Formation obligatoire après 4 mois de chômage : chiche ?

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La réforme du système d’assurance chômage fait partie des grands chantiers du quinquennat. Elle met l’accent sur les incitations à reprendre un emploi, avec la fameuse modulation de la durée d’indemnisation en fonction du taux de chômage. Mais qu’en est-il de la formation ? Un rapport du think tank Institut Sapiens paru le mois dernier mise sur le développement des compétences pour relever le défi du chômage, avec une proposition audacieuse : la formation obligatoire après 4 mois d’indemnisation.

 

En dehors de la VAE, silence radio sur la formation

En 2018, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » comportait une partie « formation » et une partie « emploi », traitée comme deux facettes d’un même problème. Cette année, le débat se concentre plutôt sur l’abandon de poste et la diminution de la durée d’indemnisation quand la conjoncture est favorable.

La loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi », qui vient d’être votée, comporte il est vrai un volet « validation des acquis de l’expérience » (VAE). C’est une réforme importante, qui crée sur le papier un « service public de la VAE » et pose les bases d’une simplification du système, mais il faudra attendre le décret pour être fixé. L’enjeu est de relancer une voie d’accès à la qualification qui, 20 ans après sa création, semble empêtrée dans ses freins organisationnels.

Au-delà de la VAE, la réforme discutée actuellement par le gouvernement et les partenaires sociaux  ne s’intéresse pas directement au système de formation. On parle surtout d’adapter la réforme précédente, mais sans faire le  lien avec l’assurance chômage.

Pour Erwann Tison, de l’Institut Sapiens, cela ne suffit pas. Dans une note intitulée « Mettre la réforme de l’assurance chômage au service du plein emploi », le macro-économiste pose un diagnostic centré sur les compétences et suggère une réforme ambitieuse de l’articulation entre assurance chômage et système de formation.

 

Chômage structurel : un problème de compétences

La note de l’Institut Sapiens commence par souligner le lien étroit qui existe entre chômage et niveau de formation. Le taux de chômage, en effet, apparaît nettement corrélé au diplôme en France, comme le montre ce graphique réalisé à partir de données Insee :

Lien entre emploi et diplôme - Institut Sapiens

Source : Institut Sapiens

Le niveau de salaire, lui aussi, est étroitement lié au niveau de diplôme. Plus on est formé, plus on est en emploi, et mieux on est payé.

Lien entre salaire et diplôme - Institut Sapiens

Source : Institut Sapiens

Le résultat est qu’il existe en réalité plusieurs marchés du travail, certains pénuriques, d’autres non. Pour les cadres, le chômage est purement frictionnel (3,7%) ; pour les ouvriers, il est de 11,4%, et encore est-ce là son plus bas niveau depuis 2008.

La corrélation se poursuit dans la formation tout au long de la vie : les secteurs qui forment le plus sont aussi ceux qui paient le mieux.

Lien entre salaire et formation - Institut Sapiens

Source : Institut Sapiens

La question de savoir si la formation continue accroît les salaires fait débat parmi les économistes. L’auteur estime, avec certains chercheurs, que cette corrélation « demeure une constante observable empiriquement dans les entreprises. » D’ailleurs, « la dynamique des salaires actuelle le montre, elle est bien plus poussée par l’augmentation de la production via la formation (productivité) que par la hausse des prix (inflation). »

Le chômage de longue durée (plus d’un an) est un indicateur inquiétant. Il est passé en 25 ans d’un peu plus du tiers des chômeurs à plus de la moitié. Or, plus un actif passe du temps loin de l’emploi, plus son capital compétences se dégrade, et son employabilité avec. « Une fois que l’on bascule dans le chômage de longue durée, les chances pour s’en sortir sont de plus en plus faibles. La lutte contre le chômage ne pourra donc se faire sans de puissantes mesures de formation et de sortie rapide des non-qualifiés. » Le chômage de longue durée est donc l’ennemi n°1 de l’emploi et des compétences.

 

« Grande rétention » et pénurie de talents

Erwann Tison propose par ailleurs, pour la France, une vision alternative à la « grande démission » observée aux Etats-Unis. Les tensions sur le marché du travail sont réelles, mais elles ne découleraient pas, comme c’est le  cas outre-Atlantique, des départs massifs de salariés et de leur refus d’accepter des conditions de travail insuffisantes. Ce phénomène existe, mais il est aggravé par un autre : avec le « quoi qu’il en coûte » le gouvernement a fait le choix de préserver l’emploi présent au détriment de l’emploi futur.

En effet, on a observé en 2020-2022 une chute anormale du nombre de défaillances d’entreprises.

Evolution des défaillances d'entreprises - Institut Sapiens

Source : Institut Sapiens

Ce qui signifie qu’un certain nombre d’emplois ont été préservés dans des entreprises non viables. Cette « grande rétention » empêcherait les entreprises dynamiques, qui recrutent, de trouver les compétences dont elles ont besoin. « Sans le rythme naturel de destruction d’entreprises (estimé à 51.000 par an), il ne peut y avoir de réallocation efficace des facteurs de production. » Il y aurait « près de 41.000 entreprises […] dans cette situation, regroupant plus de 270.000 salariés », essentiellement dans l’hôtellerie-restauration, la construction et le commerce, qui connaissent les plus fortes difficultés de recrutement. Ces salariés « bloqués » dans des entreprises condamnées à court terme empêchent les autres  de trouver les talents dont elles ont besoin.

Le retour à la normale risque de s’avérer brutal : lorsqu’il va falloir commencer à rembourser les prêts d’Etat (PGE), à partir de fin 2022, beaucoup de ces entreprises risquent de mettre la clé sous la porte. Ces 270 000 emplois, selon l’Institut Sapiens, seraient donc menacés à très court terme. Il faudra les accompagner, en urgence. Et donc, souvent, les former.

 

Savoir plus pour travailler plus

Face à ces constats inquiétants, Erwann Tison formule 3 propositions, dont la première est celle qui nous intéresse ici : c’est la plus ambitieuse, et elle mobilise le système de formation. Il s’agirait de réduire drastiquement à 4 mois la durée d’indemnisation maximale du chômage, avec entrée en formation obligatoire au-delà.

L’auteur considère que verser une allocation faible sur une longue durée ne permet ni d’éviter aux ménages concernés le risque de précarité, ni d’atteindre l’objectif de réinsertion. Il estime que l’allocation chômage devrait au contraire être élevée (par exemple 80% du salaire) et inconditionnelle. En revanche elle ne serait versée que pendant 4 mois, qui est selon l’étude « la durée à partir de laquelle les compétences de l’actif commencent à se déprécier ».

Si la personne n’a pas retrouvé d’emploi au bout de ces 4 mois, elle bascule de Pôle Emploi vers une nouvelle entité, résultat d’une fusion entre l’Unedic et France Compétences. Elle y serait alors accompagnée et intégrée dans un parcours de développement des compétences visant un retour à l’emploi dans les secteurs qui recrutent. Avec une allocation de remplacement, dont le montant n’est pas spécifié. Une telle réforme « permettrait de répondre directement aux besoins de main d’œuvre des entreprises ayant des projets de recrutements, aux actifs de voir leurs compétences mises à jour et aux ménages concernés de ne pas subir un déclassement trop important de leur niveau de vie. »

L’auteur émet l’hypothèse que cette nouvelle entité puisse être France Travail, le guichet unique de l’emploi dont les contours doivent être précisés d’ici 2023-2024. A priori cependant, France Travail inclurait Pôle Emploi, ce qui ne correspond pas au périmètre esquissé dans l’étude.

Celle-ci part du principe que cette réforme  pourrait se faire à budget constant, par redéploiement des budgets d’indemnisation chômage et formation.

 

Pour mémoire, la note de l’Institut Sapiens comporte deux autres propositions qui sortent du domaine de la formation :

  • Favoriser la mobilité géographique en améliorant l’information sur les offres d’emploi disponibles par territoires et en instituant un « bail mobilité » dérogatoire pour résoudre les problèmes de logement.
  • Mobiliser les tribunaux de commerce pour anticiper la vague de dépôts de bilan prévisibles en 2023 et proposer des reprises de salariés par des entreprises du même territoire, en partenariat avec Pôle Emploi.

 

A ce stade, la réforme de l’Assurance chômage ne semble pas suivre à la lettre la proposition de l’Institut Sapiens. On trouve bien, cependant, dans les annonces gouvernementales, l’idée selon laquelle il vaut mieux indemniser moins longtemps les demandeurs d’emploi que leur verser une allocation plus faible. Rien n’empêcherait cependant de conserver le principe d’une modulation de la durée en fonction de la conjoncture, tout en introduisant une obligation précoce de rejoindre un parcours de formation qui mène directement à l’emploi. Il reste à voir dans quelle mesure un tel projet est réalisable, dans des conditions d’efficacité satisfaisantes.

Crédit photo : Shutterstock / sylv1rob1

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