La formation en chiffres #52 : 44% de salariés en sur- ou sous-qualification

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44% des salariés français déclarent que leur formation ne correspond pas au niveau de leur emploi – qu’ils soient en situation de sur- ou de sous-qualification. C’est 10 points de plus que la moyenne de l’OCDE. Ce chiffre, et d’autres, ont conduit France Stratégie, dans un rapport d’août 2017, à s’interroger sur l’impact de la dépense de formation professionnelle sur l’emploi, et sur la pertinence des politiques de gestion des compétences des entreprises françaises. Quelles leçons le responsable formation peut-il en tirer ?

 

L’inadéquation des niveaux de qualification

Sur le principe, la formation professionnelle, parmi les sujets économiques et sociaux, fait facilement l’unanimité : clé de l’emploi, clé de la croissance, clé de la performance… la formation tout au long de la vie sécurise les parcours, maintient les entreprises dans la course à la compétitivité, réduit le temps passé au chômage. Dans un rapport remarqué paru en août, France Stratégie s’attaque à ce dernier présupposé, et examine pour l’occasion le lien qui existe entre formation et emploi. Le rapport, intitulé « Renforcer la capacité des entreprises à recruter », se concentre sur le recrutement et le sourcing des compétences. Mais ses conclusions et les données qu’il compile interrogent directement les politiques de formation des entreprises.

Premier constat : dans les pays de l’OCDE, en 2012, la France apparaissait comme la championne du « skills mismatch », c’est-à-dire de l’inadéquation entre la formation et l’emploi occupé. 44% des salariés français avaient une formation dont le niveau ne correspond pas à leur emploi, contre 34% en moyenne dans l’OCDE. Ces 44% se décomposent en 31% de surqualifiés et 13% de sous-qualifiés. Près d’un salarié sur trois s’estime donc sous-employé. Un message important pour les directions des ressources humaines, et qui pose d’autres questions : les entreprises recrutent-elles des profils surdimensionnés ? Forme-t-on trop de personnes très qualifiées ? Les entreprises et l’économie française manquent-elles d’ambition ? Ou s’agit-il d’un problème de management, qui amène ces salariés à avoir le sentiment que leurs compétences sont insuffisamment mobilisées ?

Si l’on se tourne vers la spécialité de formation, la proportion est similaire : 42% des Français travaillent dans un domaine qui n’est pas celui de leur formation. La différence avec la moyenne des autres pays est cependant nettement moins marquée : +3 points seulement. Ce trait semble donc mieux partagé, ce qui n’est pas si étonnant dans un monde où les métiers évoluent rapidement, où de nouveaux secteurs émergent et où la mobilité professionnelle est encouragée.

 

La réponse : former plus, former mieux ?

Ces chiffres apportent de l’eau au moulin des « adéquationnistes » : nombre d’acteurs, notamment patronaux, souhaiteraient en effet que le système de formation soit plus immédiatement réactif aux besoins des entreprises. Les problèmes du marché du travail viendraient en partie de l’incapacité des organismes de formation – initiale et continue – à former aux compétences requises par les entreprises sur chaque bassin d’emploi. La persistance d’offres d’emploi non pourvues en serait une manifestation. L’écart entre les niveaux de formation et les emplois occupés en seraient une autre.

Rapidement, signalons que le rapport relativise considérablement l’importance de ces fameux « emplois non pourvus » : ils sont en réalité relativement peu nombreux, si on les compare aux chiffres du chômage (191 000 en 2014, pour 3,5 millions de chômeurs). Les employeurs français, selon une enquête de Manpower, se plaignent par ailleurs plutôt moins que les autres de difficultés de recrutement (23% contre 40% en moyenne, et même 49% en Allemagne). D’autre part, si l’on se tourne vers les causes d’abandon des recrutements en CDI, on s’aperçoit que seuls 31% sont motivés par le fait que l’employeur n’a pas trouvé le bon profil (19% pour les CDD).

Néanmoins, la réponse privilégiée a été, ces dernières années, d’accroître l’effort de formation. L’évaluation des effets de cette politique est ambiguë : elle révèle que la formation accroît l’insertion des plus diplômés, mais pas celle des moins qualifiés et des plus éloignés de l’emploi. Le rapport rassemble des données intéressantes sur la question, distinguant notamment entre les différents types de marchés du travail : tous les secteurs d’activité n’ont pas la même logique d’emploi et de compétences.

On pense aux travaux de Marc Ferracci – aujourd’hui parmi les inspirateurs de la future réforme – qui concluait dans le même sens son ouvrage Evaluer la formation professionnelle, paru en 2013 aux Presses de Sciences-Po (on peut en lire une recension ici) : « contrairement aux idées reçues, [la formation]ne permet pas de sortir plus vite du chômage ». Mais elle ne permet pas non plus, ajoute-t-il, « d’accroître de manière significative les salaires de ceux qui en bénéficient ». Un effet sur la productivité est cependant perceptible, ce qui fait dire à l’auteur que « la formation profite davantage aux entreprises qu’aux salariés » ! Un effet qui, il est vrai, milite en faveur de l’investissement formation.

 

…Mais surtout… mieux gérer les RH !

Du point de vue du responsable formation, le 2e chapitre du rapport est le plus instructif. En cohérence, notamment, avec le document de l’OCDE que nous commentions dans notre article « la formation en chiffres » de mai dernier, France Stratégie suggère que « l’inadéquation entre les compétences attendues par les employeurs et celles détenues par les individus est en partie due au manque de structuration RH de certains employeurs et à leurs difficultés à mettre en place une réelle gestion des compétences ».

La tâche, de fait, n’est pas simple. Citant cette étude de l’Insee de 2006, l’auteur signale que « la profession exercée est étroitement liée à la spécialité de formation pour seulement un emploi sur  trois ». Dans un tiers des cas, en revanche, l’emploi exige « des compétences relevant peu de la formation ». D’une entreprise à l’autre, d’une région à l’autre, et même d’un emploi à l’autre au sein d’une même entreprise, la situation peut varier considérablement.

Selon une étude de Pôle Emploi citée dans le rapport, face à cette complexité et à l’évolution rapide de certains métiers, les entreprises privilégient, dans leur critères de choix, les compétences polyvalentes (pour 64%) et l’expérience (60%) sur la formation (46%). Par ailleurs, ils s’attachent à détecter le « potentiel » des candidats : « en France, la sélection est moins souvent destinée à satisfaire une offre précise qu’à ouvrir une carrière au sein d’une entreprise, contrairement à ce qu’on observe en Allemagne », selon un article utilisé dans l’étude.

Le rapport passe ensuite en revue les outils statistiques disponibles pour évaluer plus précisément les politiques RH des entreprises françaises. On constate que l’analyse des ressorts du recrutement est largement plus développée que celle des politiques de formation. Pour ces dernières, le rapport renvoie simplement à l’enquête Defis du Cereq (que nous avons souvent évoquée sur ce blog). L’auteur utilise cette dernière pour rappeler que « le recours à la formation augmente avec la taille de l’entreprise, quel que soit le type de formation », et que « les entreprises capables d’identifier et d’évaluer leurs besoins en compétences sont aussi celles où les salariés ont le plus de chances d’être formés ».

 

En résumé, le rapport tend à établir que développer la formation n’est pas, en soi, générateur d’emploi, en l’absence d’une amélioration de la « structuration RH » des entreprises. Ce n’est pas la première fois que les pratiques RH des entreprises françaises sont pointées du doigt : beaucoup d’économistes (comme Pierre Cahuc ou Thomas Philippon) y voient une des premières causes de leur sous-performance et de l’insatisfaction au travail. Le rapport de France Stratégie a le mérite de décliner ce propos d’une manière un peu plus circonscrite, en l’appliquant à la gestion des compétences et au recrutement. Dans quelle direction celles-ci devraient-elles évoluer ? Le rapport ne fait que suggérer des pistes, en soulignant la complexité de l’exercice. Une chose est certaine : le rôle du responsable formation et celui de la fonction formation au sein de l’entreprise ne peuvent que sortir valorisés de ce type de prise de conscience.

 

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