La feuille de route de la prochaine réforme de la formation professionnelle

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Faut-il parler de réforme de la formation professionnelle ou de simples ajustements ? La ministre déléguée à l’Enseignement et à la formation professionnels, Carole Grandjean, a annoncé dès septembre 2022 les grandes lignes du volet « formation » des prochaines mesures prises autour du travail. Comme de coutume, sur les thématiques emploi-formation, les partenaires sociaux ont leur mot à dire. Le choix et le cadrage des sujets laissent cependant entrevoir certaines pistes, et aussi certaines contradictions.

Mis à jour le 27 juillet 2023

Sommaire
Une réforme de la formation professionnelle, pour quoi faire ?
L’apprentissage : maintenir la dynamique sans se ruiner
CPF : recentrer les achats vers les besoins des entreprises
La VAE relancée
La formation aux métiers de demain et la lutte contre l’illettrisme

 

Une réforme de la formation professionnelle, pour quoi faire ?

2004, 2009, 2014, 2018 : il ne se passe rarement 5 ans sans une réforme de la formation professionnelle. 2024 verra donc selon toute vraisemblance de nouvelles mesures sur le sujet. Il n’y aura probablement pas de réforme systémique, de l’ampleur des deux dernières. On s’oriente davantage vers un scénario analogue à celui de 2009, avec des avancées et des ajustements qui s’insèrent dans la continuité des réformes précédentes. Une sorte de point quinquennal sur l’évolution des nouvelles institutions, en somme. Qui ne passera pas nécessairement par un texte unique.

À la différence de ce qui s’est passé 2018 au moment de la discussion de la loi « Avenir professionnel », la question de la réforme de la formation professionnelle n’occupe pas les devants de la scène. Elle n’apparaît que dans 2 des 8 chantiers prioritaires présentés par Olivier Dussopt (ministre du Travail) et Carole Grandjean aux partenaires sociaux en septembre 2022, censés préparer la voie pour le « plein emploi en 2027 ». Les vedettes de l’année seront la création de France Travail (réunissant l’ensemble des acteurs de l’insertion des chômeurs) et la réforme des retraites, votée depuis le 15 avril 2023.

Les 2 chantiers « formation », portés par Carole Grandjean, seront quant à eux déclinés en 5 axes :

  • L’apprentissage ;
  • Le CPF ;
  • La VAE ;
  • Les transitions professionnelles ;
  • L’illettrisme.

 

L’apprentissage : maintenir la dynamique sans se ruiner

La promotion de l’apprentissage pose un problème cornélien. Le nombre de contrats a connu un essor spectaculaire en 2021 et en 2022. La réforme de la formation professionnelle de 2018 y est certes pour quelque chose. Mais une part importante de ce succès est surtout due aux aides exceptionnelles versées depuis l’été 2020, qui annulent en pratique le coût de la première année d’embauche d’un apprenti pour l’entreprise. Les aides, rappelons-le, ont été modifiées en 2023 et reconduites en principe jusqu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, soit 2027. Comment conserver cette dynamique tout en réduisant les coûts ?

Des objectifs contradictoires

D’une part, le dispositif coûte très cher à l’État. En pratique, et sans surprise, le doublement du nombre de nouveaux contrats s’est accompagné d’un doublement du coût de l’apprentissage en 2021. Selon les calculs de Bruno Coquet, le coût budgétaire de l’apprentissage aurait atteint 16 Mds€ en 2021 et 20 Mds € en 2022. D’autre part, l’augmentation du nombre d’apprentis s’est concentré sur les niveaux de formation les plus élevés (bac+2 à bac+5). Beaucoup d’observateurs considèrent que les fonds publics seraient mieux utilisés s’ils étaient ciblés sur les moins qualifiés.

Le ministère annonce vouloir « amplifier la dynamique de l’apprentissage » et atteindre 1 million d’apprentis embauchés par an. Si ce chiffre n’a pas été atteint, l’année 2022 a bien vu près d’un million de jeunes (979 538) en contrat d’apprentissage à l’instant t (en comptant donc les contrats commencés les années précédentes et poursuivis en 2022). Le nombre de nouveaux contrats, lui, s’est élevé à 837 029, soit 14% de plus qu’en 2021.

Dares - les contrats d'apprentissage 2012-2022

La valse des coûts-contrats

L’enjeu financier repose sur deux leviers : le coût au contrat, c’est-à-dire le montant versé par les pouvoirs publics aux centres de formation d’apprentis (CFA) pour chaque jeune en contrat d’apprentissage, et l’aide exceptionnelle, versée aux entreprises.

Les coûts-contrats sont déterminés par les branches professionnelles, et à défaut d’accord par France Compétences. A la rentrée 2022, une première baisse ciblée des coûts-contrats a été appliquée à un certain nombre de certifications. Pour septembre 2023, France Compétences a décidé d’une nouvelle baisse, qui représente en moyenne 5% de la dépense et porte sur un peu moins de la moitié des 40 000 niveaux de prise en charge définis par les Opco. La recommandation par la Cour des comptes, dans ses rapports successifs sur la réforme de la formation professionnelle, de cibler les baisses sur les formations bac+3 n’a pas été suivie : une grande partie des réductions de prise en charge portent sur des formations de niveau bac ou inférieur.

A terme, la baisse du coût-contrat est-elle compatible avec l’objectif d’1 million d’apprentis par an ? Il peut y avoir un effet négatif sur l’offre (la création de CFA), mais aussi sur la demande, si les entreprises se voient demander un reste à charge pour les frais pédagogiques. Le ministère, dans sa feuille de route, annonce quant à lui la garantie d’un « financement des contrats au juste prix », c’est-à-dire vraisemblablement un ajustement à la baisse.

Le sort de l’aide exceptionnelle

L’aide exceptionnelle versée depuis 2020 aux entreprises qui embauchent en alternance a été modifiée en 2023 et devrait être reconduite jusqu’à 2027. Le choix d’unifier l’aide à 6 000 € joue en faveur de l’embauche des plus jeunes, et donc des plus faibles niveaux de qualification professionnelle. Cet aspect de la réforme de la formation professionnelle paraît tranché, même si à l’heure actuelle l’aide n’est formellement prévue que jusqu’à fin 2023.

Quel impact aura cette nouvelle formule sur le recours global à l’apprentissage ? L’avenir nous le dira. Selon les dernières données disponibles via le portail PoEm (politiques de l’emploi), le nombre de contrats conclus au cours des 4 premiers mois de 2023 est en hausse par rapport à la même période de 2022, et même par rapport aux 4 premiers mois de 2021

Les entrées en contrat d'apprentissage de janvier à avril 2021-2022-2023 - source DaresSource : Dares, PoEm, données actualisées au 30 juin 2023

 

CPF : recentrer les achats vers les besoins des entreprises

La problématique du compte personnel de formation (CPF) est similaire : on se réjouit de son succès, mais on se plaint du coût. Le dispositif a explosé tant du point de vue des montants engagés que des heures de formation financées. Depuis de nombreux mois, les partenaires sociaux réclament une restriction du champ des actions de formation accessibles via le CPF. Ils ont manifestement été entendus. Rappelons qu’à l’heure actuelle, le CPF permet de financer toute formation éligible, c’est-à-dire préparant à une certification professionnelle ou à une partie de certification inscrite au RNCP ou au répertoire spécifique, mais aussi le permis de conduire, les bilans de compétences et les formations à la création/reprise d’entreprise.

Carole Grandjean annonce en effet vouloir « faire en sorte que le catalogue du Compte Professionnel de Formation [sic]soit mieux orienté et plus utile aux actifs et aux entreprises. Il doit être un outil pour tous les actifs face aux mutations de l’économie ».  Le lapsus « compte professionnel » est sans doute involontaire, mais il incarne bien la nouvelle direction que le gouvernement souhaite donner à l’outil ! Le CPF ne doit pas servir simplement au développement personnel hors temps de travail, mais avant tout à se former pour développer son employabilité et répondre aux attentes des entreprises.

Là encore, le débat tourne autour du coût du CPF, dont la Cour des comptes a dénoncé l’explosion en 2021. Deux leviers sont actionnables : la réduction de la fraude et la limitation des formations et certifications finançables. Aucun des deux n’institue cependant un financement maîtrisé du CPF, après sa transformation suite à la réforme de la formation professionnelle de 2018.

La réduction de la fraude a déjà fait l’objet d’initiatives depuis 2021. Le grand ménage fait parmi les certifications fin 2021, le renforcement des contrôles par la CDC et la nouvelle proposition de loi contre le démarchage téléphonique vont dans ce sens. Les résultats étaient déjà perceptibles en 2022 : la dépense CPF tendait à se stabiliser.

Pour aller plus loin, il faudra redéfinir le champ des formations finançables. En pratique, cela se traduira-t-il par un niveau de contrôle des entreprises et/ou des Opco sur l’acte d’achat ? La création de la plateforme Mon Compte Formation avait totalement désintermédié – et sans doute décomplexé – le recours aux fonds du CPF. On peut imaginer des barrières sélectives en fonction du type de formation. Par exemple, le CEP ou Pôle emploi pourraient valider les dossiers CPF concernant les bilans de compétences ou les formations à la création d’entreprise. L’employeur, l’Opco ou Pôle emploi pourraient intervenir en amont du financement d’un permis de conduire. L’objectif étant de s’assurer que le CPF est toujours mobilisé dans un objectif professionnel. 

 

La VAE relancée

La validation des acquis de l’expérience, dont on attendait beaucoup lors de sa création il y a 20 ans, n’est pas au mieux de sa forme. Dans un contexte de forte demande de compétences et de reconversions professionnelles, elle devrait pourtant avoir le vent en poupe. Le rapport Rivoire, paru en 2022, identifie les freins au développement de la VAE et formule des propositions.

Ce versant de la réforme de la formation professionnelle a déjà été bien amorcé. La loi sur l’Assurance chômage du 21 décembre 2022 a en effet créé le principe d’un « service public de la VAE », inscrit dans le code du Travail, avec un guichet unique. Le but, tel qu’énoncé en amont par Carole Grandjean, est de simplifier et sécuriser la VAE, de la rendre « plus attractive et plus accessible, à l’appui notamment de l’évolution et de la reconversion des actifs ». L’objectif est d’atteindre 100 000 parcours par an, soit 3 fois plus qu’en 2021. A noter qu’il ne s’agit pas de 100 000 VAE réussies, mais de présentations de dossiers. En 2021, seule une partie des dossiers déposés ont été examinés, et parmi ceux-ci seuls 68% des candidats ont validé totalement leurs acquis.

La loi prévoit aussi de lancer une expérimentation de « VAE inversée », qui combine le contrat de professionnalisation et le mécanisme de la VAE pour favoriser l’accès à la certification et l’évolution professionnelle. Les décrets relatifs à cette initiative sont parus en mai 2023.

Les décrets relatifs au service public de la VAE, en revanche, sont encore attendus. Quels seront les leviers retenus ? Les propositions ambitieuses du rapport Rivoire, mais aussi les résultats des deux expérimentations conduites sur le sujet en 2021-2022 fourniront de la matière. La question des jurys sera centrale – comment parvenir à en réunir suffisamment et dans des délais courts? Le passeport de compétences sera sans doute au menu, ainsi que les badges numériques. L’enjeu est toujours de soutenir le projet professionnel des salariés et des demandeurs d’emploi en leur permettant de faire valoir pleinement leur parcours professionnel passé. 

 

La formation aux métiers de demain et la lutte contre l’illettrisme

Les deux autres axes annoncés par la ministre déléguée sont moins spécifiques, mais non moins importants. « Transformer l’appareil de formation initiale et continue pour former aux métiers de demain » est un programme ambitieux, qui dépasse le champ de la formation professionnelle des salariés. La volonté de « mieux accompagner les transitions professionnelles », en revanche, les concerne directement. En jeu, la simplification de l’accès aux dispositifs visant à aider les reconversions, qui tendent à se multiplier, avec Transipro, Transco, Pro-A… Avant la réforme de la formation professionnelle de 2018, la relative simplicité, l’ancienneté et l’efficacité des Fongecif avaient permis de développer significativement le congé individuel de formation, qui bénéficiait souvent aux moins qualifiés et concernait deux fois plus de personnes que son remplaçant, le CPF de transition. Dans l’idéal faudrait renouer avec cette dynamique et l’amplifier.

La lutte contre l’illettrisme, enfin, concerne également les entreprises et les salariés. « Parce que nous devons lutter contre ce fléau au travail qui touche 1 actif sur 10, nous poursuivrons les efforts pour mieux former les salariés aux savoirs fondamentaux », précise Carole Grandjean. L’insertion des publics les plus éloignés de l’emploi passe en effet par un effort de formation soutenu, sont les conditions de déploiement et la prise en charge seront à nouveau débattues.

 

Il n’est pas dit que l’on parlera d’une « réforme de la formation professionnelle » de 2023, mais il est clair que le faisceau de décisions qui s’annonce sur la question aura une influence significative sur l’accès à la formation des salariés, sur les financements de nos plans de développement des compétences et sur la gestion de la formation en général. Nous suivrons attentivement les différents développements de cette feuille de route au fil des mois.

Crédit photo : Shutterstock / 3rdtimeluckystudio

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