de compétences des salariés: il s’agit du « pourcentage de salariés ayant participé à des évaluations régulières de leurs performances et du développement de leur carrière », ventilé par genre. Les indicateurs doivent inclure « le nombre/la proportion d’évaluations des performances par salarié » et « le nombre d’évaluations par rapport au nombre d’évaluations convenu par l’encadrement ». L’évaluation doit se faire sur la base de « critères connus du salarié et de son supérieur, entrepris avec la connaissance du salarié au moins une fois par an ». Elle peut « comprendre une évaluation effectuée par le supérieur direct du travailleur, par ses pairs ou par un plus large éventail de salariés ».
–> L’entretien professionnel bisannuel ne suffit donc pas dans cette perspective, mais l’entretien annuel d’évaluation entre probablement dans la définition attendue. La directive, de toute façon, ne fait pas la différence. En fonction des systèmes d’information, les données de l’un et/ou de l’autre type d’entretien (si l’entreprise les sépare vraiment) seront donc à mobiliser.
- L’accès à la formation proprement dit: il s’agit du « nombre moyen d’heures de formation par salarié et par sexe ». Le référentiel laisse également entendre qu’une répartition par catégorie de salariés est attendue : « Les catégories de salariés reflètent le niveau (encadrement supérieur, encadrement intermédiaire, etc.) ou la fonction (rôle technique, administratif, de production, etc.). Cette information est tirée du système des ressources humaines de l’entreprise ». Par ailleurs, « L’entreprise peut classer ses effectifs en salariés exécutifs et salariés non exécutifs. »
–> Ici, le responsable formation est dans son domaine de reporting. Dans une grande structure, ce type d’indicateur est en principe facile à produire à partir du système de gestion de la formation.
Les formations à la lutte contre la corruption
L’autre obligation en matière de formation que l’on trouve dans le référentiel ESRS porte sur la lutte contre la corruption. Dans le cadre de la thématique « gouvernance », le texte prévoit ainsi que « l’entreprise fournit des informations sur le système qu’elle applique pour empêcher et détecter la corruption et les pots-de-vin, pour mener des enquêtes et pour réagir aux allégations ou aux cas de corruption/versements de pots-de- vin, en ce compris la formation qu’elle propose dans ce domaine. »
L’obligation vise les personnels identifiés comme étant exposés au risque de corruption. Au sujet des formations évoquées, les informations à fournir incluent « la nature, le contenu et le degré d’approfondissement des programmes de formation proposés ou imposés par l’entreprise pour lutter contre la corruption et le versement de pots-de-vin », mais aussi « le pourcentage de fonctions à risques couvertes par les programmes de formation », et la fourniture de ces formations aux « membres des organes d’administration, de direction et de surveillance ».
Il est possible aussi de présenter les différences régionales en matière de politique de formation contre le risque de corruption, et de valoriser le fait qu’elles bénéficient à d’autres que les salariés les plus exposés.
Les actions de formation dans le cadre de la politique ESG
Les normes ESRS mentionnent enfin la formation parmi les types d’actions qui peuvent être mises en avant dans le cadre des politiques visant l’impact environnemental et social de l’entreprise.
Quelques exemples :
- Les formations à la non-discrimination ;
- Les actions de formation et de reconversion face aux enjeux emploi et compétences liés au réchauffement climatique ;
- Les actions de formation visant à l’adaptation au changement climatique ;
- La formation des salariés de fournisseurs dans des pays en développement ;
- Les formations exigées des partenaires pour se conformer à certaines normes ;
- Les formations à l’impact des activités sur les communautés (par exemple les peuples autochtones)…
Le document invite expressément à mesurer non seulement le nombre d’actions de formation mais aussi leur impact réel.
Sur tous ces sujets, le responsable formation peut faire preuve de proactivité et valoriser l’activité de son département au profit du reporting extra-financier.
En matière de « reporting de durabilité » obligatoire, rien n’est encore gravé dans le marbre. La directive « Omnibus » pourrait bien vider en grande partie de sa substance la directive CSRD, et réduire considérablement le champ des obligations – au grand soulagement de nombreuses entreprises. Pour le moment, cependant, il reste prudent de rester en alerte sur le sujet. Dans tous les cas, les responsables RH et formation sont assis sur un trésor de données qu’ils ont tout intérêt à valoriser auprès de leurs direction.
Crédit photo : Shutterstock / 3rdtimeluckystudio
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