1 milliard € pour les reconversions professionnelles (Institut Montaigne)

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Multiplier par 4 le nombre de formations à des reconversions professionnelles pour le porter à 100 000 par an : c’est l’objectif affiché par une récente note de l’Institut Montaigne. En 16 propositions assez techniques, l’avocat Franck Morel, ancien conseiller d’Édouard Philippe, dessine ce qui pourrait être une réforme des dispositifs de reconversion à déployer lors du prochain quinquennat. L’enjeu budgétaire (incluant la réorientation de fonds non utilisés) s’élèverait à 1 milliard d’euros.

 

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Les reconversions professionnelles : pourquoi ?

L’importance d’organiser des reconversions professionnelles massives n’est plus à démontrer. Plusieurs tendances sont à l’œuvre :

  • La transition énergétique et la digitalisation transforment les métiers existants et en font émerger de nouveaux ;
  • Les évolutions démographiques renforcent la demande de certains métiers de service, notamment en matière d’accompagnement du grand âge ;
  • Les attentes des travailleurs évoluent et la mobilité professionnelle devrait aller en s’accroissant.

Les raisons de rechercher une reconversion professionnelle sont multiples. « Elle peut être subie ou volontaire, engagée à l’initiative de l’individu, résulter d’une démarche de l’entreprise qui souhaite faire évoluer professionnellement ses salariés… » Une politique d’accompagnement des reconversions doit donc tenir compte de cette diversité de contextes et de motivations.

La note cite par ailleurs un chiffre d’un baromètre BVA de juin 2021 qui rejoint celui donné par le baromètre Centre Inffo 2022 : environ un salarié français sur 2 a entrepris ou envisageait d’entreprendre une transition professionnelle en 2021. C’est considérable.

Comment l’Institut Montaigne propose-t-il d’accompagner ces vocations et ces besoins de compétences ? Passons en revue les principales propositions.

 

Réorienter le CPF vers la reconversion

9 des 16 propositions concernent de près ou de loin le CPF. Celui-ci apparaît comme un pivot indispensable des politiques de reconversion, même s’il n’est pas le seul outil. Les propositions visent à la fois à renforcer son alimentation et à contraindre son emploi par les salariés, dans un sens propice aux orientations jugées pertinentes.

Restreindre la liste des formations finançables

La principale proposition est reprise de l’accord-cadre signé par les partenaires sociaux le 14 octobre 2021. Il s’agirait, en somme, de revenir au système de listes de formations éligibles qui prévalait avant la réforme de 2018. Seules seraient finançables par le CPF les formations qui préparent à des qualifications identifiées comme utiles pour l’économie. Le CEP, de son côté, pourrait décider de financer, hors CPF, des formations qui n’entrent pas dans le champ du CPF restreint, en contrôlant que ces formations s’insèrent bien dans un projet professionnel cohérent. En clair, un salarié qui souhaiterait se former à un métier en tension référencé pourrait acheter sa formation directement via la plateforme. Mais s’il voulait passer son permis de conduire, il devrait valider le projet devant le CEP, qui vérifierait que le permis est bien requis dans la cadre du projet professionnel.

L’objectif est en somme de limiter l’accès au CPF (dont la dépense est hors de contrôle) pour la réorienter vers un plus petit nombre de dossiers mieux ciblés et, comme on va le voir, mieux financés.

Alimenter davantage les CPF des moins qualifiés

Trois mesures permettraient de réorienter les fonds du CPF vers ceux qui en ont le plus besoin :

  • Le CPF des moins qualifiés serait davantage alimenté, celui des plus qualifiés le serait moins. La ressource serait redistribuée.
  • Les bénéficiaires qui n’ont ni reçu de formation certifiante ni changé d’emploi depuis 10 ans recevraient un abondement exceptionnel.
  • Les titulaires de CPF pourraient verser une partie de leurs droits sur un fonds dédié à financer la reconversion des moins qualifiés. Les personnes les plus proches de la retraite et qui n’envisagent plus de se former, par exemple, pourraient être tentées de céder leurs fonds CPF.

Lier orientation et utilisation du CPF

Deux propositions visent à inciter les utilisateurs du CPF à prendre conseil avant de dépenser leurs fonds disponibles. La première consiste simplement à lancer une campagne de communication sur le CEP, en particulier via la plateforme Mon Compte Formation. Celle-ci comporte un lien vers le CEP, qui permet de trouver l’adresse du conseiller le plus proche et le plus approprié. La note propose de « valoriser l’accès numérique au CEP » via la plateforme, peut-être en permettant une prise de rendez-vous en ligne ?

La seconde proposition est encore issue de l’ accord-cadre du 14 octobre 2021. Pour être finançables par le CPF, rappelons-le, les formations doivent être enregistrées soit au RNCP (métiers), soit au répertoire spécifique (activités, compétences). Le permis de conduire, les bilans de compétences, la VAE et l’accompagnement à la création/reprise d’entreprise peuvent également être financés via le CPF.

L’idée serait d’obliger les bénéficiaires du CPF à solliciter la validation de leur projet par le CEP en préalable à l’achat de certaines formations, parmi celles qui ne sont pas enregistrées au RNCP. Les préparations au permis de conduire sont particulièrement visées. Avec le filtre du CEP, l’auteur de la note et les partenaires sociaux espèrent faire en sorte que le CPF ne serve à financer que des projets professionnels crédibles. Ce point, cependant, ne va pas dans le sens d’une simplification, et il s’ajoute aux efforts déjà déployés par France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations pour contrôler l’accès des organismes de formation à l’offre CPF.

Accorder un répit pour l’entretien professionnel, sous condition d’abondement CPF

Cette proposition très concrète, enfin, s’adresse aux entreprises qui ne sont pas en règle avec l’obligation d’organiser un entretien professionnel tous les deux ans et/ou n’ont pas rempli leur obligation de former chaque salarié tous les 6 ans. Le « et/ou » est important, parce que le ministère d’un côté, la justice et le Parlement de l’autre, n’ont pas la même interprétation des textes, ce qui fait planer une réelle insécurité juridique sur les entreprises. La note propose une sortie par le haut : le paiement des pénalités serait suspendu jusqu’à la fin de 2022, et les entreprises qui mettraient en place un accord collectif prévoyant l’abondement du CPF pour un objectif de formation défini en seraient exemptées. En somme, au lieu d’abonder le CPF des salariés concernés de 3 000 € que ceux-ci auraient pu dépenser comme ils le souhaitaient, les entreprises verseraient un abondement fléché vers des besoins de formation spécifiques.

 

Refonder les dispositifs de reconversion

À côté du CPF existent des dispositifs dédiés à la transition professionnelle : Transco, Transitions Pro, Pro-A. L’auteur propose une mise en cohérence des outils de financement de la transition professionnelle, en plaçant sous un chapeau commun 3 dispositifs, en fonction des besoins auxquels ils répondent :

  • un pour les entreprises qui n’arrivent pas à recruter ;
  • un pour les entreprises qui ont des emplois fragilisés ;
  • un pour les salariés qui veulent se reconvertir.

L’efficacité d’une telle structure reposerait cependant sur la lisibilité des conditions d’accès aux financements.

Lever les freins à la VAE

Lever les freins à la VAE, la rendre plus facile à organiser, pourrait faciliter la transition entre différents métiers en faisant valider des compétences transférables. C’est le sens de l’une des propositions de la note de l’Institut Montaigne, qui identifie un frein dans la mobilisation des jurys. Une réglementation complexe ralentit considérablement la composition des jurys de VAE et dissuade les candidats. En simplifiant et en donnant davantage de place aux entreprises dans le processus, il serait possible d’améliorer sensiblement la situation.

 

Rendre fiscalement amortissable certaines formations longues

Pour inciter les entreprises à investir dans des formations longues importantes pour maintenir l’emploi, la note propose de permettre d’amortir fiscalement, à défaut de pouvoir le faire comptablement, certaines dépenses de formation. La liste de celles-ci serait établie en concertation avec les professionnels de la formation et les branches.

Un tel dispositif pourrait s’avérer financièrement intéressant pour les entreprises, mais sa mise en œuvre pourrait bien s’avérer complexe.

 

Mettre en place une GPEC nationale

L’ensemble de cette architecture repose sur un postulat : celui que les autorités et les institutions soient capables d’identifier précisément, à travers les territoires, les métiers en tension, ceux qui recrutent, ceux qui vont disparaître, les compétences requises par les entreprises, aujourd’hui et à court, moyen et long terme.

Un grand nombre d’organismes existent déjà et produisent des données de cet ordre, utiles à l’objectif d’une GPEC nationale : observatoires de branches, observatoires territoriaux, Pôle emploi, Dares, Insee, France Stratégie… La note préconise soit de confier la mission à France Compétences soit de créer un nouvel organisme ad hoc. Il y aurait donc une structure nationale qui centraliserait les données de structures territoriales, s’appuyant plus ou moins sur l’existant. L’ensemble assurerait une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle du pays, déclinée dans les bassins d’emploi, utilisant les ressources de l’intelligence artificielle pour faire des analyses prévisionnelles, et se traduisant par le déploiement des formations nécessaires.

 

La note de Franck Morel pour l’Institut Montaigne témoigne d’une connaissance fine du système et appuie sur des points sensibles. On peut regretter cependant que la volonté de simplifier soit contrebalancée par des mesures qui, en réalité, risquent d’apporter davantage de complexité voire d’opacité au système. L’idée selon laquelle « un euro dépensé pour le CPF doit être profitable à l’emploi, à la croissance » peut paraître évidente ; mais elle suppose que les institutions soient capables de connaître le présent et l’avenir des métiers de façon extensive. L’idée d’une structure nationale qui prédirait les nouveaux métiers et allouerait les ressources en conséquence est sans doute séduisante sur le papier, mais il n’est pas certain qu’elle soit très réaliste. L’ingénierie financière qui permettrait de distribuer la ressource au plus près du terrain et d’en démultiplier l’efficacité, à enveloppe égale, paraît également bien complexe, et la démonstration du fait qu’elle permettrait de multiplier le nombre de formations à la reconversion par 4 ne paraît pas vraiment faite. Il reste certaines propositions pratiques (sur la VAE, l’entretien professionnel ou l’amortissement fiscal, notamment) qui pourraient intéresser les entreprises.

À la décharge de l’Institut Montaigne, il sera sans doute difficile d’éviter une nouvelle réforme pour assurer la pérennité du financement. Certes, le système issu de la réforme de 2018 présente le mérite d’une vraie simplification sur certains points-clés, comme le CPF (point de vue salarié) et l’apprentissage (point de vue entreprise). Les futurs réformateurs seront probablement confrontés à un dilemme : laisser courir la dépense ou re-complexifier le système. L’équation n’est pas aisée.

 

 

Point statistique : les salariés français sont-ils vraiment plus casaniers que les autres ?

Pour appuyer la nécessité d’accentuer les reconversions professionnelles, la note affirme que « notre pays demeure l’un des pays où les salariés restent le plus longtemps au sein de la même entreprise (10,8 années en moyenne) », renvoyant aux statistiques de l’OCDE. Celles-ci ne nous semblent cependant pas aussi catégoriques : la table « average job tenures » du site statistique de l’OCDE donne 11,1 années en moyenne dans la même entreprise pour les salariés français en 2020, 11 ans pour les salariés de l’union européenne et 10,1 ans pour ceux de l’OCDE. Les pays du Nord de l’Europe affichent des durées plus courtes, les pays du Sud des durées plus longues, et l’Allemagne est au même niveau que la France. Le constat de l’auteur ne paraît donc pas si fondé que cela.

Il est intéressant cependant de noter que le « turnover » plus élevé se rencontre aussi bien dans les pays anglo-saxons (Irlande et Royaume-Uni) que dans les social-démocraties scandinaves. Il ne s’agit donc pas simplement du traditionnel contraste Royaume-Uni versus continent. Par ailleurs, la durée moyenne passée dans une même entreprise n’a pas significativement évolué en France depuis 30 ans. En moyenne, en France comme dans l’OCDE, la moyenne serait même plutôt à la hausse. L’idée reçue selon laquelle nous serions en transition entre une période où les salariés passaient toute leur vie dans la même entreprise et une époque de mobilité accrue ne semble pas statistiquement vérifiée à l’heure actuelle.

Crédit photo : Institut Montaigne

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