Bruno Coquet : « Remettre un peu de mécanisme de marché dans le système aurait du sens »

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Bruno Coquet, Docteur en économie et expert en politiques publiques à l’OFCE, a répondu à nos questions sur l’avenir de l’apprentissage et du financement du système de formation. Depuis cet entretien, il a publié « Apprentissage : un bilan des années folles », une étude qui revient plus en détail et de façon chiffrée sur les constats effectués ici. 

 

Que va devenir l’apprentissage en 2023 ?

La loi de 2018 a créé un très bon système d’aide à l’apprentissage : l’aide unique. Le dispositif cible les jeunes et les moins qualifiés : elle est réservée à l’embauche d’apprentis qui préparent une certification égale ou inférieure au bac. Or l’apprentissage est particulièrement efficace pour assurer l’insertion des mineurs sortis prématurément du système scolaire. En matière de taux d’insertion, il y a une vraie différence entre les jeunes non qualifiés qui suivent une formation en apprentissage et ceux qui n’en suivent pas. Ce n’est pas le cas des étudiants du supérieur.

À l’inverse, l’aide exceptionnelle instituée dans le cadre de la gestion de crise (5 000 € pour un mineur et 8 000 € pour un majeur, la première année) n’impose pas de conditions de niveau de certification. Elle bénéficie donc à tous les apprentis, y compris ceux du supérieur, qui en ont été les principaux bénéficiaires. À mon sens, il n’y a aucune raison de subventionner ainsi l’embauche de jeunes du supérieur, qui statistiquement auraient trouvé du travail sans cela. C’est de l’argent perdu. Il faudrait également vérifier que l’aide n’ait pas donné lieu à une augmentation des contrats d’apprentissage limités à un an !

La prime exceptionnelle devait en principe disparaître au 31 décembre 2022. Le projet de loi des finances ne semblait pas prévoir de la pérenniser, ce qui aurait supposé un retour pur et simple à la situation d’avant-Covid. Il reste possible que le gouvernement prolonge l’aide, ou en modifie le ciblage. Pour moi, le retour au droit commun serait la meilleure solution.

[Note de Management de la Formation : depuis la date de cette interview, le gouvernement a laissé entendre que l’aide exceptionnelle pourrait être prolongée, en la fixant uniformément à 6 000 €. L’embauche de mineurs serait ainsi favorisée (passant de 5 000 € d’aide à 6 000 €), tandis que le recrutement des apprentis majeurs serait un peu moins avantageux (de 8 000 € à 6 000 €)].

 

Que penser de l’objectif d’un million d’apprentis par an affiché par le gouvernement ?

C’est un objectif un peu délirant, qu’il est impossible d’atteindre en régime de croisière : une génération ne représente qu’environ 800 000 personnes. En l’état, la seule façon de l’atteindre, provisoirement, est d’élargir la cible à d’autres tranches d’âge. Il aurait été possible de formuler un objectif raisonnable en parlant d’un million d’apprentis en contrat, et non de nouveaux apprentis ! Le projet de loi des Finances ne prévoit pour le moment « que » 900 à 950 000 nouveaux apprentis à l’horizon 2025. Une chose est certaine, en diminuant l’aide, l’objectif ne sera jamais atteint.

 

Quel est le bilan de l’aide exceptionnelle ?

Elle aura peut-être eu un effet bénéfique, qui reste à mesurer, en permettant aux employeurs de prendre conscience des avantages qu’il y a à embaucher des apprentis du supérieur, en matière de pédagogie et d’intégration. Certaines entreprises maintiendront sans doute cette pratique, ce qui pourrait limiter la diminution. Mais la conjoncture, moins favorable, devrait se combiner à la baisse ou à la disparition de l’aide exceptionnelle pour réduire le nombre de recrutements en apprentissage de jeunes du supérieur.

Il y a probablement eu un effet de substitution : des entreprises auront recruté des jeunes en apprentissage plutôt que sous un autre statut, attirés par la subvention. Pour la première année d’embauche, le taux de subvention était proche de 100 % ! A ma connaissance, jamais un dispositif d’aide à l’emploi n’a été aussi généreux, à l’exception de rares dispositifs qui concernaient au demeurant très peu de gens. Il y a forcément eu des effets de substitution très forts, qu’on ne sait pas mesurer entièrement. Le manque de saisonniers en est un symptôme, même s’il a également d’autres causes.

Il y a également un effet d’anticipation : des embauches ont pu avoir lieu cette année pour profiter de la subvention ; elles n’auront pas lieu l’année prochaine, ce qui pèsera sur les chiffres de l’emploi.

Entre 2019 et 2021, la prime exceptionnelle a entraîné une augmentation de 175% des embauches d’apprentis du supérieur. Les embauches de jeunes de niveau inférieur au bac ont également augmenté, mais de 41% seulement. L’enjeu, à présent, sera de faire en sorte que le reflux ou la suppression de l’aide exceptionnelle à l’apprentissage se concentre uniquement sur les jeunes du supérieur.

 

Comment mesure-t-on l’efficacité d’une aide de ce type ?

L’indicateur privilégié est le taux d’insertion dans l’emploi 6 mois après la fin du contrat. certains apprentis sont recrutés par leur entreprise formatrice, d’autres trouvent un emploi ailleurs. Le taux d’insertion fixé en objectif dans le projet de loi des Finances est autour de 57% ; ce chiffre devrait être dépassé tant que la prime exceptionnelle est en vigueur, du fait que son calcul inclut les jeunes du supérieur, dont le taux d’insertion est sensiblement plus élevé.

Techniquement, l’embauche de jeunes en apprentissage fait passer des jeunes du statut d’étudiant à celui de salarié, ce qui a le mérite de faire monter le taux d’emploi des jeunes. En fait, les apprentis sont comptabilisés des deux côtés, ce qui complexifie la lecture des données. Plus généralement, les bases de données publiques sur la question ne permettent pas les croisements entre critères : ce serait hautement souhaitable pour avoir une vision claire de la question.

 

Le succès de l’apprentissage et, dans une moindre mesure, celui du CPF, entraîne un fort déficit de France Compétences. Est-ce un problème ?

En soi, que ce soit pour l’apprentissage ou pour le CPF, le fait qu’il n’y ait pas d’enveloppe financière fixée a priori n’est pas anormal. Les aides gouvernementales ont créé une dynamique qui a entraîné une augmentation des dépenses au-delà de ce que France Compétences avait budgété. Idem pour le CPF : dans le principe, je suis favorable à la liberté de choisir son avenir professionnel, et le fait que les individus puissent utiliser leur CPF à guichet ouvert est une bonne chose.

La vraie question est celle de l’utilisation de ces sommes. Comment le CPF a-t-il été utilisé, par qui, dans quel but ? Pôle emploi devrait pouvoir produire des données intéressantes sur le sujet, pour les chômeurs qu’elle amène à mobiliser leur CPF : publics, taux de réussite, taux d’insertion… Mais à ce jour nous ne disposons de rien de tel.

Sur l’apprentissage, le choix a été fait de piloter la dépense par la diminution des taux de prise en charge. Mais ce n’est pas forcément la bonne façon de raisonner : plutôt que de restreindre les conditions pour tout le monde, il vaut mieux cibler les publics qui en ont le plus besoin, et pour qui la dépense publique est la plus efficace.

Les entreprises utilisent les dispositifs de façon rationnelle. Si on leur propose des formations qui ne coûtent rien, elles les utilisent. Si la formation a un coût, elles réfléchissent : cette prestation va-t-elle m’être utile ? Après tout, si une formation lui est profitable, il n’y a aucune raison pour que l’entreprise ne paie pas. D’où l’importance de bien cibler les aides.

L’Etat ne se pose pas suffisamment la question du financement de la formation en termes d’efficacité opérationnelle. La France dépense environ 30Mds€ dans la formation professionnelle et 100Mds dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Si l’on veut être un peu méchant, on ne peut que constater que ces montants sont en augmentation, tandis que la productivité baisse… Remettre un peu de mécanismes de marché dans le système aurait du sens.

 

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