Hervé Estampes : « Le responsable formation a tout un écosystème à animer »

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Co-président du cabinet Graduate Conseil, Hervé Estampes affiche un parcours hors du commun : ancien pilote de combat pendant la Guerre du Golfe, magistrat à la Cour des comptes, consultant, DG de l’Afpa (2012-2016), président d’une entreprise de logistique, il accompagne depuis 2019 les écoles privées, universités et CFA dans leur stratégie, mais aussi les entreprises dans le déploiement de leurs propres universités ou CFA internes. Il répond à nos questions sur la formation des salariés aujourd’hui et demain.

 

Avez-vous le sentiment que les entreprises accordent davantage d’importance au développement des compétences aujourd’hui ?

Les entreprises ont compris qu’elles ne pouvaient pas répondre à tous leurs besoins en compétences par le recrutement de personnes maîtrisant 100% des compétences recherchées. Elles savent qu’elles doivent élargir leurs viviers, recruter des candidats sur leurs soft skills, leur curiosité, leurs qualités humaines et les former aux compétences nécessaires.

Elles ont pris conscience également de l’importance et du coût du turnover, et de la nécessité d’avoir une politique de gestion des talents plus proactive. Beaucoup de salariés changent d’entreprise tous les 4 ou 5 ans sans être pour autant insatisfaits de leur emploi. Ils cherchent à multiplier leurs expériences pour accroître leur expertise, leur réseau, leur employabilité. Les responsables RH et formation comme les managers savent qu’ils doivent anticiper, ne pas attendre que les collaborateurs s’en aillent pour leur proposer une mobilité et de la formation. Il y a une dizaine d’années, on parlait déjà d’entreprise apprenante. Aujourd’hui, on va plus loin, avec le management par le learning.

 

Dans votre expérience, les entreprises internalisent-elles davantage la formation aujourd’hui ?

Oui, absolument. Après la réforme de 2018 et la création de Qualiopi, on s’attendait à une baisse du nombre d’organismes de formation. En pratique, leur nombre a doublé. Mais aujourd’hui, beaucoup sont en train de disparaître. Et les entreprises se dotent de leurs propres structures.

Ce mouvement n’est plus tellement porté par l’apprentissage : après un succès initial, les créations de CFA internes marquent le pas. Les entreprises s’aperçoivent que le statut est plus compliqué que prévu, avec notamment la nécessité d’avoir un conseil de perfectionnement, une comptabilité analytique… L’aide exceptionnelle de 8 000 € a suscité un engouement fort, avant de redescendre à 6 000 € puis 2 000 € pour les entreprises de plus de 250 salariés. Le format séduit moins aujourd’hui.

En revanche, les organismes de formation internes se développent. Il y a 10 ou 15 ans, on en trouvait surtout dans les grandes entreprises – on pense aux universités de Veolia, Thales ou autres. Aujourd’hui, des entreprises de 400 ou 500 salariés se dotent de leur propre structure. Certaines franchissent un cap supplémentaire, en obtenant de la Dreets un agrément pour délivrer des certifications sur des titres professionnels existants. Foncia, par exemple, dispose de son propre organisme de formation Qualiopi, doté de l’agrément pour certifier des conseillers clients à distance ou des assistants immobiliers. Au nom de la République française.

>> En savoir plus sur le CFA d’entreprise : 

 

La réforme de 2018 a-t-elle eu un impact sur le recours des entreprises à la formation ?

Beaucoup d’observateurs ont retenu de la réforme qu’elle coupait les financements aux entreprises de 50 salariés et plus au profit des TPE, avec la fin du financement du plan de développement des compétences. En pratique, pourtant, il reste beaucoup d’aides à la formation pour l’ensemble des entreprises. Il y a le CPF : avec le reste à charge, le cofinancement par l’entreprise est de plus en plus attractif. L’employeur peut proposer au salarié de lui payer une partie de sa formation sur son temps de travail, au bénéfice de son employabilité.

Mais il y a d’autres dispositifs. Il y a eu le contrat de professionnalisation expérimental, jusqu’en 2023 ; le contrat de pro VAE, ou VAE inversée ; le CDI professionnalisant, par lequel une entreprise peut recruter des candidats qui n’ont pas toutes les compétences requises, en vue de les acquérir via un sas de 6 mois à 1 an de formation en alternance. Les entreprises qui maîtrisent ces outils peuvent bénéficier de financements considérables.

Quand la réforme a relancé l’apprentissage, tout le monde pensait que le contrat de professionnalisation allait disparaître. Mais à l’usage, on s’est rendu compte que ce contrat avait ses spécificités, qui faisaient son intérêt. La Pro-A, en revanche, est trop contraignante. C’est un outil qui va mourir de sa belle mort.

 

Comment va évoluer le système de formation ?

Les nouvelles discussions entre partenaires sociaux pourraient apporter des nouveautés – un CDI professionnalisant avec moins de contraintes, ou un déplafonnement de l’âge de l’apprentissage, par exemple. L’alternance est une modalité qui plaît aux entreprises : il faudrait réduire les contraintes, permettre à davantage de salariés en poste d’y accéder, et aller vers une alternance tout au long de la vie.

Par ailleurs, une mission a été confiée à l’Igas sur l’efficacité des Opco. Deux ou trois d’entre eux sont sur la sellette, en particulier les plus transversaux. Il y a des écarts très forts entre les Opco en matière de qualité de service, de numérisation, etc. Il n’est pas exclu que la mission de l’Igas, qui doit rendre ses conclusions fin juin, se termine par une réduction du nombre d’Opco, qui passerait de 11 à 8 ou 9.

 

Le décret qui vient de sortir sur l’abondement du CPF change-t-il vraiment quelque chose ?

Quand vous êtes employeur, vous avez très envie d’abonder le CPF, pour co-financer des formations aux collaborateurs. Mais administrativement, c’est une usine à gaz, alors vous avez tendance à laisser tomber. La ministre nous a expliqué que nous aurions un processus simplifié. Mais le résultat reste assez peu intuitif. Le CPF, c’est un univers très complexe, il y la Caisse des dépôts derrière, c’est de l’argent public, on ne peut pas faire n’importe quoi. Le décret va dans le bon sens, mais ce n’est pas encore un game changer.

 

L’IA a-t-elle déjà commencé à transformer la formation ?

Non, pas tant que cela. On voit l’IA à l’œuvre dans le recrutement, mais assez peu dans le domaine de la formation. Elle commence à être utilisée pour assister les politiques de mobilité interne, en facilitant le développement des référentiels de compétences. Des outils existent depuis longtemps en la matière, mais il s’agissait de processus longs et coûteux. L’IA générative a donné lieu à des solutions beaucoup plus accessibles, à la fois financièrement et techniquement.

Pour ce qui est de l’application de l’IA aux modalités pédagogiques, nous allons voir émerger des applications séduisantes, comme on l’a vu avec le métavers. L’IA permet déjà de proposer des formations et de personnaliser les contenus. Mais il n’y a rien de déterminant pour le moment.

Pour autant, il est essentiel de se former à l’IA. Comme on le lit beaucoup, ce n’est pas l’IA qui va vous voler votre emploi, mais quelqu’un qui maîtrise mieux l’IA que vous !

 

Quelles seront selon vous les grandes tendances en matière de politique de formation des entreprises pour les 5 années qui viennent ?

Cela dépendra en partie des textes à venir. Une tendance lourde, pour moi, est l’importance croissante du certifiant. Les entreprises comme les salariés ont besoin de repères. Les micro-certifications vont se développer. Il est déjà possible de certifier des blocs de compétences ; les micro-certifications vont permettre de casser cette granularité pour aller sur une maille encore plus fine. Pour prendre un exemple, si vous travaillez au Club Méditerranée, vous savez probablement faire des cocktails, ce qui peut être intéressant à savoir ; mais il n’existe pas de blocs de compétences « faire des cocktails ». C’est donc une information non transmise.

Les micro-certifications sont soutenues par une initiative européenne, les Opco y réfléchissent beaucoup. Elles peuvent faire appel à des technologies comme la blockchain et les coffres-forts électroniques. Votre micro-certification est ainsi stockée de façon sûre et peut être produite le moment venu. C’est un outil important pour fluidifier le marché de l’emploi et faciliter les reconversions.

Parmi les autres tendances, il y a bien sûr l’IA, que nous avons déjà évoquée ; mais aussi le verdissement, qui va concerner la plupart des métiers. Tous ces éléments vont arriver dans la bannette du responsable formation.

>> En savoir plus sur la blockchain dans la formation

 

Justement, quel est selon vous l’avenir du métier de responsable formation ?

Il devra être en capacité d’assurer un minimum d’ingénierie pédagogique, pour combiner toutes les modalités existantes – mobile learning, micro-learning, métavers, etc. Parallèlement, il devra être assez affûté en matière d’ingénierie de certification, c’est-à-dire savoir jouer avec les micro-certifications, les blocs de compétences et les formations correspondantes pour construire des parcours optimaux. Idem pour l’ingénierie de financement : beaucoup de responsables formation ne se sont pas mis à jour depuis 2018, et sont un peu perdus avec les dispositifs de financement, qui sont encore nombreux, comme nous l’avons vu.

Surtout, globalement, il faudrait que les responsables formation soient un peu plus leaders sur le sujet, un peu plus présents au sein de leur entreprise. Entre les formations en situation de travail, les maîtres d’apprentissage, les tuteurs et autres, il y a tout un écosystème à animer, à faire connaître, à suivre ; l’objectif est de mettre en mouvement toutes les forces vives de l’entreprise autour de l’enjeu des compétences. Le responsable formation ne peut plus rester dans son coin à gérer simplement les relations avec les prestataires. Son métier va devenir plus intéressant, moins administratif et plus dynamique – ce qui va influer sur les profils des personnes recrutées à ces postes.

 

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