Organismes de formation et Covid-19 : témoignages croisés (1/2)

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Fermés à tout présentiel entre 16 mars le 11 mai, les organismes de formation ont dû se réinventer dans l’urgence, comme les autres secteurs de l’économie. Il est encore trop tôt pour faire un bilan chiffré de cette période sur l’activité du secteur, mais les premiers retours d’expérience sont riches d’enseignements. Nous avons interrogé trois représentants de prestataires de formation sur la façon dont ils ont vécu le confinement et le déconfinement : Thibault Gousset (Apave), Arnaud Portanelli (Lingueo) et Natacha de Saint-Vincent (Lefebvre-Sarrut).

Dans ce premier volet, nous évoquons les conséquences immédiates du confinement et la mise en pratique du FNE-Formation. Un second volet aborde le déconfinement et les transformations du secteur.

 

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Confinement : un impact contrasté sur les organismes de formation

Le lundi 16 mars, tous les organismes de formation doivent fermer leurs portes. La priorité affichée par les pouvoirs publics est alors la lutte contre l’épidémie. Assez rapidement, cependant, les pouvoirs publics commencent à encourager la poursuite des activités – ce qui implique le passage à la formation à distance.

Une chose est certaine : dans tous les cas, l’arrêt brutal de l’économie et sa réorganisation dans l’urgence auront eu un impact négatif considérable sur l’activité des organismes de formation. Mais tous ne se trouvent pas dans la même situation face à ce défi. Deux paramètres jouent particulièrement : la nature des formations délivrées et la part de distanciel déjà déployé dans l’offre.

 

Les formations obligatoires : plus ou moins touchées ?

Comme nous le confiait récemment Geoffrey Michalak, les formations obligatoires (dans son cas celles qui conduisent à l’agrément de contrôleur technique automobile) bénéficient d’un avantage : elles doivent être faites quoiqu’il arrive. On peut donc espérer que le confinement ne se traduise que par un étalement dans le temps des prestations.

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Mais cet avantage est contrebalancé par un inconvénient majeur, comme l’explique Thibault Gousset, directeur de la Business line « formation » du groupe Apave : « Les formations obligatoires que nous délivrons sont encadrées par des textes et comportent une partie pratique importante, qui implique l’apprentissage de la réalisation du geste juste, à effectuer sur des maquettes pédagogiques ou sur des installations-types. Toute cette partie ne peut se faire qu’en présentiel. De plus, toute modification du schéma pédagogique doit être avalisée par le ministère ». Un point également souligné par Geoffrey Michalak.

Thibault Gousset coordonne l’activité formation du groupe Apave sur l’ensemble du territoire, soit un réseau de 170 implantations, comprenant une centaine de plateaux techniques et environ 2 200 formateurs. Rappelons qu’Apave est leader sur le marché de la sécurité et santé au travail, et le 2e formateur privé de France. Les domaines couverts vont du risque électricité à la conduite d’engins (Caces) en passant par le risque chimique, les formations obligatoires des représentants du personnel, le nucléaire, l’amiante, la climatisation…

« Le ministère nous a poussé à trouver des solutions de formation à distance », poursuit Thibault Gousset. « Nous avons donc monté rapidement une offre de classes virtuelles sur les principaux produits phares, là où c’était possible. Mais dans plusieurs cas, l’autorité de tutelle n’a pas avalisé la refonte de la formation. Par exemple, pour les formations obligatoires des membres des CSE (conseils sociaux et économiques), les Direccte n’ont jamais donné le feu vert. Pour les formations au risque amiante, il existe une part importante de formation théorique, qui peut se faire à distance. Les autorités ont donné leur accord pour les formations destinées aux encadrants, mais pas pour celles des opérateurs, que nous n’avons donc pas pu déployer ».

 

Un impact différent suivant la part du distanciel avant-crise

Pour l’Apave, dont les formations se déroulaient à 95% en présentiel, le confinement a donc représenté dans un premier temps un choc d’activité important, même si une partie a pu être basculé sur du distanciel. « Notre première réponse a été d’accélérer la mise en valeur de notre offre digitale existante », explique Thibault Gousset. « Sur la plupart de nos grandes familles de produits, nous proposions déjà des modules e-learning et des offres en blended learning permettant de réaliser la partie théorique à distance. »

Même constat du côté de Natacha de Saint-Vincent, directrice générale du pôle Formation de Lefebvre-Sarrut. « Il a fallu arrrêter du jour au lendemain les formations en présentiel. Or notre activité est majoritairement délivrée sous ce format, ou en blended learning. C’est un parti pris historique de notre groupe. Toutes les formations présentielles de fin mars, avril et mai ont dû être annulées. »

Le pôle Formation du groupe Lefebvre-Sarrut regroupe 6 organismes de formation. Deux d’entre eux – CSP et Docendi – sont spécialisés dans les compétences transverses, en particulier les compétences dites douces, ou soft skills. Les 4 autres s’adressent aux fonctions plus techniques de l’entreprise : finances, comptabilité, RH, droit, banque (Dalloz formation, Elegia, Francis Lefebvre Formation, Bärchen). Les 6 organismes représentent un réseau de près de 2000 formateurs experts.

« Dans un premier temps, nous avons accompagné nos clients pour l’organisation du confinement », raconte Natacha de Saint-Vincent, « avec des modalités gratuites (webinars, livres blancs, etc.). Puis nous avons basculé une partie de notre activité, très rapidement, sur de la formation à distance ».

Chez Lingueo, en revanche, la question s’est posée très différemment. « Nous n’avons jamais voulu faire de présentiel », explique Arnaud Portanelli, co-fondateur de Lingueo. « Depuis 12 ans, nous avons fait le choix du 100% distanciel. Lingueo est pionnier dans la formation individuelle en langues à distance, sur le principe « un formateur, un stagiaire » en téléformation via webcam. Pour nous, le confinement a tout de suite entraîné un surcroît d’activité. Avec deux publics différents. D’une part, des particuliers ont voulu occuper leur temps de confinement en se formant à une langue étrangère, et ont mobilisé leur CPF. Puis, avec les dispositifs du chômage partiel et du FNE-Formation, des DRH de grandes entreprises nous ont confié des programmes de formation ciblant plusieurs centaines de collaborateurs. Nous avons dû rapidement développer un rôle de conseil de nos clients DRH pour accompagner les entreprises dans cette situation d’urgence. »

Pour les quelques 4% d’organismes de formation spécialisés exclusivement dans le e-learning (en 2017, le pourcentage a pu augmenter depuis), le confinement n’a donc pas la même signification que pour les autres, et la période a pu se traduire par une augmentation de l’activité. L’avenir nous permettra sans doute de chiffrer plus précisément le phénomène.

 

Les zones d’ombre du FNE-Formation

Un dispositif mis en place dans l’urgence

Dès le début du confinement, l’Etat a annoncé qu’il prendrait en charge les frais pédagogiques des formations délivrées aux salariés en activité partielle. Le 9 avril, les modalités ont été annoncées : les ressources du FNE-Formation seraient mobilisées pour financer les formations, les Direccte traiteraient les dossiers dans l’urgence avec l’aide des Opco. Par la suite, on apprenait que les salariés qui ne sont pas en activité partielle pourraient en bénéficier, tandis que les formations obligatoires pourraient être concernées davantage que prévu initialement. Aux dernières nouvelles, la date limite du 31 mai pour le dépôt des demandes concernant les salariés en activité complète a été supprimée, et les formations en présentiel sont devenues éligibles (au 2 juin).

La particularité du dispositif mis en place est qu’il semble reposer uniquement sur une instruction aux Direccte, et non sur un texte législatif ou réglementaire rattaché à la loi d’urgence sanitaire. De ce fait, la durée de la mesure n’est pas vraiment connue, même si on peut supposer – sans certitude – qu’elle s’étendra au moins jusqu’à la fin de l’état d’urgence prévue le 10 juillet. En attendant, comment cela se passe-t-il sur le terrain ?

Des règles à géométrie variable

« Le dispositif a fonctionné, mais pas tout de suite », expose Natacha de Saint-Vincent. « Au départ, les clients ne savaient pas comment le mettre en œuvre. La mise en place du FNE-Formation a été annoncée mi-avril. Depuis, la mesure a été précisée et étendue. On peut même l’utiliser hors chômage partiel, sous certaines conditions. Cela a été un vrai levier pour trouver de nouveaux business pendant la période. Nous avons pris le parti d’accompagner nos clients pour le montage des dossiers : nous avons publié un dossier spécial, organisé des webinars. Le FNE-Formation, c’est un peu le parcours du combattant… Mais aujourd’hui, nous sommes à même de leur donner les informations pertinentes. »

Une impression partagée par Arnaud Portanelli. « Le FNE-Formation a permis une augmentation des commandes, mais elles ne seront pas payées avant septembre au mieux. Le dispositif ne permet pas de facturer nos clients, le destinataire des financements est l’entreprise, pas l’organisme de formation. Les entreprises qui ont contractualisé avec les Direccte et touché l’avance initiale de 50% des frais la conservent. Idem pour celles qui sont passées par leur Opco et qui ont bénéficié de la subrogation : nous devons former et payer nos formateurs mensuellement mais nous n’avons rien facturé à l’OPCO ou à l’entreprise pour le moment, pas même les 30% d’acompte qui sont pratiqués dans tous les secteurs mais qui ne nous sont pas autorisés. Nous serons payés sur les heures réalisées en fin de formation, ce à quoi il faut ajouter les temps de traitement des factures qui peut aller jusqu’à 2 mois. Le FNE-Formation s’est donc traduit pour nous par un accroissement d’activité au prix de tensions sur notre trésorerie. » 

Selon Arnaud Portanelli, les règles sont difficiles à cerner et les pratiques évoluent plusieurs fois par semaine. Début juin, une note interne aux OPCO a circulé, laissant entendre que tous les dossiers n’ayant pas encore fait l’objet d’un accord de la Direccte ou de l’Opco seraient invalides. Une grosse frayeur sans lendemain, mais qui montre la précarité informationnelle dans laquelle évoluent les acteurs vis-à-vis du FNE-Formation – les organismes de formation comme les entreprises qui souhaitent mettent en place ce dispositif pour former leurs équipes. « Étant un dispositif d’urgence, ses règles changent tout le temps. Au départ, les Direccte devaient gérer les dossiers par email, puis cela été les Opco en île de France, puis sur tout le territoire, via des systèmes d’informations dédiés… Les Opco ont fait de leur mieux, mais la situation était confuse et imprévue, résultat : les règles ont bien entendu varié selon les Opco mais aussi selon les régions. Certaines règles ont étés ajoutées : plafonds horaires, nouveaux documents, d’autres supprimées car irréalisables à l’exemple de la règle des 1 500€, selon laquelle les dossiers inférieurs à ce montant devaient être acceptés en 24 heures. Le FNE Formation a été pour nous une montagne russe émotionnelle quotidienne ajoutée aux émotions déjà compliquées de la crise que nous avons tous traversée. Mais nous ne regrettons rien et continuons d’accompagner nos clients avec le même enthousiasme et le même dynamisme. »

La nouvelle version de la FAQ ministérielle précise désormais que « les Opco contrôlent bien les coûts horaires, conformément à l’article R. 6316-4 du code de travail ». Selon ce dernier, les Opco doivent vérifier « l’adéquation financière des prestations achetées ». L’application de ce principe explique sans doute la fixation de plafonds.

Quid des formations obligatoires sur le terrain ?

Thibault Gousset confirme le ressenti d’Arnaud Portanelli. Avec un degré supplémentaire de complexité : le périmètre de prise en charge des formations obligatoires s’est avéré extrêmement fluctuant. A l’origine, il semblait que toutes les formations obligatoires étaient exclues. Ensuite, la FAQ du ministère a précisé qu’il s’agissait des formations hygiène et sécurité « au sens des articles L4121-1 et L4121-2 du code du Travail », et que « les formations permettant le renouvellement d’une habilitation ou certification individuelle » indispensables à l’exercice d’une activité étaient éligibles. Dans une des  premières versions de la FAQ, le ministère donnait un ou deux exemples, notamment les habilitations électriques. Cette précision a disparu par la suite.

« Il n’y a pas de vérité absolue. Les Opco ont des pratiques différentes. D’après ce qu’on m’a rapporté, Akto accepte tous les recyclages. Constructys prend les recyclages ET les formations initiales. L’Opco 2I accepte les recyclages de Caces et d’habilitations électriques. Parmi nos clients, certains ont pu bénéficier du FNE, d’autres non. De plus, beaucoup dépend de la façon dont l’entreprise formule son besoin : si elle présente un programme qui mixe des modules métiers et des modules sécurité, il y a de fortes chances que l’ensemble soit accepté comme éligible. »

 

L’expérience du confinement varie donc d’un organisme de formation à l’autre, même si des constantes se détachent : le désarroi des entreprises, le changement rapide des pratiques, la confusion du cadre légal de l’urgence, le besoin d’accompagnement des clients. Dans un second volet, nous verrons comment se déroule le déconfinement pour les organismes de formation, et les transformations durables du secteur que l’on peut attendre suite à cette période exceptionnelle.

Crédit photo : Shutterstock / eamesBot

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