L’UE et la formation continue : la France en modèle

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Nous évoquions en janvier dernier les ambitions de la présidence française de l’UE en matière de formation continue. 6 mois après, alors que la France a cédé la place à la République Tchèque au 1er juillet 2022, qu’en a-t-il été ? Les promesses ont bien été tenues : les recommandations annoncées ont bien été prises. Au programme, le CPF pour tous, un système européen de microcertification et la promotion des compétences requises par la transition écologique. Nous analysons plus particulièrement les ressemblances et les différences entre le  CPF et les « comptes de formation individuels » préconisés par le Conseil européen.

 

Sommaire
3 recommandations adoptées sur la formation
Les comptes formation individuels : le modèle français
  Les traits communs avec le CPF
  Les aspects différents du CPF : pistes d’inspirations ?
« Une approche européenne des microcertifications »
« L’apprentissage au service de la durabilité environnementale »

 

3 recommandations adoptées sur la formation

L’Union Européenne  a des ambitions en matière de formation professionnelle, mais relativement peu de moyens juridiques pour les imposer : la formation ne fait pas partie des thèmes sur lesquels elle peut légiférer. En revanche, elle peut émettre des « recommandations ». Il existe en effet 5 types d’actes de l’Union Européenne. 3 d’entre eux (directives, règlements et décisions) entraînent des conséquences légales dans les pays visés. 2 n’ont pas d’impact législatif ou réglementaire direct : ce sont les recommandations et les avis.

Les recommandations sont émises soit par la Commission européenne, soit par le Conseil de l’Union européenne, qui réunit les ministres des États membres. Ce sont des actes politiques, qui ont un rôle d’influence et peuvent avoir des conséquences indirectes, voire être pris en compte par la Cour de justice de l’Union Européenne dans certains litiges. Le cadre national des certifications professionnelles, instauré par la loi Avenir Professionnel du 5 septembre 2018 et par un décret du 8 janvier 2019, se réfère explicitement à une recommandation du Conseil de l’Union européenne du 22 mai 2017. Ces textes ont donc potentiellement une portée, subordonnée cependant à la volonté des États concernés.

Au début de la présidence française, en janvier 2022, deux recommandations relatives à la formation étaient « dans les tuyaux ». Trois textes ont finalement été adoptés par le Conseil de l’Union Européenne le 16 juin 2022, portant sur les trois thèmes suivants :

Les comptes formation individuels : le modèle français

La plus importante et la plus attendue des 3 recommandations porte sur les comptes formation. Elle recommande aux États de « créer un compte de formation individuel […] après avoir consulté les partenaires sociaux et les parties prenantes concernées. »

Les traits communs avec le CPF

On y retrouve une grande partie des caractéristiques du CPF et du système français :

Comptes de formation individuels Compte personnel de formation (CPF)
Une alimentation annuelle du compte en droits cumulables sur une période donnée.

 

Des versements de 500€ annuels plafonnés à 10 ans (5 000 €)
Des versements plus élevés pour les publics qui ont le plus besoin de formation. 800 € par an pour les non-diplômés (plafond à 8 000 €).
Des droits supplémentaires versés par les entreprises à leurs salariés. Les abondements d’entreprise du CPF
Des droits supplémentaires versés par les services publics de l’emploi aux publics en reconversion ou perfectionnement. Les abondements de Pôle emploi, notamment
Des financements composites publics et privés. Le système global d’abondements par des institutions, collectivités et l’État.
Mise à disposition de services d’orientation et de validation des acquis. Le Conseil en évolution professionnelle (CEP) et la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Mise à disposition d’un catalogue public des

« possibilités de formation, d’orientation professionnelle et de validation » disponibles via le compte. Le tout accessible via un portail numérique national unique.

La plateforme Moncompteformation.gouv.fr
Les règles d’éligibilité des formations au financement par le compte doivent être claires et reposer sur des exigences de qualité transparentes. Une règle claire d’éligibilité : toutes les formations du RNCP et du RS.

Un système qualité : Qualiopi.

Possibilité de suivre des formations sur le temps de travail financées par le CPF. Oui
Congé formation rémunéré. Dispositifs Transition Pro et Transco.

 

La recommandation ne décrit pas stricto sensu le CPF français : les propositions sont plus larges. Mais le CPF entre largement dans les clous.

Les aspects différents du CPF : pistes d’inspirations ?

Le texte contient également des propositions qui s’écartent du CPF français :

  • L’entreprise élargie : une idée intéressante est de proposer aux entreprises d’abonder non seulement les comptes de leurs salariés, mais aussi ceux « d’autres personnes travaillant dans leur chaîne de valeur, en particulier dans des PME ». C’est une façon d’inciter les donneurs d’ordre à prendre en charge en partie la formation des salariés de leurs sous-traitants, et d’acter ainsi la solidarité des compétences dans l’entreprise élargie.
  • Des droits qui se périment : le texte reprend une proposition émise mais non retenue pour le CPF à l’époque de sa mise en place : la limitation des droits dans le temps. Si le bénéficiaire n’utilise pas ses droits après un certain nombre d’années, il les perd. Il s’agit d’inciter les salariés à se former. En France, les droits CPF ne se périment pas (sauf à la retraite), mais il est vrai que le plafonnement peut avoir un effet similaire : pour accumuler de nouveaux droits, le bénéficiaire doit descendre sous le plafond, et donc acheter de la formation avec son CPF.
  • L’évaluation gratuite des compétences : la recommandation suggère que les titulaires de comptes puissent évaluer gratuitement leurs compétences en ligne.
  • Une éligibilité évolutive : la liste des formations éligibles est censée être réévaluée régulièrement sur la base d’une « veille stratégique sur les besoins en compétences », en dialogue avec les partenaires sociaux, le monde éducatif et les « autres parties prenantes ». Il y a dans la loi Avenir Professionnel des clauses de réévaluation, et France Compétences et les Opco sont censés effectuer cette veille, mais en l’état il n’y a pas de mécanisme d’adaptation des formations éligibles aux besoins de compétences.

Il y a cependant quelque chose de contradictoire entre l’impératif de « publier des règles claires » et l’injonction à adapter en continu la liste des formations éligibles aux attentes du marché en appliquant un processus de concertation complexe. On sait par expérience que la poursuite, légitime, de l’adéquation entre offre et demande de formation se fait toujours au détriment de la simplicité et de la lisibilité du système.

  • Un système européen : la recommandation contient également des pistes pour un « raccordement » des différents systèmes nationaux entre eux : les portails numériques sont encouragés à être reliés à la plateforme Europass, et à accepter de financer des formations issues d’autres pays membres.

Les propositions concernant le financement restent très ouvertes. La recommandation signale que les fonds européens peuvent venir aider les initiatives nationales visant à la mise en place des comptes individuels de formation. Il ne pourra s’agir au mieux que d’un appoint, cependant, les sommes en jeu étant considérables.

 

« Une approche européenne des microcertifications »

Cette recommandation vise à rendre compatibles entre eux les différents référentiels nationaux en matière de « microcertifications ». Ce terme est la traduction française de « micro-credentials », une notion née dans le monde anglo-saxon et qui désigne, dans les termes de l’UE, le « relevé des acquis d’apprentissage obtenus par un apprenant à la suite d’un petit volume d’apprentissage. » Ce sont des mini-diplômes qui certifient l’acquisition d’une compétence précise, à l’issue d’une formation brève, de quelques heures, quelques jours ou une semaine par exemple. Il n’y a pas de limite précise, et les différentes institutions d’enseignement ou de formation qui utilisent la notion n’ont, justement, pas vraiment de définition commune des microcertifications.

L’enjeu, ici, est de mettre au point un langage commun qui permette de communiquer d’un pays à l’autre aux employeurs, aux organismes de formation ou aux écoles et universités les compétences acquises par un salarié ou un étudiant.

Les États membres sont donc invités à promouvoir une sorte de standard de présentation des microcertifications, qui inclue notamment la compétence visée, le type d’évaluation et la « charge de travail théorique nécessaire pour obtenir les acquis d’apprentissage ». Celle-ci doit être exprimée si possible en « crédits ECTS », le système européen d’équivalences de diplômes.

L’idée serait de permettre à d’autres acteurs que les organismes de formation et d’enseignement de délivrer des microcertifications. En particulier, les branches et les entreprises elles-mêmes pourraient micro-certifier les compétences acquises par leurs salariés, en suivant une procédure rigoureuse.

Le texte propose également de rendre les formations conduisant à des micro-certifications finançables par le CPF (ou par les comptes de formation individuels dans les autres pays). Derrière cette possibilité, pourrait-on envisager une convergence avec les blocs de compétences, ces éléments qui composent les certifications et qui, en principe, doivent faciliter les passerelles entre parcours ? Les formations permettant d’acquérir un bloc de compétences d’une certification inscrite au RNCP ou au RS, rappelons-le, sont déjà éligibles au CPF.

 

« L’apprentissage au service de la durabilité environnementale »

Le troisième et dernier texte est plus une pétition de principes qu’un véritable programme d’action. Cette recommandation s’adresse surtout aux acteurs de la formation initiale, mais inclut également ceux de la formation professionnelle. Il s’agit de promouvoir l’ensemble des compétences vertes et le verdissement des compétences dans le système d’enseignement et d’information.

 

Les trois recommandations issues de la présidence française tiennent les promesses des annonces initiales d’Emmanuel Macron. Les deux premières, à vrai dire, étaient déjà largement dans les tuyaux fin 2021. Si ces textes ne devraient pas révolutionner la formation professionnelle dans le très court terme, ils pourraient fournir la feuille de route d’une évolution à l’échelle européenne vers davantage d’interopérabilité entre pays, et vers un accroissement des droits des salariés européens en matière de financement de la formation. La recommandation sur les microcertifications fera l’objet d’un premier rapport des pays membres avant décembre 2023, celle sur les comptes individuels de formation sera suivie semestriellement. Rendez-vous en 2027 pour un premier rapport de la Commission sur les résultats issus de ces deux textes. Avec, rappelons-le, à l’horizon, l’objectif de 60% de salariés européens formés au cours des 12 derniers mois en 2030.

Crédit photo : Shutterstock / lazyllama

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Un commentaire

  1. Vous faites référence, pour la loi Avenir professionnel, à une recommandation du « Conseil de l’Europe du 22 mai 2017 ». Or le Conseil de l’Europe, institution internationale sur les droits de l’homme et la démocratie, n’a rien à voir avec l’Union européenne. La recommandation que vous citez est une recommandation du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou chefs de gouvernement des vingt-sept États membres de l’Union européenne.

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