Pierre Monclos : « les responsables formation développent de plus en plus une culture de la data »

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Pierre Monclos, expert en digital learning, évolue dans le monde de la formation depuis 15 ans, dont 9 ans chez le spécialiste de la formation à distance « à impact » Unow. Il en est aujourd’hui le DRH, mais pas seulement. Sa mission inclut la veille tous azimuts sur les évolutions pédagogiques, technologiques, réglementaires, organisationnelles de la formation. Il partage avec nous son expertise et ses observations sur le présent et l’avenir du secteur.

 

Quelles sont les grandes tendances à l’œuvre dans le monde de la formation aujourd’hui ?

Nous avons assisté à un net changement au cours des trois dernières années. Dans la première phase de l’e-learning traditionnel, l’apprenant se retrouvait seul face aux ressources pédagogiques. Ce modèle a montré ses limites. Nous sommes passés d’un schéma très descendant, où le salarié était invité à apprendre en autonomie, à un retour du synchrone, du collaboratif et des échanges entre apprenants. Tous les acteurs sont d’accord aujourd’hui : en l’absence de contact humain et de mise en situation de travail, les participants décrochent.

En somme, nous sommes passés de l’apprentissage du code de la route à celui de la conduite. Le code s’apprend en consultant des vidéos, en lisant des manuels, en faisant des quizz. On est là dans l’acquisition de savoirs. Mais quand nous apprenons à conduire, le moniteur ne passe pas trois heures à nous expliquer le fonctionnement du moteur : il nous met en situation de conduite et nous demande d’appuyer sur l’embrayage puis de relâcher lentement tout en accélérant. Les premières fois, nous calons, et puis nous y arrivons petit à petit. Nous acquerrons une compétence.

C’est ce qui est en jeu également dans la formation professionnelle : il s’agit de développer une compétence appliquée en situation de travail. Et cela doit se faire pendant la formation : il faut éviter que l’apprenant retourne au travail après avoir acquis des savoirs théoriques et constate que les choses ne se passent pas comme prévu sur le terrain.

 

Comment s’y prend-on ?

Notamment, en étalant les formations dans le temps. C’est ce que nous pratiquons, et que nous observons de plus en plus dans le monde de la formation. L’ancienne formule « 3 jours consécutifs » est très décriée aujourd’hui. On lui préfère 3 journées séparées par des périodes de retour au travail qui permettent de tester les compétences acquises et de corriger éventuellement le tir lors de la journée suivante. Nos formations, quant à elles, sont conçues sur 12 heures, étalées sur 4 semaines. Cette navette formation-travail est à mon sens essentielle.

Une autre tendance, corrélée, est le retour de l’humain. La formation digitale, oui, mais jamais sans la dimension humaine. Les formations dans lesquelles l’apprenant est seul avec un avatar virtuel ou une intelligence artificielle n’ont plus la cote. Le retour du formateur est plébiscité.

 

Comment évoluent les comportements d’achats des entreprises?

Les entreprises s’inquiètent de la conjoncture et anticipent aujourd’hui très majoritairement une baisse ou un maintien à l’identique du budget formation. Dans le même temps, les  besoins augmentent. Il y a donc une forte tendance à l’optimisation des dépenses. Avec deux possibilités complémentaires : l’internalisation et l’externalisation.

La formation en interne représente un levier important. Certaines entreprises se dotent d’outils et de procédures pour permettre à leurs salariés de créer leurs propres modules de formation à destination des collègues. Dans l’industrie, il peut s’agir simplement de se filmer en train de réaliser un geste de travail et de diffuser la vidéo. Dans le conseil et les services, des cadres peuvent communiquer le résultat de leur veille sous la forme d’une infographie…

Le recours à des prestataires externes est marqué par deux tendances fortes en matière d’achats :

  • Les entreprises cherchent souvent à acheter de gros volumes de formation pour bénéficier de tarifs dégressifs. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il s’est accentué.
  • Certaines organisations acquièrent également d’importantes bibliothèques de contenus pour les collaborateurs. C’est une bonne chose, dans la mesure où l’on rend ainsi accessible le savoir au plus grand nombre. Mais cela ne relève pas de la formation : il s’agit là encore d’acquérir des savoir et non de développer des compétences.

 

L’après-covid marque-t-il à la fois un saut quantitatif ET qualitatif pour la formation en ligne?

Quantitativement, c’est indéniable : tous les acteurs de la formation s’y sont mis. Selon nos baromètres, l’idéal que recherchent les entreprises est approximativement d’un tiers de présentiel, un tiers de distanciel, un tiers de blended. On est donc passé de 5% de distanciel avant la pandémie à 33%.

Par ailleurs, pour  une large part, les entreprises manifestent une plus grande exigence quant à la qualité des formations en ligne. Au début de la crise sanitaire, les prestataires ont transformé à la va-vite leurs offres présentielles en distanciel. Il en est résulté souvent une assez mauvaise image de la formation à distance, avec des classes virtuelles qui pouvaient durer des jours… or l’excès de distanciel synchrone génère rapidement de la fatigue.

L’offre s’est améliorée à partir de 2022, mais il y a encore du travail pour généraliser ce qui devrait être le minimum : des parcours de formation en ligne engageants, humains et centrés sur la mise en pratique.

 

Quel est le bon « mix » entre synchrone et asynchrone, selon vous ?

Tous les contenus ne se livrent pas au même partage des  temps. Mais je dirais qu’en moyenne, nous allons vers une moitié de synchrone et une moitié d’asynchrone. Pour que la formation soit efficace, il faut que le synchrone soit centré sur la mise en pratique. La partie asynchrone se partage à son tour en deux parties : un temps pour consulter les ressources sur le sujet, sous forme de vidéos, d’infographies, de textes, de podcasts… et un temps de collaboration et d’échanges avec les autres apprenants. L’asynchrone est tout sauf un temps passif.

Nous respectons à peu près ces proportions. Dans les formations techniques, l’asynchrone occupe un peu plus de place ; dans les formations au management ou à la vente c’est le synchrone qui prend le pas. Ce qu’il faut éviter, c’est de faire de longs cours théoriques. La théorie s’acquiert dans la phase de consultation des ressources ; et si elle n’est pas entièrement maîtrisée, ce n’est pas si grave. Ce n’est pas la théorie qui va me permettre de mieux faire mon métier demain ; c’est la compétence appliquée à ma situation de travail.

 

Quelle est la taille idéale d’un groupe de formation ?

Pour des prestations comme les nôtres, qui durent une douzaine d’heures, l’idéal se situe aux alentours de 30 personnes. C’est ce que nous avons constaté. Si le groupe est trop peu nombreux, la collaboration à distance n’a pas lieu – il est plus difficile de susciter des échanges dans le distanciel que dans le présentiel. Si le groupe est trop important, l’esprit « promotion » disparaît. Empiriquement, c’est à 30 participants que nous obtenons les meilleurs scores d’engagement.

 

Qu’entend-on exactement par « impact learning »?

Nous utilisons l’expression « impact learning » pour désigner une formation au cours de laquelle les participants développent des compétences qu’ils réutiliseront effectivement en situation de travail. Je crois qu’il est important de faire cette distinction, parce que certaines formations visent plutôt la transmission de savoir, d’autres conduisent à acquérir des compétences génériques non adaptées au contexte de travail. Or je pense que toute formation professionnelle devrait être jugée sur l’impact qu’elle a réellement sur les compétences déployées en situation de travail. Les ingrédients du succès sont la mise en pratique, l’accompagnement, l’étalement dans le temps.

 

Comment la démarche s’articule-t-elle avec l’évaluation de la formation ?

Le fait d’espacer les sessions permet de commencer l’évaluation pendant la formation même. Dans nos prestations, nous prévoyons en outre une évaluation à froid un mois après la fin de la formation. Nous utilisons la même interface que pour la formation elle-même, et c’est important : lorsque l’évaluation est présentée comme faisant partie de la prestation et non comme un processus extérieur, le taux de retour est nettement plus élevé. Nous nous appuyons sur les travaux de Jonathan Pottiez et sur le modèle de Kirkpatrick. Les organismes se contentent encore, trop souvent, d’évaluer la satisfaction des participants. Or un stagiaire peut être très satisfait d’une mauvaise formation !

Du côté des entreprises, certaines choisissent de mettre en place leur propre système d’évaluation à froid. Ce n’est pas du tout incompatible avec notre démarche, au contraire : les deux se complètent. L’évaluation à froid suppose de fixer en amont les indicateurs que l’on souhaite améliorer. Lorsqu’il s’agit de sujets très spécifiques à l’entreprise, celle-ci est généralement mieux placée pour en faire l’évaluation, et nous savons le reconnaître.

 

Que penser des nouvelles tendances technologiques appliquées à la formation, IA, métavers, réalité virtuelle ?

Il y a beaucoup de discours marketing court-termiste derrière ces technologies. L’intérêt du métavers réside dans la dimension immersive, qui est surtout perceptible lorsqu’on utilise des casques de réalité virtuelle. La dimension collaborative peut être intéressante. Mais il n’est déjà pas toujours facile d’apprendre aux salariés à venir sur les plates-formes e-learning habituelles ! Et pour le moment le coût d’entrée est trop élevé pour que les entreprises y aient recours massivement.

L’intelligence artificielle, en revanche, pourrait avoir un impact plus rapide et plus important, mais dans un domaine bien précis : celui de la conception des parcours de formation. Nous avons fait un test en interne avec une IA générative, en l’occurrence chat GPT. Il y a des choses que l’IA fait beaucoup mieux que nous, comme prévoir et structurer une activité pédagogique qui permettra de développer telle ou telle compétence. Chat GPT peut faire ce travail de préparation à 90% : nous avons seulement à personnaliser le résultat en fonction de notre connaissance du sujet. L’IA va donc faciliter la création de contenus et les rendre plus qualitatifs. Pour les organismes de formation comme pour les entreprises qui développent des formations en interne, il y aura un avant et un après IA, j’en suis convaincu.

 

Selon vous, les entreprises font-elles évoluer leurs organisations relativement au rôle de la formation et des compétences?

Je pense que oui, clairement. L’après-Covid a vu se renforcer significativement la tendance au développement d’entreprises apprenantes. Les organisations se transforment pour faire en sorte que les collaborateurs n’apprennent pas seulement pendant leurs temps de formation mais aussi dans leur quotidien de travail. Beaucoup d’entreprises ont mis en place des rituels, des moments de partage, des circuits de feedback… Elles se sont dotées d’outils digitaux et se préoccupent de plus en plus de l’expérience de formation, de développement, d’apprenance, ne serait-ce que pour faire face aux enjeux de fidélisation.

 

Voit-on évoluer concrètement la place du responsable formation dans l’entreprise?

Oui. Je vois 3 points sur lesquels le rôle du responsable formation se transforme.

  • Tout d’abord, on attend des RF qu’ils sachent concevoir et déployer avec succès des parcours de formation digitaux. Ce qui implique souvent de savoir concevoir des contenus et activités digitales, mais aussi et surtout de maîtriser la panoplie d’outils digitaux permettant de créer et déployer ces parcours.
  • L’ingénierie financière n’est pas une compétence nouvelle des responsables formation, mais elle tend à prendre de plus en plus de place, avec la réduction des budgets que j’ai déjà évoquée. Il faut aller chercher des financements publics à un moment où ils se raréfient, et optimiser les coûts. Certaines tâches qui étaient assumées hier par le service des achats reviennent désormais de plus en plus aux RF – même si les deux continuent bien sûr à travailler ensemble.
  • Enfin, les responsables formation sont amenés à développer une culture de la data, voire à devenir des sortes de mini-data-analysts. Autrefois, ils se contentaient souvent de données très simples, comme le temps de connexion et le taux de réussite. Il s’agissait plutôt d’être en règle avec la législation et de pouvoir présenter des tableaux aux représentants du personnel. Aujourd’hui, et je le vois bien dans les exigences de nos clients, les RF formulent des demandes bien plus spécifiques, plus qualitatives. Ils veulent des données précises qui puissent leur servir pour prendre des décisions. Cela ne nous facilite pas la tâche, mais je me réjouis beaucoup de cette évolution, qui va dans le bon sens !

 

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